à propos de Poussière de villes

Entretien d'Olivier Barlet avec Moussa Touré

Namur, octobre 2002
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Tu fais un film à l’extérieur de ton pays : un travail sur les enfants des rues à Brazzaville. J’imagine que tu ne parles pas le lingala qu’emploient les enfants du film. Comment s’articule un film de l’extérieur à un travail de l’intérieur ?
Je crois que nous nous avons tous une dimension intérieure et extérieure. Quand on part de chez nous et que l’on va ailleurs, ce que l’on emporte de chez nous est intérieur, tandis que de l’extérieur on regarde les gens, on intériorise. Ce travail est donc universel. Je crois que mon regard va constamment se diriger vers l’humain… Même dans la fiction, je m’intéresse aux visages, je touche… Arrive un certain stade de la vie où on se demande ce qui est vraiment important. On a fait des enfants, et je crois que les enfants deviennent vraiment importants. En ce moment mon regard remet beaucoup de choses en cause, et dans cette remise en cause, il s’est braqué sur les enfants. Ce qui m’interpelle le plus est que l’Afrique compte 50 % de moins de 20 ans.
Je trouve très intéressant qu’un cinéaste réalisant des longs métrages, et qui pourrait continuer d’arpenter les couloirs des palaces mondiaux, retourne sur le terrain, avec les enfants des rues, travaille avec le Forut (école de cinéma amateur de Dakar), et réalise des documentaires.
Je crois que le cinéma africain est là. A un moment j’étais contre Jean Rouch. Aujourd’hui je ne suis plus contre, parce que je suis sincère avec moi-même : il avait commencé pour que nous les Africains, quand nous en aurions les moyens, continuions. Je vais donc aller dans cette direction. Peut-être que les gens vont se dire que ce n’est pas du cinéma, mais pour moi, aujourd’hui, c’est le cinéma africain. Les films de Jean Rouch n’étaient pas stables, la caméra à l’épaule, etc., mais aujourd’hui la DV est là, très proche, elle est faite pour ça, elle est l’instrument adéquat. Je connais la technique cinématographique, et j’ai donc pu faire ce film tout seul avec cette caméra.
Il n’y avait pas un caméraman avec toi ?
Non.
Dans le film, quand tu poses les questions tu es donc derrière la caméra ?
Oui.
L’avantage de la DV c’est que l’on a pas le nez dedans.
Exactement. Ça permet une relation. Ces instruments ont manqué à ma génération, cela nous a pris beaucoup de temps. Ça continue à prendre du temps. Je crois qu’il est normal de donner ces instruments aujourd’hui à des gens. Le Forut est un endroit soutenu par les Norvégiens entre-autres. Je crois que mon devoir de cinéaste est de trouver des jeunes souhaitant apprendre les rudiments du cinéma et de les leur transmettre.
J’ai fait un film qui n’est pas encore monté, sur les malades mentaux. Je l’ai fait avec des jeunes, qui étaient mes assistants. Les cinéastes sont nombreux, mais les jeunes sont encore plus nombreux, donc si l’on souhaite que ça avance, et que l’Afrique ait une industrie cinématographique dynamique, il faut transmettre aux jeunes. Surtout avec les nouveaux instruments.
Je crois que ces films-là vont être l’avenir du cinéma africain. Ils sont universels. Il y a des films qui me fatiguent : ceux qui montrent la beauté. Si tu me montres celui qui regarde la beauté, alors là, ça m’intéresse. Le public risque de nous lâcher si on n’arrête pas. La majeur partie de notre public est allée en Afrique. Ils ont vu sa beauté, mais elle n’est pas que cela. Donc, montrons leur la réalité. Le Congo est un beau pays, mais ce n’est pas l’important.
On sent une émergence documentaire, notamment sur Dakar. Il y a des gens qui ont les structures adéquates, par exemple, comme Cheick Tidiane Ndiaye. Peut-on espérer qu’à terme, la télévision prenne cela en charge aussi ?
Je crois que très vite, la télévision va être obligée. Les gens ne se rendent pas compte que le système a changé, les arguments ont changé. Qui m’aurait dit :  » Moussa Touré, en deux ans tu feras deux films ?  » Avant, quand l’on tournait, tout le monde était au courant. Maintenant, presque personne ne savait que j’étais en train de faire ce film. Il va y avoir de la matière que la télévision va pouvoir montrer. Ce film, TV5 l’a acheté, et il m’en achètera sans doute d’autres, et pas seulement des fictions. Une vie cinématographique va se mettre en place, l’Afrique est documentaire, tout le monde le sait.
C’est aussi un changement de regard. Jusqu’à présent, c’étaient surtout des Occidentaux qui venaient faire des documentaires sur l’Afrique.
D’ailleurs on continue d’alimenter ce système en faisant de la fiction. Qui argumente vraiment ? Tu fais un dossier, tu l’envoies pour trouver des financements. Il y a des juges, même si certains sont Africains. Le regard diffère toujours.
C’est l’expérience de ton film  » TGV  » qui remonte ?
Oui, exactement. Je suis un dur, cinématographiquement, un Breton sénégalais.
Quels seraient les nœuds à défaire, qui permettraient cette émergence documentaire, ce cinéma très ancré dans la vie du pays ?
Ce sont les regards qui doivent commencer à découdre en premier. J’ai envie de rassembler tous mes copains et de leur dire :  » écoutez il nous arrive quelque chose, vous le savez, nous n’avons plus de public.  » Dès lors que l’on aura du public , ce sera la naissance de pluralités dans de nombreux domaines.
C’est un travail avec les exploitants, les distributeurs ?
Non, c’est d’abord un travail avec les cinéastes. Les exploitants nous attendent en Afrique parce qu’ils se sont rendu compte que le cinéma africain est moins cher, que même si c’est une petite salle, et que l’on projette avec la DV, c’est du vrai cinéma. Ils se sont rendu compte que leur argument de départ n’était pas bon. J’y ai fait une projection de ce film. Il y a le festival de cinéma de quartier aussi. Les exploitants sont en train de parler de cela en ce moment, j’ai entendu que Bassek au Cameroun veut commencer à installer l’équipement, à Dakar, il y a Khalilo Ndiaye qui a le matériel, qui l’a presque installé. Et moi j’ai un produit.
Ils vont aller très vite, ce sont les cinéastes qui vont être en retard parce qu’ils sont accrochés à la pellicule.
Quand tu parles de matériel, c’est le matériel de projection vidéo ?
Oui. Le représentant du ministère des Affaires étrangères est venu me voir récemment. Je lui ai dit de régler le problème en nous mettant des projecteurs. On a le produit, ce n’est pas que moi, Mweze aussi a fait un film, et peut-être d’autres. Je n’ai jamais été aussi bien cinématographiquement, jamais. J’ai un autre projet de long métrage qui va être fait d’une autre manière. J’ai un autre regard sur le long métrage, je le produirai moi-même. Tu sais ce que je vais demander au producteur ? De m’amener une table de montage numérique. C’est un coût très bas. Après on verra, s’il n’est pas projetable en France, il le sera chez moi. Et ça, c’est important.
Mais comment cela se passera au niveau de la production, parce que projeter chez toi ne rapporte pas grand chose…
Si. Projeter chez moi avec une vidéo caméra, ça peut rapporter. Les prix vont baisser. Ce qui ne rapporterait pas serait de faire un DV et de le kinéscoper… Le brut ne coûte pas cher, et le billet ne coûtera pas cher non plus. Les gens sont conscients de ça.
Est-ce que cela resterait dans le circuit salles ?
Le circuit salles, et l’autre circuit aussi, la vidéo par exemple, comme au Congo. La vidéo y marche fort, il n’y a plus de salle de cinéma. Haroun a été un des premiers Africains à ouvrir la porte, avec  » Bye Bye « , ça m’a ouvert les yeux. Cela nous a tous ouvert les yeux, et il est dommage qu’il ait fermé la porte alors qu’il allait dans ce sens là ce qu’il faisait était beau, léger et c’était possible. Et il est retourné dans les films, les scénarios à n’en plus finir. Reviens au bercail Haroun ! C’est moi qui te le dit, parce qu’il y a beaucoup de gens qui y sont revenus. Ce qui se passe en France et en Afrique est différent.
J’ai fait partie des chefs de file et j’ai changé. D’autres gens ont des projets comme moi là-bas, qui ont commencé, et je crois que c’est ça qui va marcher. J’en suis persuadé.
Qu’est ce qui permet la qualité de l’échange ? Ces gamins ont dû se méfier, il y avait la caméra, même s’ils avaient envie de jouer, il y avait un problème relationnel de départ. Comment le nœud s’est-il défait ?
C’est ce que je disais tout à l’heure. Je n’ai pas de problème, surtout avec les enfants. Ils me regardent et ça marche. Tu peux pas l’expliquer. Pour t’en dire quelque chose quand même : c’est le visage. J’ai remarqué que mes enfants regardent d’abord le visage des amis qui arrivent. Et là, c’est l’acceptation ou pas. Après seulement, ils regardent le pantalon. Ils m’ont regardé. Les enfants voient tout, tout ! C’est eux qui détiennent le nœud, ils te regardent et disent  » OK, lui, là, je peux avoir confiance « .
Et la situation d’étranger, le fait que tu ne parlais que le français, etc., ça posait une difficulté ?
Non, non, non. C’est un pays où presque tout le monde parle français. Ils ne sont pas très traditionnels comme nous, en Afrique de l’Ouest. Les gens de l’Afrique centrale ont laissé passer beaucoup de choses. Nous sommes très traditionnels, boubou, etc… Eux là-bas c’est cravate-costume, et dans leur tête c’est cravate-costume aussi. Ils sont  » out  » des cultures africaines. C’est cela qui leur amène une frustration importante. Il y a une petite minorité qui est très culturelle, il n’y a pas d’homogénéité.

///Article N° : 2656

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