Le retour aux sources

Entretien de Samy Nja Kwa avec Sally Nyolo

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Ton deuxième album, « Multiculti », a été bien accueilli au Cameroun, tu as reçu les clés de la ville de Yaoundé 2, tu a été élue femme de l’année en 1998. Aujourd’hui, tu sors un troisième album solo, « Beti », conçu entre Paris et le Cameroun, Comment tu t’es organisée ?
Lorsque je suis allée dans la forêt au Cameroun, c’était pour parler de « Multiculti », et j’étais frustrée de ne pas pouvoir jouer avec les musiciens locaux. Alors, de retour à Paris, j’ai composé mes titres dans le froid, et je suis repartie au Cameroun dans la chaleur. Notre pays étant celui des meilleurs guitaristes, des meilleurs bassistes, j’ai été chercher le guitariste Roger Star et le bassiste D Kass. On a transformé une chambre d’hôtel en studio, je jouais des maracas, et dès que ma ligne de voix était enregistrée sur une piste, je fredonnais la ligne de guitare au musicien, et tout a formidablement marché. Sachant que je ne pouvais pas repartir non plus sans retourner dans la forêt, je suis allée voir mes amies, j’ai été saluer mes tantes dans les villages, elles avaient des histoires à raconter, elles m’ont donné des nouvelles « fraîches » du village, « Bebele ». De retour en France, avec mes lignes de basse, de guitares, d’accordéon, j’ai retrouvé Maman Tsogo Marie, une vraie « Béti », qui a chanté. j’ai ensuite demandé à mon batteur d’écouter et de jouer. Il y a cinq chansons jouées au Cameroun, et le reste a été fait à Paris. Comme je savais que cet album allait intriguer les gens, j’en ai tiré un film qui s’inspire du film « Graine de tonnerre ».
C’est quand même osé d’avoir appelé cet album « Beti »
C’est osé parce qu’on parle d’une culture africaine. Je suis Camerounaise et citoyenne du monde. Si je parle « Eton », ce dialecte vient d’un groupement de gens qui sont les « Bétis », à l’exemple des Yorubas, des Fangs, des Sarakholés, des Toucouleurs, toutes ces peuplades qui font notre beau continent. Et d’ailleurs j’aimerais apprendre ces sonorités pour la musique, le rythme. On a tendance à tout uniformiser, alors que les solutions se retrouvent dans le respect des cultures, qui passe par la langue. Il faut arrêter de penser que la culture de l’autre est une barrière, qu’elle va empêcher qu’on le connaisse mieux. Parce que derrière une culture, il y a des possibilités que l’autre ne s’est pas forcément imaginé. Nous devons garder cette authenticité qui se trouve dans les langues. C’est pour cela que je suis fière de dire que je suis Béti, Africaine et citoyenne du monde. Et en appelant cet album « Béti », j’espère faire découvrir mon peuple, nos forêts.
« Beti », c’est donc un retour aux sources, où tu accordes une grande importance aux voix de femmes, tes tantes, tes amies, les enfants…
Il y a aussi des instruments traditionnels, Andjeng Etaba Pantaléon a amené son mvet, qui est un instrument de bikutsi. Les voix sont à nouveau très importantes dans cet album parce que j’ai voulu qu’elles racontent le rythme, parce qu’il me semble qu’à l’origine ce sont les femmes qui chantaient ce bikutsi, a capella. Le seul rythme qu’on entendait est celui que suggérait leurs voix accompagnées parfois de claquements des mains, elles tapaient sur des bambous ou alors elles frappaient le sol des pieds. De là est donc né le rythme bikutsi, que les hommes ont instrumentalisé bien plus tard. A travers cet album, j’ai voulu faire la part belle à la femme. Il s’agit des femmes bétis que j’ai toujours connues, c’est une attitude de femmes d’hier, d’aujourd’hui et de demain, qui sont le symbole de l’amour, de la compréhension.
La nature joue un rôle important dans ta musique, tu règles tes instruments en t’inspirant du son de l’eau, du fleuve Lobé… Il y a toute une ambiance dans cet album, on pourrait presque sentir les odeurs locales !
Absolument. Pour moi, le retour au Cameroun signifie être en symbiose avec la nature. Parce que dans la jungle urbaine, je n’ai jamais cessé d’imaginer cette nature, mes pas, les oiseaux, la tonalité des gens, les enfants…
J’espère qu’il y a une odeur, parce que c’est la seule chose qui m’a été difficile de faire ressentir dans cet album. Effectivement, la terre rouge a une odeur. Après la pluie, l’eau sur la poussière dégage une odeur unique. Au Cameroun, toutes ces choses se réveillent, créent des délires de sons. J’ai envie de me laisser emporter par tout ce que je vois, ce que j’entends, et le retraduire à ma façon. L’eau est très importante au Cameroun, les gens vivent en bordure des fleuves : les pêcheurs, les enfants puisent de l’eau, les femmes font la cuisine. Il y a aussi une acoustique absolument unique.
Qu’est ce que la musique représente pour toi ?
Le monde souffre des différences. Or, à travers la musique, on a moins l’occasion d’avoir peur de nos différences, c’est un moyen de montrer que nos différences peuvent nous unir.

Sally Nyolo Beti (Lusafrica) ****
Elle en rêvait, elle l’a fait. Depuis la sortie de son deuxième album, Multiculti, Sally ne pensait qu’à une chose : jouer chez elle, au Cameroun, avec ses tantes, accompagnée de musiciens de sa région. Cette idée fut de bonne augure puisque le résultat est stupéfiant. Béti, son nouvel opus est un voyage guidé au coeur de la forêt équatoriale. L’artiste vous y souhaite une « bonne année ! » SNK///Article N° : 1333

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Les images de l'article
Sally Nyolo © Pierre Terrasson





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