Les 15 ans d’Africa n°1

La "radio africaine" & ses mélomanes

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Le 6 décembre, Africa N°1 fête les quinze ans de son antenne parisienne par un grand concert au Casino de Paris (1). Une bonne occasion de rendre hommage au duo qui a fait de cette station un haut lieu de la diffusion et de la promotion des musiciens africains.

Le mercredi après-midi, Manu Dibango délaisse le potager et les rosiers de son pavillon de la banlieue est de Paris, et fonce vers la Bastille pour enregistrer son émission du dimanche matin. Depuis sept ans, son dialogue musical animé, érudit mais sans façon avec le journaliste congolais Robert Brazza est devenu la grand-messe de tous les mélomanes africains ou amoureux de l’Afrique. C’est aussi l’une des émissions phares de la seule radio africaine disposant à Paris d’un émetteur et d’une programmation autonomes.
Fondée en 1981 à Libreville (Gabon) à l’initiative du Président Omar Bongo, Africa N°1 revendique trente millions d’auditeurs dans le monde entier. Plus modestement, son antenne francilienne (diffusée en modulation de fréquence depuis 1992) est créditée par l’agence Médiamétrie de plus de 90.000 auditeurs quotidiens, et se targue de « 80 % de notoriété chez les Africains d’origine », loin devant RFI (30 %) selon un dossier publié à l’occasion de ce 15° anniversaire.
La singularité d’Africa n¨1 est de diffuser des journaux d’information copieux mais qui ne parlent délibérément que de l’actualité africaine, sauf événement majeur dans le reste du monde. La plupart des émissions s’adressent d’ailleurs en priorité à un public africain ou d’origine africaine, qu’il s’agisse de culture, de problèmes sociaux ou de sport, domaines dans lesquels Africa N°1 a su s’imposer comme une source d’information quotidienne majeure.
Des rumeurs courent en ce moment selon lesquelles Africa N°1, contrôlée depuis sa création par l’état gabonais et la France (via la Sofirad), serait sur le point d’être rachetée par la Libye…
À Paris, Africa n°1 partage un vieil immeuble du Faubourg Saint-Antoine avec Radio Nova et TSF-Jazz, où plane l’ombre fébrile et dégingandée de Jean-François Bizot, fan et mécène des musiques africaines, décédé le 8 septembre dernier.
Arrivé au deuxième étage, Manu Dibango quitte la panoplie du timide célèbre (chapeau et lunettes noires) pour distribuer bisous et blagues tout en sortant de sa besace ses petits trésors ; car Manu Dibango a une mémoire d’éléphant, la curiosité du furet mais aussi la passion accumulatrice de l’écureuil. Collectionneur insatiable, chez lui c’est la caverne d’un Ali Baba mélomane, envahie de milliers de disques.
Pour la visiter, inutile de faire partie des 40 voleurs, il suffit d’écouter « Manu Dibango sur Africa N°1 », émission qui a succédé il y a sept ans à celle d’un autre grand archiviste des musiques africaines, le chanteur antillais Gilles Sala, éloigné de ses auditeurs par la maladie.
Manu s’installe au micro, pose sur la table un cahier d’écolier et sa petite pile de disques, dont les extraits choisis sont déjà numérisés.
Ce n’est pas du direct, mais quand même de la radio « à l’ancienne »
Tout est enregistré « one shot » (en une seule prise) et très improvisé malgré une préparation que l’on devine sérieuse, sinon laborieuse…
La porte du studio reste ouverte quand la lampe rouge est éteinte, et les invités imprévus sont bienvenus, sommés de prendre la parole pour peu qu’ils aient quelque chose à dire, dans la dernière partie de l’émission, intitulée « Safari ». Je n’ai d’ailleurs jamais vu un studio aussi peu isolé… et insonorisé ! En écoutant attentivement l’émission, vous entendrez sûrement cliqueter les talons des charmantes secrétaires d’Africa N°1 !
Mais il est temps de parler de l’hôte de ces lieux, de l’amphitryon sans lequel cette radio ne serait pas aussi « musicale » et surtout « musicienne » : Robert « Tito » Brazza, sagement assis en face de son « vieux », comme il l’appelle avec plus de respect que de malice.
Ce grand gaillard congolais à la voix grave et suave possède un bagou assez extraordinaire, plus châtié et encore plus volubile que celui de son compère avec qui il a su nouer une rare complicité. Cette familiarité n’échappera pas au plus distrait des auditeurs : car si Brazza improvise une phrase, Manu la finit et vice-versa, comme les Dupond & Dupont dans « Tintin » ! Surtout, on a rarement entendu un dialogue aussi amusant, érudit et intelligent entre générations au sujet de l’histoire et de l’avenir des musiques du continent africain et de ses diasporas. C’est pourquoi le dimanche nous sommes si nombreux à oublier la grasse matinée pour écouter cette émission. (2)

Entretien avec Robert Brazza & Manu Dibango
Comment a commencé votre émission dominicale ?
Manu Dibango : Nous occupons l’ancien créneau de Gilles Sala. Il est tombé malade, il y a sept ans, et l’ancien directeur d’Africa n°1, Georges Courrèges a proposé Manu pour remplacer Gilles. Manu ne pouvait pas le faire seul, il fallait qu’il y ait un « ping-pong ». Je ne connaissais pas encore Robert mais je l’écoutais régulièrement. Tout est allé très vite, la direction a dit oui tout de suite…
Tu avais un point commun important avec Gilles Sala, c’est une discothèque monstrueuse…
Manu : Oui, je suis un collectionneur maladif comme lui, et puis moi aussi j’aime réfléchir sur l’histoire de ces musiques. Donc cela m’a paru très naturel de lui succéder. En plus j’avais déjà une bonne expérience des médias. J’avais fait surtout de la télévision, toujours autour de la musique, mais d’un point de vue de musicien la radio est meilleure pour moi que la télé… On s’y exprime davantage, on n’est pas pris par les histoires de caméras, de lumière…
C’est ce que disait Jean-Christophe Averty : « la radio, c’est la télévision, mais plus perfectionnée… on a réussi à y supprimer les images »
Manu (rire) : Pour nous c’est exactement ça. Nous sommes deux, plus la technicienne ou le technicien, on arrive et ça tourne. Avant, bien sûr on prépare, mais c’est mieux que Robert explique comment ça se passe…
C’est donc toi, Robert, qui branche le fil conducteur ?
Robert Brazza : Oh ! Non, moi je ne suis que le copilote. C’est vrai que je bosse plus que lui, parce que j’ai à gratter, à me renseigner tandis que Manu, lui il sait. Tout ce dont nous parlons, cette histoire des musiques africaines, depuis cinquante ans il l’a vécue personnellement au jour le jour. Moi je suis obligé d’imaginer, de me mettre en immersion dans ces décennies précédentes, ce qu’il appelle les « années de braise ». Donc le jeu de l’émission, c’est que je me renseigne, avant ou pendant l’enregistrement, que je lui fasse préciser des choses qui sont évidentes pour lui mais pas pour moi ni pour la plupart des auditeurs…
Manu : …et lui aussi il me surprend, en fait nous n’arrêtons pas de nous surprendre mutuellement !
Robert : En moyenne pour chaque émission, il y a 70 % du conducteur qui sont apportés par le Doyen Manu, et 30 % par moi. D’ailleurs s’il est évident qu’il a bien plus à dire que moi sur le passé, ça ne joue pas dans l’autre sens. Il arrive très souvent avec des avant-premières de groupes actuels que je découvre par lui. Par exemple il nous a révélé Manou Gallo, je la connaissais comme choriste de Woya mais j’ignorais tout de son parcours solo.
À ce propos, Manu, tu reviens très souvent au cours de l’émission sur ta période abidjanaise, quand tu dirigeais l’Orchestre de la RTI, dans les années 1970…
Manu : parce que c’était une époque unique, pas que pour moi, pour le développement de la musique et des arts panafricains en général. Il y avait alors un immense désir de culture en Côte d’Ivoire. C’est quand même le seul moment où dans la même ville africaine, il a pu exister sans problème un Centre des Arts dirigé par un Malien, Boncana Maïga, un Camerounais à la tête de l’orchestre de la radio-télévision, et des dizaines de groupes, d’ institutions et de troupes qui rassemblaient des artistes de tout le continent. Si l’on veut parler de « panafricanisme », Abidjan dans les années 1970, c’est le seul endroit et le seul moment où ça s’est produit réellement, en tout cas dans le domaine culturel. Il n’y avait pas le moindre quota pour les artistes ivoiriens, on ne l’imaginait même pas. Comme chef d’orchestre, je pouvais engager qui je voulais sans distinction de nationalité. Le seul critère, c’était d’être africain et de faire l’affaire, car il fallait savoir lire la musique, c’est la base si tu veux faire partie d’un grand orchestre. Moyennant quoi, il y avait des instrumentistes béninois, camerounais, ghanéens, ivoiriens, et chacun apportait ses traditions et ses expériences personnelles. Les chanteurs, c’étaient principalement des Congolais et des Ivoiriens, Aïcha Koné a commencé comme ça. Le concept, c’était un orchestre africain, mais capable d’accompagner n’importe quel artiste de passage à Abidjan, qu’il vienne d’Afrique ou d’un autre continent ; comme cela existait à l’époque à l’ORTF et ailleurs, mais depuis on l’a supprimé pour faire des économies. C’est pourquoi, au-delà de ce que ça représente dans mon histoire personnelle, je dis que c’est historique, et j’en suis un peu nostalgique.
Cette expérience explique peut-être en partie que votre émission soit résolument panafricaine. Vous êtes tous deux originaires d’Afrique centrale, mais cette région ne semble pas particulièrement privilégiée.
Manu : même nos frères Africains du nord, nous avons à cœur de ne jamais les oublier, on a toujours envie de faire la fête avec eux, et pas seulement au moment de « casser le ramadan ». Comme j’ai la chance de jouer dans les festivals au Maghreb ou en Espagne, il y a toujours des groupes intéressants et inconnus à Paris qui me donnent des cds ou des cassettes. C’est pareil pour les musiciens africains que je rencontre partout en Europe. On n’imagine pas combien ils sont nombreux maintenant à jouer dans des groupes « afro-européens », comme je l’ai fait moi-même toute ma vie…
Je me souviens que pour te définir toi-même tu avais imposé cette expression – « afro-européen » – dans tes émissions de télévision des années 1980-90. Beaucoup de Français qui n’étaient pas intéressés a priori par l’Afrique et ses musiques t’ont découvert ainsi. Mais avant Africa n°1, tu avais fait aussi de la radio…
Manu : c’est vrai, c’était à l’époque héroïque des premières « radios libres ». J’ai fait des émissions avec le regretté Hégésippe Légitimus, pour la première moûture de Tropic FM. Je ne me souviens même plus si c’était Porte de Bagnolet ou Porte des Lilas. Ce n’était pas très régulier, on ne savait pas si ça allait durer, mais pour moi, sans le savoir c’était un très bon entraînement. Ensuite j’ai été mobilisé par la télévision, il y a eu « Salut, Manu » et « La Planète à Manu » sur France 3, puis « Cinquième Dimension » sur la Cinq – là il ne s’agissait plus seulement de musique, j’étais chargé d’interroger tous les gens de la culture… mais toujours autour de la musique. Je ne joue pas au journaliste. Si le destin m’a amené à faire un peu de journalisme, ce sera toujours dans la musique, en tout cas en relation très étroite avec la musique.
Dans votre émission vous faites quand même pas mal de digressions !
Manu : oui, bien sûr, ce n’est pas parce qu’on est musicien qu’on est indifférent, donc chacun égratigne et témoigne à sa façon. Dimanche dernier, par exemple, nous avons apporté notre solidarité à Moussa Kaka, le journaliste de RFI emprisonné injustement au Niger…
À ce propos, on sait que beaucoup de parisiens d’origine africaine ou qui s’intéressent simplement aux musiques d’Afrique ne cessent de zapper entre Africa n°1 et RFI. C’est la guerre ?
Robert : pas du tout, il y a plutôt une complémentarité, et même une complicité. Benson Diakité est venu faire des émissions avec nous, comme d’autres animateurs de RFI. Nous avons le même objectif, et il n’y a pas de querelle de clochers entre nous. D’ailleurs nous avons été heureux de voir Claudy Siarr à la une d’Afriscope, nous l’avons aussitôt chroniqué. Nous échangeons aussi beaucoup avec nos voisins de Radio Nova…
Manu : C’est un échange permanent. Dès que Rémy Kolpa Kopoul ou Bintou Simporé, et hier Jean-François Bizot découvrent un cd ou un musicien qui peut nous intéresser, ils descendent aussitôt pour nous en parler. Nous, on leur a fait par exemple découvrir la chanson du Burkinabé Zédess sur Sarkozy, « Un hongrois chez les Gaulois » ça monte et ça descend dans les étages, il y a une bonne synergie…
Et avec TSF-Jazz, qui occupe l’étage supérieur de cet immeuble ?
Manu : (après un long silence) Non…
Robert : TSF, leur démarche, c’est plutôt de rester en vase clos.
Manu : TSF, pour moi, c’est une secte. L’histoire du jazz, j’en fais partie aussi un peu quand même, d’ailleurs cette année on m’a demandé de présider le jury des Djangos d’or, et j’étais ravi. Mais j’ai l’impression que chez TSF ils sont un peu décatis. Ils s’habillent comme à Saint-Germain-des-Prés dans les années cinquante, pas moi. Or moi j’y étais, mais pas eux, alors ils sont peut-être un peu jaloux. (rires)…En tout cas, c’est dommage, mais on ne les voit pas.
Claude Nougaro disait un jour : « les clubs de jazz sont devenus des abris antiatomiques, pour y entrer il faut être casqué »
Manu : voilà quelqu’un qui nous manque. Le jazz, pour lui, c’était vraiment autre chose. Il avait un regard de poète sur cette musique, que n’ont malheureusement pas la plupart des jazzmen, qui sont des instrumentistes, parfois géniaux, mais qui ne voient pas plus loin. De bons musiciens, parfois de grands musiciens, mais juste musiciens.
Ce sont pourtant des jazzmen, comme Eddy Louiss ou Maurice Vander, Bernard Lubat ou Richard Galliano, entre autres, qui ont aidé Nougaro à se forger un style, d’ailleurs souvent très proche des musiques africaines…
Manu : bien sûr, j’ai beaucoup de respect pour tous ces gens-là, mais il y en a un que je mets à part : Bernard Lubat. C’est un génie du jazz au moins autant que les autres, mais en plus, avec lui on a pour toujours l’assurance qu’on ne s’ennuiera pas ! (rires)
Votre émission existe depuis sept ans, quels sont les plus beaux souvenirs de rencontres qui vous viennent à l’esprit ?
Robert : ils sont si nombreux qu’il est difficile de choisir. Je pense tout de suite à un bœuf improvisé entre Penda Dalle et Salle John, qui restera sans aucun doute une date historique pour la musique camerounaise, puisqu’il a été à l’origine de la création des « Kamer All Stars ». Nous ne cherchons jamais à provoquer ce genre d’événement, il faut que ça se passe de façon improvisée, naturelle.
Manu, comment fais-tu pour tenir le rythme d’une émission hebdomadaire, alors que tu es presque tout le temps en voyage ?
Manu : d’abord, mon seul secret, c’est que chez moi ou dans l’avion, j’écoute tous les disques qu’on m’envoie. Pas tous jusqu’au bout, mais le début toujours (rires)…
Robert : je ne sais pas comment il fait, mais quand il arrive tout est prêt. Notre émission n’est qu’un petit morceau de sa vie, mais quand il ne joue pas de la musique il passe le reste de son temps à en écouter, à tout moment. Où qu’il soit il m’appelle à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit pour me demander de sortir un disque d’un artiste auquel il vient de penser.
Manu : en même temps, il ne se passe pas une émission sans que tous les deux nous amenions par hasard le même disque…
Robert : en sept ans ça n’est pratiquement jamais arrivé…
Manu : une fois j’arrive et je sors de mon sac un vieux disque de François Lougah, j’ai pécou ça, je crois faire mon malin et voilà que lui il me sort la même chose. Comme moi j’ai connu tout ça en « live », on n’en parlera jamais pareil, lui il l’écoute avec ses oreilles, moi avec ma mémoire, j’explique comment ça se passait à l’époque avec tous ces mecs, les Kabasele et consorts. C’est à ça que je sers…
Robert : …et moi, ses anecdotes je les ressers dans mon émission « Africa Song », car il ne faudrait pas croire que l’influence de Manu se limite à cette émission. Sa présence enrichit toute la radio, et pas seulement Africa n°1. Nous sommes tous des capteurs.
Manu : voilà, c’est le mot : nous faisons une émission de capteurs, et aussi de collectionneurs…
Sais-tu combien tu as de disques chez toi ?
Tu sais bien que quand on aime on ne compte pas… chez nous tous, ça crache des disques de partout… (rires)
Robert : le plus dur, c’est les journées spéciales de rangement.
Manu : ça déborde de nos étagères, mais aussi de nos têtes, peut-être. En plus il n’y a pas que la musique, il y a aussi la peinture.
À ma connaissance, il n’y a pas d’autre exemple, en France ou ailleurs, d’un musicien mondialement connu qui se plie à la discipline d’une émission de radio hebdomadaire. Pourquoi ? Qu’est ce que cela t’apporte, à titre personnel ?
Manu : énormément. Déjà, ça me permet de découvrir plein de disques que je n’aurais jamais l’occasion d’écouter. Quand je dis « écouter », j’insiste sur ce mot, et tu sais bien pourquoi. Pour oser chroniquer un disque, le critiquer, il faut d’abord savoir vraiment l’écouter, et à mon avis il y en a beaucoup trop qui parlent et écrivent de la musique sans avoir fait cet effort. Choisir est encore plus dur.
Pour notre émission je consacre au moins deux heures de temps, éparpillé ou groupé, pour réfléchir sur mes choix. J’ai compris depuis longtemps ce qu’il ne faut pas faire. C’est mon histoire : je n’ai jamais su ce qu’il faut faire, mais je sais ce qu’il ne faut pas faire. (rires)
Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire ?
Manu : tout ce qui a été fait. C’est pourquoi cette émission est pour moi une belle aventure. On m’envoie des « démos » qui sont parfois de vraies perles – je pense par hasard à Muntu Valdo – on les passe et on en parle. Après ça, c’est à eux de se débrouiller, nous ne sommes pas des promoteurs, encore moins des producteurs.
Y-a-t’il du répondant ? vos auditeurs, vous les connaissez ?
Robert : nous avons un courrier abondant venant des gens qui sont incarcérés. Chaque semaine nous recevons des lettres émouvantes et parfois remarquablement bien écrites de prisonniers, qui pour certains, dès qu’ils sortent, viennent nous voir. Parmi nos correspondants, il y a aussi une proportion importante de travailleurs hospitaliers, et aussi de chauffeurs de taxi…
Manu : ah ! oui ! il y a ce taximan ivoirien, je n’ose pas dire son nom, je ne sais pas s’il serait d’accord, mais il se reconnaîtra, lui il fait carrément partie du staff de l’émission, il nous amène des vieux vinyles que même Manu ne connaissait pas ! Et quand il revient de vacances, on est vraiment heureux, non seulement il nous ramène des disques et des nouvelles, mais il arrive avec la cola, comme on fait au pays. C’est là qu’on sait vraiment pourquoi on fait cette émission!
Robert : ce ne sont pas des « fans » de Manu ou de moi-même, ce sont simplement des gens qui aiment les mêmes musiques que nous et qui nous suivent de près, qui nous détaillent. Ils nous envoient des précisions incroyables sur l’histoire de tel ou tel musicien. D’ailleurs quand il nous arrive de demander un renseignement à l’antenne, on nous appelle tout de suite.
Vous avez pour cela une messagerie électronique…
Robert : oui, mais on reste plutôt « courrier-papier » de préférence. En revanche, pour ce qui est des photos, chacun est libre d’enrichir nos archives, sur le site de l’émission. Nous faisons nous-mêmes des photos en permanence, pour immortaliser l’histoire de cette émission.
Comme Manu voyage énormément, en Afrique mais aussi aux Etats-Unis ou à Londres, il revient souvent avec des révélations, des groupes importants qui ne sont pas encore diffusés en France, comme le Soweto String Quartet…
Manu : C’est vrai que depuis quelque temps j’ai une oreille dressée vers l’Afrique du Sud, car là-bas il se passe beaucoup de choses dont on n’a pas encore idée en Europe, et même dans le reste de l’Afrique.
Robert Brazza, que faisais-tu avant tes émissions d’Africa n°1 ?
J’ai la chance d’avoir un père agronome et fou de musique, qui dans la même journée quand nous étions enfants pouvait nous faire écouter Franco ou l’Orquesta Aragon, mais aussi Armstrong ou Nat King Cole. Avec Manu, ils ont le même âge et la même culture musicale de base, très ouverte, car ils ont tous deux fait leurs études en France. Donc, quand j’ai rencontré Manu, c’est comme si j’avais débranché une prise et que je la rebranchais au même endroit ! J’ai grandi à Brazzaville sous le régime de Marien Ngouabi, qui prenait l’éducation très au sérieux. Dès le début je me suis destiné à la communication, et en France j’ai fait des études d’économie et de langues étrangères. Un jour une amie m’a branché sur Radio Village, aux Ulis, et c’est là que j’ai fait mes premières chroniques. A la fin des années 1980, j’étais encore étudiant mais je me suis immergé dans l’extraordinaire bouillonnement musical parisien de cette époque ; j’allais à tous les concerts, je faisais tout pour rencontrer les musiciens et les questionner, par pure curiosité. Ensuite j’ai fait des émissions sur une radio de Nantes, Jet FM, avec Kalomé, un autre Congolais, au milieu des années 1990. C’est en 2000 qu’on m’a demandé de remplacer pour un mois Nina Karine, l’animatrice de la plage 19h-20h, qui était enceinte. Elle n’est pas revenue, et c’est ainsi qu’ « Africa Song » s’est mis en place.
On a l’impression qu’au début Africa n°1 privilégiait l’actualité économique et politique, puis que la culture, surtout la musique et le sport les ont progressivement supplantés…
Le premier objectif déclaré était de donner la parole aux hommes politiques africains, qui sur les autres antennes étaient un peu systématiquement brocardés ou même ignorés. C’est dans ce but que s’est mis en place un réseau de correspondants très riches, mais dont la plupart étaient des commentateurs politiques. La musique était très présente, mais à titre « programmatoire », elle servait d’aération ou d’illustration. C’est peu à peu, sous la pression des auditeurs, que s’est fait sentir le besoin de parler des artistes, et surtout de leur donner la parole. C’était aussi pour répondre à une concurrence, car d’autres radios parisiennes comme Tabala ou Tropic le faisaient déjà. Félix Mondon à Paris et Alain Saint-Pierre à Libreville ont lancé ce concept de réunir autour d’une table des artistes dont on parlait beaucoup mais qui ne s’exprimaient que rarement. Pepe Kalle, par exemple, tout le monde connaissait sa voix comme chanteur, mais il a fallu Africa n°1 pour qu’on l’entende parler.
Comment s’organisent les relations entre la radio mère gabonaise et l’antenne parisienne ?
Au début, il paraît que c’était assez autoritaire, et surtout très formaliste, avec de grandes réunions protocolaires. Dans l’intervalle la communication se faisait surtout par courrier ou fax, avec des instructions précises. Maintenant, il y a beaucoup plus de cohésion et d’échanges d’information, et tout se passe par téléphone. Ce qui est étrange c’est qu’on a beaucoup d’interlocuteurs avec qui on parle depuis des années mais dont on ne connaît même pas le visage ! Nous nous sommes aussi beaucoup inspirés de RFI pour mutualiser l’information.
Cependant vous avez cent fois moins de moyens… c’est un peu le pot de terre et le pot de fer…
De moyens financiers et logistiques, certes. C’est plus difficile pour nous de se faire payer un reportage ou de se faire inviter pour certains évènements et festivals ; nous avons beaucoup bataillé pour « faire partie de la donne », mais je crois que nous y sommes arrivés. De plus, l’avantage de « la radio africaine », c’est qu’elle repose sur un réseau très dense de relations communautaires, familiales, personnelles. C’est souvent plus facile pour moi de contacter un musicien dont je connais la tante qui habite Paris, que pour un confrère de RFI qui devra passer par son attachée de presse… s’il en a une.

1. Le 6 décembre 2007 à 20h au Casino de Paris : 12 artistes autour du Maraboutik Band de Manu Dibango et de Lokua Kanza : Chantal Ayissi, Roselyne Belinga, Queen Eteme, Ray Lema, Lulendo, Magic System, Meiway, Koffi Olomidé, Renya, Michael T, Olivier Tshimanga, Papa Wemba, etc.
2. Robert Brazza en anime une autre, « Africa Song », du lundi au vendredi, de 19h10 à 21h T.U.. Il y accueille les musiciens et dissèque avec l’actualité musicale de toute l’Afrique et de ses diasporas.
Africa N°1 peut être écouté en FM à Paris / Ile de France sur 107.5 et depuis peu à Mantes la Jolie (87.6) et Melun (92.3).
///Article N° : 7165

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