À Mirontsy, cité côtière de Ndzuani, aux Comores, se falakate (1) une histoire. Anssoufouddine Mohamed, poète publié aux éditions Komedit et Coelecanthe, y écrit une histoire, celle du club Soirhani, chargée de mots, à l’envers comme à l’endroit, pour de jeunes lecteurs. Il y est question de passion pour la chose littéraire. Anssoufouddine Mohamed est membre fondateur du collectif Djando la Waandzishi.
Il est une nécessité absolue pour les enfants de lune, celle du droit au rêve. Rêve de nouveau monde, de vie nouvelle et d’histoire, avec un grand « H ». Désir de se projeter au-delà des murs de l’imaginaire transi d’une insularité sous tutelle. Pour ceux qui ne le sauraient pas, les fils et filles de lune sont les rejetons d’une terre, aujourd’hui connue sous le nom d’archipel des Comores. Il est une réalité impérieuse pour un auteur de littérature ensuite, celle de la course intelligente au lecteur. Mohamadou Kane, critique sénégalais, évoquait en 1969, dans la revue Présence Africaine, le principe d’un « public de raison » et d’un « public de cur », deux mondes entre lesquels slalome l’écrivain des tropiques, avec des malentendus certains. C’est bien connu, ce dernier n’est souvent pas lu par ceux dont il parle et ne converse parfois qu’avec des inconnus, pouvant acquérir son uvre en librairie. Un phénomène littéraire en soi. Un phénomène qui interroge sans cesse l’écrivant
Deux principes nourrissant la démarche d’un poète comorien, Anssoufouddine Mohamed, qui contribue à inventer le lecteur de demain dans son espace géographique d’existence, en falakatant (en bricolant et en colmatant) du rêve avec de jeunes lecteurs et lectrices assoiffées de mots, via une fréquentation assidue des choses du livre, au travers d’une passion naissante pour des objets de littérature. C’est le pari qu’il tente à Mirontsy, sa ville natale, située sur la côte à Ndzuani, depuis l’an dernier. Il y a fondé le club Soirhani des fous du livre. Où le mystère, le romanesque et la magie du conte sont mis en partage pour le grand bonheur des futurs petits rats de bibliothèque. Du théâtre, du récit, du vers en pagaille, ainsi qu’une manière toute singulière d’interroger les univers habités de la littérature. Où l’on apprend aux plus novices à marier les mots aux étrangetés de leur monde alentour, au nom du plaisir et du droit à la curiosité. Discussion autour des uvres, rencontre avec des auteurs, accompagnement à l’écriture ou encore mise en bouche des textes pour des lectures publiques : l’expérience menée par Anssoufouddine Mohamed, auteur de Paille-en-queue et vol aux éditions komedit et de En jouant au concert des apocryphes chez Coelecanthe, ramène à ce vieux récit, du temps de son adolescence. Lorsqu’il parcourait, à 10-12 ans, des kilomètres et des kilomètres de quartiers improbables, dans la capitale comorienne, à la recherche de trafiquants de bande dessinée.
Plus tard, Ousmane Sembène, Aimé Césaire, Robinson Crusoé ou encore Li Xintian, le « prodige chinois », viendront prendre la place des couvertures glacées de la série Tintin, des albums d’Akim color ou des numéros de Pif Gadget. Histoire d’un gamin qui confondit le livre avec un passeport pour la liberté. Conviction qu’il essaie de transmettre aux plus jeunes, aujourd’hui, dans un contexte miné, où la lecture, au-delà du coût du livre, passe pour un exercice de mutant has been. Le club Soirhani, ainsi nommé en hommage de l’école primaire du coin, donne parfois cette impression de voguer à contre-courant dans un pays mutilé où le citoyen, abruti par les lois de la consommation moderne, en oublie de réfléchir sur le rôle de la littérature dans son process d’épanouissement et de survie culturels. Les Comores sont pourtant une société où les mots de la littérature ont longtemps valu leur pesant d’or dans le destin commun. Mbaye Trambwe, Burhani Mkele ou Mawana : l’oraliture comorienne peut se prévaloir d’une poésie habitée, qui reste néanmoins méconnue pour nombre de gens de ces îles, faute d’une promotion agissante du fait littéraire. Une des missions que s’attribue le club Soirhani, avec des moyens, il est vrai, très réduits. Défendre un patrimoine, actuel et passé, leur semble une nécessité. Sans doute parce que le « Docteur », comme l’appellent les membres du Club au quotidien (il est cardiologue), n’imagine pas de festoyer au nom de la République des lettres, sans ses compatriotes écrivains.
Au club Soirhani, le lecteur n’attrape donc pas que l’art et la manière de côtoyer de grands auteurs étrangers, tels Danny Laferrières ou Jules Renard, déjà au programme, l’an passé. Il s’occupe aussi de tutoyer les auteurs-pays, tels Saindoune Ben Ali ou Aboubacar Said Salim. Le club Soirhani enseigne à son lecteur, par ailleurs, le comment on dompte la peur du verbe au contact de ceux qui ferraillent avec. Des auteurs sont invités à converser en sa compagnie. L’occasion pour lui, qui s’imagine parfois en scribe inspiré, et pourquoi pas, de comprendre que pour écrire, le sésame le meilleur demeure celui de la lecture. Un sésame déclencheur, en quelque sorte, qui aide à mieux se connaître, se reconstruire, s’ouvrir au monde et au langage. Soirhani apprend aussi à aiguiser son regard critique, à ses jeunes lecteurs. Pour la fin 2013, le club, en association avec d’autres partenaires, institutionnels et associatifs, compte élargir son audience, auprès des collèges et du public universitaire. Pour le moment, le « Docteur », en résidence à la Maison des Auteurs à Limoges pour deux longs, sur invitation du festival des Francophonies en Limousin, s’interroge sur les moyens d’embarquer d’autres partenaires sur ce long processus de falakatage des rêves et des imaginaires. Il reprend la barre sur le boutre Soirhani en septembre prochain à Mirontsy.
1. De falakater, verbe détourné du parler des boutriers aux Comores, qui signifie « bricoler » et « colmater » à la fois.///Article N° : 11700