Débats-forums Fespaco 2023 / 10 : Thierno Souleymane Diallo parle de « Au cimetière de la pellicule »

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Le réalisateur, scénariste et producteur guinéen présentait en compétition officielle au Fespaco 2023 son documentaire Au cimetière de la pellicule (cf. notre critique à lire ici). Il fût invité à en parler avec la presse et les professionnels lors des débats-forums. Transcription résumée. 

Annick Kandolo : Votre film est un voyage à la recherche du tout premier film de fiction africain, tourné par le Guinéen Mamadou Touré en 1953, Mouramani, introuvable. Cela passe par l’état du cinéma en Guinée, qui m’a semblé proprement choquant. Est-ce aussi le retour que vous fait le public ?

Thierno Souleymane Diallo : Oui, ça a été la surprise pour toutes les personnes qui ont vu le film. Mouramani, tout le monde en a entendu parler mais personne n’a fait de recherches sur lui. Et c’est effectivement l’occasion d’explorer tout ce qu’a été le cinéma en Guinée, pays avant-gardiste culturel au moment de l’Indépendance, avec le Sily-cinéma, équivalent du CNC. Il y avait même un laboratoire cinématographique, lequel n’a malheureusement pas fonctionné parce que cela coïncidait avec l’agression portugaise en 1970 ; les cinéastes et techniciens formés pour faire fonctionner ce laboratoire ont été arrêtés et se sont retrouvés en prison. Petit à petit, le cinéma est tombé en ruine, les salles de cinéma sont devenues des vrais cimetières et les bobines n’ont jamais été archivées. En 2004, avec la Coopération française, ils ont voulu installer le Centre culturel franco-guinéen dans l’ancienne cinémathèque de Guinée, là ou se trouvaient pas mal de bobines qui commençaient à pourrir. Ils ont pris les bobines, creusé un trou, et y ont mis le feu avant de les recouvrir de terre. Le titre Au cimetière de la pellicule n’est pas juste une métaphore : les films ont été enterrés en Guinée.

Olivier Barlet : On célèbre le centenaire de la naissance de Sembène. Il apparaissait discrètement dans ses films, histoire de dire qu’il n’est pas observateur extérieur des gens qu’il filme mais qu’il fait partie de leur vie. Toi, tu es sans cesse à l’image, le film étant ta propre démarche. Mais il y a quelque chose de semblable à celle de Sembène. L’avais-tu en tête comme référence ?

Pas forcément une référence à Sembène. Ce film je le porte parce que c’est le film de l’erreur et de mes envies. Comme on le voit au début, je viens demander sa bénédiction à ma tante par rapport à cette quête. Ce n’est pas anodin. Quand je suis allé dans une école de cinéma en 2006, ma famille était très inquiète : “Tu veux étudier le cinéma mais c’est une perte de temps. Les gens vont au cinéma quand ils n’ont rien à faire. Pourquoi as-tu choisi ce métier ? Comment est-ce que tu vas vivre ?” Je suis allé dans cette école pendant cinq ans ; j’ai appris toutes les histoires de cinéma du monde sans jamais apprendre ne serait-ce que deux lignes d’histoire du cinéma guinéen. Pourtant, j’ai appris que le premier film avait été fait en Guinée et j’ai commencé à chercher pour en savoir plus.

Faire ce film c’est aller à la recherche de Mouramani mais aussi aller a la recherche de ce que peut être mon identité de cinéma à moi et à partir de quel moment on a parlé de faire du cinéma dans mon pays. Mouramani n’est sans doute pas un chef d’œuvre mais c’est le premier geste cinématographique d’Afrique. Le premier film réalisé, joué et produit par des Noirs. En 1953, c’est un acte audacieux parce que ce n’est pas encore l’Indépendance.

Question de la salle : On vous a dit que le cinéma ne servait à rien, et maintenant, qu’en pensez-vous ?

Le cinéma me permet de dire ce que je pense, il me permet aussi de montrer à des personnes qui ne vivent pas forcément dans mon pays ce que peut être la Guinée, dans ses contradictions et ses histoires. Ce film, je le prends un peu comme les Frères Lumières au tout début du cinéma : filmer par-ci, par-là. C’est ainsi que je vois le cinéma : un film fait en Guinée avec des personnages du pays, qui se retrouve transplanté au festival de Berlin où on le regarde comme une sorte de voyage, d’aventure. Des gens qui ne connaissent pas la Guinée sont attentifs et me disent à la fin de la projection que cela les aide à découvrir la Guinée et les Guinéens. C’est donc une perte de temps mais dans le bon sens : partager, voyager vers la Guinée, discuter du cinéma. L’histoire que je raconte en Guinée est une histoire qui se passe un peu partout en Afrique. Il y a d’ailleurs une séquence tournée en France sur le cinéma La Clef qui était en train de fermer : il n’y a donc pas qu’en Guinée que l’on n’a pas été capable de garder ses salles et ses films. Ce qui est arrivé en Guinée risque d’arriver dans d’autres pays parce qu’on ne parle que de rentabilité. On m’a ainsi souvent dit que mon film ne parlait pas que de la Guinée mais du monde.

Question de la salle : Il y a une scène qui m’a beaucoup émue, c’est ton retour à la Cité des arts. Quelle impression ça t’a fait d’y revenir ? Est ce que tu sens que ça stagne ou que ça bouge ?

En cinq ans d’étude du cinéma, l’école ne nous a jamais fourni de caméra pour faire un film. Les rares films réalisés l’étaient avec des caméras prêtées et non des caméras de l’institution. On était dans une école où on ne savait pas ce que l’on faisait ; pour moi c’est un crime. La formation reste un grand problème parce que tout le monde peut parler du cinéma mais tout le monde ne peut pas l’enseigner. Parfois dans nos pays, on ne fait pas la différence entre ce monsieur qui peut tenir un bon discours sur le cinéma et celui qui peut nous apprendre le cinéma sur des cas pratiques. Je suis parti vers ces jeunes pour leur dire : “Écoutez c’est vrai, on n’a pas de caméra, on n’a presque pas d’histoire du cinéma, mais on a pleins d’idées et d’ambitions. On peut faire un film. L’essentiel ce n’est pas forcément la caméra elle-même, c’est ce qu’on a envie de raconter.” Tout est dans la tête, ce n’est pas la machine qui fait tout.

Annick Kandolo : Cette séquence était-elle écrite ou spontanée ? Quelle part de mise en scène ?

Ce film est très écrit dès le début. Quand on parle de documentaire, on a tendance à croire qu’on prend une caméra, on sort et le réel rentre dedans. Ça peut réussir pour certains mais je pense que c’est rare. La mise en scène existe à partir du moment où on parle de représentation. On présente quelque chose donc on choisit un angle, une lumière, la façon de filmer… Pour ce film, je voulais aller vers les gens : aller à l’ISAG, leur parler de Joris Ivens, ramener des caméras en bois, mais est ce qu’ils allaient jouer le jeu ? Je ne savais pas.

Quand vous parlez de la mise en scène, par exemple des prisonniers, j’essaye de ramener quelque chose. Cette séquence ne devait pas se faire de cette façon. L’acteur que j’avais choisi est tombé malade et tout ce que j’avais réfléchi est tombé à l’eau, ce n’était plus possible. Je ne savais pas quoi faire et j’ai eu un déclic : on peut faire ces personnages de prison avec des fils de fer et faire la prison en miniature. Ça a été magnifique.

La manière dont on réagit face au réel est le plus important : le réel ne va jamais être exactement ce à quoi nous avions pensé. On ne cerne jamais le réel. Les jeunes rejouent le film qu’avait imaginé Yan Costades en prison, qui rêvait de faire ce film à la sortie et qu’il n’a pas pu faire. En hommage, on a fait exister ce film en mettant en scène ce que pouvait être son imagination en 1970.

La séquence de fin n’est pas le produit de mon imagination : ce conte existe dans notre culture. Durant le tournage, un homme est venu nous voir, qui voulait participer. J’avais hésité à le recevoir mais voulait respecter sa démarche. Et il me parle de Mouramani ! Et il contredit ce que disent les Français qui disent qu’il racontait l’islamisation du peuple malinké. Il affirme au contraire qu’il s’agit d’un conte sur un chien et son maître. Il raconte cette histoire en chantant. Du coup, j’avais la fin du film ! Ne pas écouter ce que l’autre peut te proposer peut faire passer à côté de beaucoup de choses.

Annick Kandolo : Le conte existe aussi ici au Burkina et même la chanson, mais c’est le nom qui change. Ici c’est la légende de Sinimory.

Oui, il y a plusieurs noms mais c’est la même chose. Ce sont les mêmes territoires et on partage le même passé historique.

Question de la salle : La disparition du film est-elle selon vous politique ou bien l’effet d’une simple perte ?

J’ai fait quelques recherches et ai trouvé que Mamadou Touré n’avait pas fait d’école de cinéma. C’était un étudiant en économie à Paris qui à décidé de faire du cinéma. Le film a sans doute disparu parce que le réalisateur a fait un premier geste qui n’a peut-être pas été bien accueilli et il n’a pas eu le courage de continuer de faire des films. Il n’y avait pas d’institution derrière lui pour l’accompagner. Mouramani n’a pas pu être archivé parce que la cinémathèque Afrique du ministère de la Coopération à été créée en 1963, 10 ans après le film. Les films sont appelés à disparaître si on ne les conserve pas dans de bonnes conditions. Il n’y a pas que Mouramani qui est concerné, beaucoup le sont !

Question de la salle : Vous avez déjà tourné en festivals : quelles sont vos expériences ?

En allant à Berlin, tout le monde me disait : “Ah ce film, c’est pour Berlin”. Je ne comprenais pas pourquoi mais les trois projections ont fait salle comble. Et ce qui m’a étonné, c’est que du début à la fin, tout le monde riait. Je pensais que le film parlerait plus aux Africains qui se marrent devant tout, mais là, tout le monde riait devant un film qui aurait pu être triste ou dramatique. On ne fait pas de film pour le Prix, on le fait pour les gens. C’est donc un honneur pour moi. Beaucoup de festivals demandent à présenter le film et pour moi c’est une victoire. Le monde parle de Mouramani et du cinéma guinéen : l’objectif est atteint.

Question de la salle : Combien de temps avez-vous mis pour préparer et tourner ce film ?

J’ai entendu parler de Mouramani en 2012. Mais comment faire ? Je ne voulais pas faire un clip, aligner des archives, avoir une voix off en fond… Finalement, le projet s’est précisé fin 2016. Jusqu’en 2022, ce fut la réécriture, le dépôt, le développement, les financements, le tournage, le montage, la post-production, etc…

Merci à Sara Adriana ALBINO pour sa transcription

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