Pour une africanité vagabonde

Entretien de Sylvie Chalaye avec Koulsy Lamko

Avignon, le 19 juillet 2001
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Koulsy Lamko appartient a cette génération de dramaturges « vagabonds » qui ont « soif du monde ». Né à Dadouar, Koulsy Lamako quitte le Tchad en 1979 et interrompt ses études en raison de la guerre. Il s’installe au Burkina Faso, devient un proche de Thomas Sankara et s’investit dans les activités de l’Institut des peuples noirs. Habitué du Festival International des Francophonies en Limousin, il a vécu à Limoges et plusieurs de ses pièces y ont été montées ou mises en espace, notamment Tout bas… si bas (Lansman, 1995). Aujourd’hui il a posé ses valises au Rwanda, où il enseigne à l’Université de Butaré. Il a publié en 2000, un roman sur le génocide : La phalène des collines et s’est engagé activement dans la réalisation de Corps et voix, paroles rhizome, un spectacle monté à Butaré en 2000 dans le cadre d’un projet organisé par Fest’Africa et qui sera présenté en France cet automne.

Que peut être aujourd’hui l’identité d’un artiste africain ? Pourquoi beaucoup considèrent qu’elle n’est plus là où on l’attend ?
On a toujours été agi et on a le plus souvent fonctionné par réaction pour coller à l’image que l’on attendait de nous. C’est une chose qui continue d’être sur beaucoup de plans, que ce soit politique ou économique. Le seul espace où il est possible de dire que l’on existe et que l’on est comme on est, sans avoir à subir le regard de l’autre, sans avoir à induire son comportement par rapport à ce regard-là, c’est l’espace de notre travail d’artiste et d’écrivain, parce que les enjeux y sont différents. Les choses que l’on fait dans cet espace-là, on les fait simplement parce qu’on y croit, et non pas parce qu’on en attend une reconnaissance, ou de l’argent, mais seulement parce que c’est cela qui nous fonde, nous qui osons prendre la parole et habiter cet espace de liberté.
Se définir Africain aujourd’hui, c’est apporter ce que nous sommes en tant qu’homme, avec notre background culturel, avec notre éducation, sans nous plier au regard de l’Occident. Evidemment, comprendre cela et essayer de le vivre, c’est accepter de vivre d’autres ostracismes, de part et d’autre. Parfois quand nous allons vers l’Afrique, on nous regarde comme des gens venant de l’Occident et d’Occident on nous regarde comme des épiphénomènes parce qu’on ne colle pas à ce qu’on attend de nous.
L’identité n’est pas une origine, elle est d’abord profondément enracinée dans le vécu de chacun. Je suis originaire du Tchad et d’ailleurs, quand je dis cela les gens pensent que je suis naturalisé français. Je suis donc originaire du Tchad, mais qu’est-ce que j’ai encore du Tchad ? C’est pas la naissance qui fonde la culture, je suis né dans un petit village du Tchad. Mais ma culture ne peut se limiter à ce petit village : j’ai vécu en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, au Togo où j’ai ma famille, en France et dans le Limousin en particulier où j’ai partagé des choses très fortes avec les gens, et maintenant je vis au Rwanda. L’Africain que je suis aujourd’hui est héritier de tout cela, de toutes ces cultures.
Qu’est ce qui vous rapproche d’un artiste noir ?
La question est un peu complexe car il y a deux niveaux. Au niveau idéologique, le rapprochement est très important. Les Noirs de partout de par le monde vivent des ostracismes, des conditions économiques et politiques difficiles, nous sommes opprimés, et il y a une solidarité d’opprimés que je revendique. Il y a une lutte pour exister un combat à mener qui nous rapprochent. Il est nécessaire parfois d’aller en ordre serré. Le sida décime des millions de Noirs, les guerres aussi. Mais au niveau artistique, pourquoi me sentirais-je plus proche d’un artiste noir ? Non. On peut partager sur ce plan-là des idées très fortes avec un Français un Canadien, un Japonais, c’est une affaire humaine. Quand on relit les Grecs aujourd’hui, on découvre des choses extraordinaires, et je ne veux pas me priver de cela. En art, il n’y a pas de cloisonnements, pas de limites, pas de frontières.
Pensez-vous qu’il y ait une spécificité africaine en matière de création ?
Je crois que c’est un fantasme de l’Occident et je m’érige assez souvent contre cette idée. Je suis même très violent quand on me parle de « théâtre africain ». Ce qui a justifié la Traite et la colonisation c’est justement cette espèce d’essentialisme nègre, et ça continue. C’est terrible aujourd’hui à une époque où on parle beaucoup de mondialisation. C’est une peur de l’Occident. On dirait qu’il faut nécessairement que cette différence se dresse et qu’il y ait ce mur pour que les gens se sentent en sécurité. C’est cette même peur qui fait que l’on refuse des visas aux Africains et qui se transmet dans d’autres considérations : la peur d’être envahi, au plan humain, au plan économique, et aussi la peur d’être envahi par des pensées qui viennent d’ailleurs. Tant que le théâtre africain reste le théâtre des autres, ça ne nous concerne pas, ça ne remet pas en cause notre monde.
Il y a eu pourtant les mouvements négritudiens.
La négritude dans son contexte avait sa raison d’être. Ceux à qui on devait confier les destinées de l’Afrique ont porté les espoirs des peuples qui sortaient des travaux forcés et face à la politique de table-rase, il fallait réagir. Mais on ne peut nier l’évolution du monde et les phénomènes dialectiques qui lui sont inhérents. C’est estimer qu’en Afrique rien ne change. On voudrait nous contraindre à rester dans le cercle. Tout bouge dans le monde, mais on voudrait que nous, nous soyons dans le rond, même pas dans la spirale. C’est une autre forme de colonisation. C’est contre cet enfermement que nous nous dressons. Si notre génération est un peu « vagabonde », c’est probablement aussi pour refuser l’enclos : on peut aller au Liban pour parler du Liban, on peut quitter son Tchad et aller faire des choses au Canada ou dans le Limousin. C’est une façon pour nous de résister. Et l’identité africaine aujourd’hui c’est cette errance, cette quête, ce questionnement même de l’identité. Il faut accepter l’idée qu’il y a des théâtres africains en mutation qui appartiennent d’abord aux individus qui les font et non pas un théâtre « africain » ou « noir ».

///Article N° : 1842

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