Dans son dernier roman, La phalène des collines, Koulsy Lamko évoque le génocide du Rwanda sous la forme d’un conte allégorique : l’histoire est racontée par l’esprit d’une Reine qui revient hanter le monde des vivants sous la forme d’un papillon, après avoir été violée et assassinée par un prêtre pendant le génocide rwandais de 1994.
Derrière le viol de cette Reine, c’est le viol et la destruction de tout un pays qui est suggéré. En confiant les rênes de la narration à une morte dont le cadavre est exhumé dans une église, au milieu de quelques milliers d’autres corps, l’auteur teinte son récit d’une couleur étrange : il parle par la bouche des morts, il n’utilise pas la forme du récit du voyage pour décrire ce qu’il a vu, comme ont pu le faire à leur manière Véronique Tadjo ou Abdourahman Waberi, il préfère puiser dans l’imaginaire l’essence même de son histoire tout en restant fidèle à l’histoire du pays, comme il le dit lui-même dans sa préface :
« Ici commence l’ère du poète : la vocation d’une polyphonie sur des arpèges de cacophonies douloureuses.
Cependant ici, je n’ai qu’un seul droit : celui de la paraphrase de l’histoire. »
Mû par cette vocation de « paraphraser » l’histoire, il promène son lecteur dans le Rwanda de l’après génocide, il lui raconte des bribes d’existence d’hommes et de femmes qui ont survécu aux massacres et qui se retrouvent autour d’un verre au Café de la muse. Nom riche en symbole que celui-ci ! Les rescapés de ce bar forment une petite communauté qui réapprend tant bien que mal les gestes du quotidien, en écoutant le « poète de la regardance » (p.122), Muyango-le crâne fêlé, soigner les âmes meurtries par le beaume de ces paroles salvatrices. Dans ce pays destructuré par le génocide, les mots semblent le seul remède pour d’exorciser le mal de ces années passées. « J’ai inventé des quenouilles de mots, parce que les mots tissent et confectionnent la vie » (p.40), dira à son tour, l’esprit de la Reine morte qui attend que les hommes se décident enfin à ensevelir son corps momifié. Les paroles de la Reine sont une logorrhée de mots et d’images parfois violentes qui ont su franchir les portes de la mort et de l’oubli pour que tous sachent ce qui s’est réellement passé ! Car il faut se souvenir pour exorciser ses fantômes et parvenir ensuite au pardon ! Tel semble être le constat de Koulsy Lamko.
« Le champ de la mémoire des morts, il faut le débroussailler, tondre les pousses mensongères pour laisser fleurir la vérité. » (p.144)
Les mots affleurent dans un flot ininterrompu pour faire émerger la vérité,
ils sont à l’image de ce personnage mystérieux et allégorique, Fred R, dont l’histoire vient scander celle du papillon comme un leitmotiv. Fred R n’en finit pas de courir jusqu’au bout du Rwanda, il se bat pour que cessent les massacres et les mensonges. L’auteur dit de lui qu’il « sera l’homme-gorille du début du monde, (
) la souche centenaire de tous les bourgeons de vie ». Les mots, eux-aussi, combattent le mensonge et l’indifférence. Ils sont le substat pour que refleurissent enfin les « bourgeons de vie » : « S’asseoir sur les ailes du rêve que l’on enfante et voguer, naviguer sur l’océan des aventures de la vie. Que les images de la vie en poussière façonne le rêve! » (p.154) Fred R, le papillon et la petite communauté du Café de la Muse ne font pas autre chose : chacun à leur manière, ils apaisent les esprits et font renaître l’espoir d’une vie possible !
Koulsy Lamko, Tchad. La Phalène des collines, roman (Kuljaama, Kigali 2000)///Article N° : 2576