Ce petit ouvrage rassemble les articles que Suzanne Césaire (épouse d’Aimé) publia entre 1941 et 1945 dans la revue Tropiques (1) qui fut animée par les Martiniquais A. Césaire, René Ménil, A. Maugée, L. Thèsée et leurs amis.
En France sévissait le régime de Vichy ; à Fort de France sévissait l’amiral Robert, fidèle du Marechal Pétain.
La revue Tropiques fut créée « pour dire non à l’Ombre » ainsi que l’écrivait Césaire dans son éditorial. – En ces temps de guerre, et de liberté très surveillée dans les colonies, tous les anti-collabos comprirent la métaphore. C’est-à-dire la majorité des intellectuels martiniquais. Car la revue s’affirmait comme culturelle, littéraire et non point politique. Elle pourfendra cependant toutes les formes d’asservissement, et à leur suite, tous les régimes liberticides. – Ainsi nombre d’articles furent à double sens, truffés d’allusions décryptables par les lecteurs un peu futés.
Le titre donné par Maximin à ce présent recueil suffirait ainsi à définir le rôle de Tropiques qui camoufla des résistants presqu’aussi bien que les taillis du Vercors. – Pas assez cependant, car au bout de deux ans elle fut interdite en 1943 et ne reprit que vers la fin de la guerre
En même temps que l’avènement du général de Gaulle. Rappelons aussi que c’est durant cette période vichyste que Théodore Monod, directeur de l’Institut de Recherches (IFAN) à Dakar, fut interdit de conférences après un article où il attaquait le nazisme et ses manuvres antisémites en France.
Suzanne Césaire, aussi engagée que son mari, s’activa dans ce combat sur papier aux Antilles, en des textes brûlants qui n’ont rien perdu de leur virulence
On y voit défiler les thèmes de la négritude (contre l’assimilation, et toutes ses formes perverses). Mais en plus, elle applique les théories de Frobenius à la psychologie antillaise de façon originale, pour les orienter vers une recherche d’authenticité libératrice des attitudes de soumission et d’initiation. – Elle explique avec un talent de pédagogue en quoi l’outil surréaliste est efficace pour désaliéner l’homme antillais, et comment il lui donne les moyens de récupérer les trésors d’énergie enfouis dans son inconscient.
Dans un dernier texte intitulé Le grand camouflage, elle démasque cette hypocrisie généralisée de tout un peuple qui « camoufle » depuis des siècles ses vraies aspirations et ses tendances profondes, pour endosser l’idéal du petit fonctionnaire européen ; ainsi nombreux sont ceux qui se renient dans l’espoir aussi vain que dérisoire de devenir autres
Et celui qui s’aventure le plus loin dans cette voie, débouche sur une impasse : « il ne peut plus accepter sa négritude, il ne peut pas se blanchir ». Mais Suzanne prévoit bien que ce camouflage prendra fin, « au son nocturne du tambour d’Afrique dans ces curs insulaires » et qu’il en jaillira la Révolution.
À lire ces textes enflammés, il faut se souvenir de l’âge (25 ans) et de la foi (communiste) de cette jeune femme et de ses compagnons. Ce sont des militants avec tout ce que cela comporte.
Mais Maximin, au-delà du lyrisme parfois échevelé de ces textes, a perçu le réel talent de Suzanne, sa force d’expression littéraire qui transforme ses écrits polémiques en poésie, et leur donne une puissance de choc proche des articles de Césaire, dans cette même revue. Et ce n’est pas peu dire !
Si bien qu’il s’interroge – discrètement – sur la possibilité d’un autre camouflage, celui de l’écrivain Suzanne (qui ne fut jamais reconnue) par le poète Aimé.
Et c’est sans doute pour réparer ce qu’il ressent, sans le dire, comme une espèce d’injustice, que Maximin a fait ce joli travail de mémoire, le complétant de deux articles de Breton, de trois poèmes de Césaire à sa femme, et d’un texte très touchant d’Ina à sa mère.
1. Pour plus de renseignement sur Tropiques, voir p. 173 à 192 dans « Histoire de la Littérature négro-africaine » éd. Karthala, 2001.Le grand camouflage, Suzanne Césaire, présenté par Daniel Maximin
éd. Seuil 2009///Article N° : 8660