Karmen Geï

De Joseph Gaye Ramaka

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Le personnage de Mérimée, devenu grand classique de l’opéra avec Bizet, l’est aussi du cinéma avec 52 versions du thème. Joseph Gaye Ramaka se saisi du mythe de Carmen pour son premier long métrage de fiction, et c’est de nos jours, entre l’île de Gorée et Dakar, que Karmen déploie son charme intraitable. Ses nouvelles armes : la luxuriante beauté de l’actrice Jeïna Diop Gaï et un sens de la danse d’une formidable insolence. Dès la première scène, son corps vibrant envahit l’écran. Telle le toréador, elle danse autant qu’elle défie, le rythme est son arène. Son pouvoir charnel triomphe en public de sa geôlière et amante, tout comme il terrassera sa prochaine rivale. Les choix du réalisateur en matière de chants sont judicieux. L’amour et autres « enfant de bohême » sont déclinés avec des paroles et des airs typiquement wolof, et l’éventail musical des intervenants excelle à soutenir l’intrigue : les batteurs de sabar de Doudou N’diaye Rose, la chorale de Julien Jouga, El Hadj Ndiaye chantant la romance ou encore Yandé Codou Sène avec sa voix prophétique. Mais une toute autre musique, les morceaux du saxophoniste David Murray, sous-tend aussi l’ensemble du film. Gaye Ramaka développe ainsi une fibre jazz qui teinte sa vision du monde. On pressent une plaie profondément enfouie, voire inconsciente, chez l’héroïne. Et cet esprit jazz semble lié à l’attraction de l’océan, porteur de mort. Son ex-amante s’y suicidera. Vue du phare des Deux-mamelles ou d’une chaloupe de contrebande, la ville se donne des airs de Manhattan. Mais les ruines coloniales ont imprimé le mouvement des êtres vers le large. Une chose est sûre : le sort de Karmen dépasse son entêtement à braver la vie et les lois des hommes. La combinaison orchestrée de plusieurs registres cinématographiques amène le spectateur à s’interroger sur l’intention du réalisateur. Des séquences de comédie musicale finalement plutôt rares, des dialogues passant du français au wolof sans véritable ancrage dans la réalité sénégalaise déstabilisent les attentes. Tantôt fort, le rôle de l’intrigue ne semble finalement qu’un prétexte pour dire autre chose, laisser sourdre un sentiment. Si bien que lorsque le drame trouve sa chute, on peut presque penser qu’il faisait diversion… Un film à la fois riche et inégal, qui ne laisse en aucun cas indifférent, à tester par soi-même.

2001, Euripide Productions, Zagarianka, Les Ateliers de l’Arche et Mataranka Inc., 35mm coul., distr. Euripide Distribution (01-53-30-06-47), sortie France 27 juin 2001.///Article N° : 2342

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