« Une nouvelle Afrique est en train de naître. Avec les femmes. Elles sont épatantes. »

Entretien de Christine Tully-Sitchet avec Ousmane Sembène

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Harlem, avril 2001. « Pourquoi se compliquer la vie ? On peut faire l’entretien ici, par terre ». J’écoute Ousmane Sembène, interloquée. Quand même… une interview du « père du cinéma africain » assis par terre ? Même si la moquette est flambante neuf, je me dis que Monsieur Sembène, qui approche de ses 80 ans, mérite meilleur traitement. Mais pas une seule chaise aux alentours. Et les salles de projection sont toutes occupées. « Mais oui, pourquoi se compliquer la vie à ressortir pour aller dans un café, alors que l’on peut rester ici et s’asseoir simplement par terre, puisqu’il n’y a pas de sièges disponibles dans les parages ?« .

Petite histoire qui préluda à un bref entretien réalisé dans une posture des plus conviviales, avec un Sembène impassible, pour le moins sans prétention. Nous sommes au Magic Johnson Theater. Non loin du mythique Apollo. C’est dans ce nouveau complexe de salles de cinéma que se déroulait en 2001, pour la première fois, une partie de l’African Film Festival de New York. Ousmane Sembène était l’invité d’honneur de ce festival créé en 1993 – l’une des plus grandes manifestations américaines jetant un coup de projecteur annuel sur les cinémas africains. Une prestigieuse cérémonie organisée en hommage à ce créateur hors pair s’étaittenue à l’Apollo Theater. Au menu de la programmation du festival figuraient trois films d’Ousmane Sembène : Faat Kiné, son dernier opus à l’époque, et deux oeuvres premières inspirées : Borom Sarret (1963) et La Noire de… (1966). Les trois films étaient inclus sous une rubriqueintitulée Then and now, qui proposait une mise en perspective entre cinéma des origines et cinéma d’aujourd’hui.
Quel sentiment avez-vous éprouvé à l’idée de présenter Faat Kiné, votre dernier film, en plein cœur de ce quartier mythique dans l’histoire du peuple noir-américain ?
En fait, je connais Harlem depuis très longtemps. J’y étais même venu du temps des Black Panthers. Le quartier était alors interdit aux Blancs… Depuis, les choses ont changé. Toujours est-il que pour moi, présenter un film à Séoul ou à Harlem, c’est la même chose. Je me trouve dans tous les cas face à un public, qui est venu me voir. Et je suis là pour répondre aux questions et puis échanger.
Dans Faat Kiné, on voit des femmes qui fument, qui se retrouvent entre elles et conversent en toute franchise, sur le couple, l’égalité, la liberté, les préservatifs… Quelles ont été vos sources d’inspiration pour faire cette peinture moderne de la femme, où se profile, en filigrane, le mot émancipation ?
En fait, pour faire ce film, j’ai d’abord observé les femmes autour de moi. Et puis j’ai surtout mené des enquêtes auprès d’associations de femmes. J’ai pu constater qu’elles assument quantité de responsabilités et de rôles, que ce soit sur le plan économique, social ou culturel. Ce sont des forces vives, qui impulsent une dynamique à la société. Elles sont volontaires et de plus en plus indépendantes. Elles innovent. Elles bousculent les habitudes, les obstacles et les résistances. Comme vous le savez sans doute, elles sont de plus en plus nombreuses à faire de la politique. Il y a même des partis politiques qui sont dirigés par des femmes.
Quel message avez-vous souhaité transmettre avec ce portrait très optimiste de la gente féminine sur le continent africain ?
J’ai voulu donner un message chargé d’espoir et offrir l’image d’un certain héroïsme. Mais ce qu’il est important de signaler ici, c’est qu’il ne s’agit nullement d’un rêve ou d’une vision idéalisée. Ce que je raconte dans ce film, ce sont des histoires vraies. L’Afrique a changé – en bien ! -, en dépit des images que l’on nous montre à la télévision et malgré tous les problèmes dont nous ressassent les médias. Autour de moi, j’observe comme une renaissance. Une nouvelle Afrique est en train de naître. Avec les femmes. Elles sont épatantes. Je crois beaucoup en leur potentiel.
Vous faites le constat que les femmes s’affirment, et qu’avec elles la société bouge. Qu’en est-t-il de la place des hommes ? Peut-on observer comme une inversion du pouvoir ?
Voici un détail qui parle, me semble-t-il : aujourd’hui, ce sont les femmes qui amènent les hommes au cinéma. En amoureux. Avant, c’était le contraire. Chez nous, on dit que le mari est le premier enfant de la femme.
Vous revenez souvent sur votre responsabilité en tant qu’artiste. Comment la définiriez-vous ?
Un artiste n’est jamais neutre. Il m’importe pour ma part d’endosser cette responsabilité liée à la prise de parole qu’implique le cinéma. Il s’agit pour moi d’assumer la conscience de mon peuple et de proposer un projet d’avenir. Avec mes films, je cherche à susciter une réflexion, à générer des questions. D’ailleurs, je suis très content de voir que certaines associations tenues par des femmes projettent Faat Kiné et utilisent ce film comme support de discussion.

///Article N° : 8546

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