Débats-forums Fespaco 2025 / 1 : Dani Kouyaté à propos de « Katanga, la danse des scorpions »

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Initiative du Fespaco 2025, une Semaine de la critique s’est tenue dans les locaux de l’Ex-CES (Conseil économique et social). Son équipe, constituée des journalistes de l’Association des critiques de cinéma du Burkina Faso (ASCRIC-B), y a organisé comme en 2023 les traditionnels débats-forums du Fespaco.

Elle recevait ainsi Dani Kouyaté dont le film Katanga, la danse des scorpions a reçu la récompense suprême, l’étalon d’or de Yennenga. Il était accompagné de Moussa Romba, co-gérant de Sahélis Productions. Le débat était animé par Annick Kandolo et Olivier Barlet.

Annick Kandolo : Nous recevons Dani Kouyaté et son producteur Moussa Romba. Inutile de retracer le parcours de Dani, avec ses films marquant comme Ouaga saga, Sia, le rêve du python ou Keïta ! L’Héritage du griot. Katanga, la danse des scorpions est une adaptation d’une œuvre de théâtre, La Tragédie de Macbeth, de William Shakespeare. Il s’agit de l’histoire de Katanga, chef de l’armée du royaume imaginaire de Ganzurgu. Il se trouve propulsé au pouvoir après avoir appris par un devin qu’il avait une destinée royale. Mais confronté à la gestion du pouvoir, il va peu à peu sombrer dans la folie. Pourquoi vous êtes-vous attaqué à ce monument ?

Dani Kouyaté : Merci. Pourquoi Shakespeare ? Parce que je voulais raconter une grande histoire dans une de nos langues, le mooré, parce que je pense que les langues, en particulier les nôtres, sont véhicules de force et de culture. Nous sommes des sociétés à tradition orale, si bien que la parole a une force physique et métaphysique. Et je pense qu’on n’a pas suffisamment utilisé cette force dans notre cinéma. J’avais déjà un peu essayé avec Sia, le rêve du python qui était d’ailleurs aussi une pièce de théâtre, de l’écrivain mauritanien Moussa Diagana. C’était en langue bambara. Cette fois, j’ai voulu m’attaquer à la langue mooré, qui est une très belle langue, aussi forte que le bambara. Et pour moi, les grandes histoires sont universelles. Shakespeare parle des êtres humains, de leurs angoisses, de leurs soucis, de leur bonheur et de leur malheur. Et de leurs rêves aussi, de leurs ambitions. Et de leurs faiblesses, et de leurs vices. Tout ça est dans Shakespeare. En adaptant Shakespeare, j’ai voulu montrer que nous aussi, nous pouvons plier les grandes histoires occidentales à nos besoins et à nos rêves. Un peu comme ils le font aussi chez eux, vu qu’ils prennent nos histoires et les mettent à leur goût. Ils le font à Hollywood, ils le font en France. Nous aussi pouvons plier leurs histoires à nos univers, pour peu que l’histoire soit forte et universelle.

Olivier Barlet : La pièce s’appelle La Tragédie de Macbeth mais c’est un conte que tu nous proposes, une fable politique. Le pouvoir rend fou. Dans le tragique français du XVIIe siècle, il y a la notion de héros. Chez Corneille, son courage et son honneur guident ses actes ; chez Racine, il combat inutilement contre son destin. Mais chez Shakespeare, c’est le héros élisabéthain, qui joue à plaisir de la transgression. Avec Katanga, on assiste à la déchéance d’un homme qui devient un tyran. En quoi était-ce intéressant pour toi ?

Dani Kouyaté : A travers le conte, c’est effectivement la question du pouvoir qui m’intéressait. Et la question des rapports de l’humain au pouvoir, la question de la folie du pouvoir, de la course au pouvoir, du diabolisme du pouvoir, c’est une question qui me fascine. Machiavel me fascine. J’ai voulu poursuivre la direction tracée par Sia, le rêve du python , où le fou s’affrontait au pouvoir. C’était le rapport entre la folie et le pouvoir. Je suis donc resté dans la même dynamique. Mais je pense que ce qui m’intéresse avant tout, c’est de raconter des histoires oniriques, des rêves, de rêver, de sortir du réalisme et de fantasmer. C’est ce qui explique que j’ai choisi le noir et le blanc. Quand j’ai décidé de tourner en noir et blanc, tout le monde était fâché. Personne ne comprenait pourquoi ! Pourtant, il y a de grands films en noir et blanc, encore aujourd’hui, qui sont magnifiques. C’est un choix esthétique pour me décaler de la réalité, pour vraiment être dans la fabulation. Et puis, il faut dire que, politiquement parlant, des équivalents de Macbeth, l’Afrique en a connu. Des fous au pouvoir, on en a eu !

Question de la salle : Concernant l’utilisation du mooré, vous avez travaillé avec le professeur Prosper Compaoré. Quelle a été sa touche ?

Dani Kouyaté : C’était un honneur pour nous d’avoir le professeur Compaoré, qui est très pris. Sinon, j’ai travaillé avec un traducteur. Le problème est que tu peux dire la même chose en mooré de quatre façons différentes, et ça ne veut jamais dire la même chose. Donc, on a travaillé avec deux traducteurs qui suivaient le travail, et notamment Ildevert Méda, qui est très calé en mooré. Moi, j’écris en français. Et les deux traducteurs prenaient le comédien en amont, plusieurs jours avant le tournage, et faisaient ce travail de traduction avec le comédien. Ils se mettaient d’accord sur comment on doit traduire, ce qui est un véritable casse-tête chinois. Parce qu’on se rend compte combien chaque mot est important. Comment est-ce qu’un proverbe peut remplacer tout un tas de dialogues ? Et même les sous-titres en français, c’est compliqué. Donc, c’était un jeu de ping-pong entre le français et le mooré, mais c’est fascinant. Mon but était justement de montrer que nos langues peuvent contaminer positivement la langue de Shakespeare et même la dominer. Je trouve que la version moorée est plus belle que la version de Shakespeare. Parce que nous avons apporté des nuances, des nuances incroyables. Si bien que ceux qui comprennent le mooré jouissent beaucoup plus que ceux qui lisent les sous-titres.

Le même interlocuteur dans la salle : Oui, on est un peu déçu quand on lit ce qui est écrit. Il y a des choses que tu ne peux pas traduire.

Dani Kouyaté : Comment traduire quand le personnage dit : « Le margouillat, il monte et il descend, sinon le mur il est là » ? (rires de la salle) Tu dois interpréter dans le sous-titre !

Question de la salle : Le film mêle des éléments du passé et contemporains. Que doit-on y voir ?

Dani Kouyaté : C’est un conte. Quand tu fais un conte, tu ne te poses pas la question du réalisme. Je suis dans un rêve. Et dans le rêve, tout est permis. Quand on dit Bassoumba est parti dans la forêt, Bassoumba est un lièvre, mais tu sais très bien qu’on parle des hommes. C’est la même chose. C’est un conte. C’est pour ça que je dis que c’est une fable politique. Je n’épouse pas la logique ou le réalisme. Et pour sortir de la réalité, je me mets en noir et blanc. Cela aide à camper l’univers dans cette dimension onirique et hors du temps, hors de l’espace. On ne sait pas où a été tourné le film, ni quand. On n’a pas de repère à ce niveau. À part les tricycles, bien sûr, qui viennent de Chine ! D’ailleurs, dans la maison du chef de terre, Tengsoaba, j’ai poussé le vice. Quand il sort de chez lui, je fais un travelling, et je tombe sur une antenne parabolique dans sa cour. C’était exprès pour casser les codes et les conventions. On mélange les kalachnikovs et les tricycles aux trucs traditionnels parce qu’on se situe hors du temps, de l’espace et de la réalité. Je suis dans un rêve.

Boukari Ouedraogo, journaliste : Macbeth a connu beaucoup d’adaptations au cinéma. N’était-ce pas une difficulté pour vous de prendre une histoire aussi connue ?

Dani Kouyaté : C’est une question intéressante, en ce sens que moi-même, je me suis inspiré de la version japonaise de Macbeth, Le Château de l’araignée de Kurosawa. En le regardant, on se dit que c’est une histoire japonaise. Rien ne suggère que c’est Macbeth et son adaptation. Je me suis dit que j’allais en faire une histoire africaine. Pour qu’on croie que c’est une histoire inventée ici, pour des gens d’ici. C’est ça qui m’a intéressé. Cela n’a pas été difficile pour moi. Je ne suis pas un fidèle de Shakespeare : j’étais dans la transgression. Je respecte les grands textes, mais je ne suis pas un puriste. Même la façon dont Katanga meurt, ce n’est pas comme ça que Shakespeare l’a écrit, puisque dans la pièce, il est assassiné. Je ne me suis pas imposé de contraintes. J’ai aussi vu la plupart des films qui ont été faits. Et ils sont quasiment tous très différents. Donc moi, mon adaptation, je pense qu’elle est vraiment un contre-pied des puristes de Shakespeare.

Aïda Touré, étudiante en communication : D’où est venue l’inspiration de créer ce film Katanga ? Etait-ce dû à une expérience personnelle ? Qu’est-ce qui vous a inspiré ?

Dani Kouyaté : Je suis dans le monde du théâtre comme je suis dans le monde du cinéma. J’enseigne le théâtre en Suède. Pour moi, le théâtre et le cinéma, c’est la même famille. J’ai mis quelques Shakespeare en scène. Au fond, j’étais à la recherche d’une grande histoire à raconter en langue mooré. Du coup, je ne suis pas allé chercher loin ! À un moment donné, j’avais commencé l’adaptation de La Tempête de Shakespeare, que je voulais tourner en Suède. Mais ça n’a pas pu se faire.

Question de la salle : Le casting est impressionnant. Comment avez-vous procédé ?

Dani Kouyaté : Il a duré un mois. Ildevert Méda était directeur de casting. Ma volonté était symboliquement de travailler avec toutes les icônes du cinéma burkinabé. Il y en a même d’ailleurs plusieurs qui sont parmi les notables, qui sont assis et qui ne font rien. Ils ont accepté d’être là, avec beaucoup d’humilité. Pour moi, c’était symbolique de les avoir.

Aïda Mourad, étudiante en licence communication : Comment comptez-vous révolutionner le cinéma au Burkina en tant que réalisateur ?

Dani Kouyaté : Comment je compte révolutionner ? Mais c’est à vous de révolutionner ! C’est une question très importante. Moi, je n’ai pas les outils pour révolutionner le cinéma au Burkina Faso. Mais vous, vous avez les outils, nous comptons sur vous. Lorsque j’ai commencé le cinéma, il était hyper élitiste. On tournait en pellicule, ça coûtait cher, les laboratoires étaient en France. Si bien que plein de jeunes comme vous ne pouvaient même pas prétendre faire un film. C’était hyper compliqué, un parcours du combattant. Ensuite, le numérique est arrivé. Ouaga Saga est mon premier film en numérique. C’était une vraie révolution.

Parce qu’avant, je peux vous donner un exemple. Quand je faisais Keïta ou Sia, on tournait à Bobo ou à Banfora, avec de la pellicule. Dans une boîte, il y avait deux minutes. Donc tu charges la boîte. Et quand on dit action, tu sais que tu as deux minutes, après c’est fini. Il faut mettre une nouvelle boîte. Et les boîtes coûtent très cher. Tu ne peux pas les mettre au soleil, parce que ça va cramer. Et donc on les mettait dans des glacières, avec un plastique et de la glace dessus, et on envoyait ça direct à l’aéroport depuis Banfora. Pour que ça aille le plus rapidement possible au laboratoire à Paris, où les pellicules étaient développées. S’ils nous disaient que tout est bon, cela ne voulait pas dire que l’acteur a bien joué ! Cela voulait dire que la pellicule n’a pas brûlé.

En numérique, tu tournes quand tu veux, tu filmes 10 minutes, tu vas à l’hôtel et tu regardes ce que tu as filmé. Si ce n’est pas bon, on le refait le lendemain. Vous imaginez la révolution ? Et maintenant, on me parle d’intelligence artificielle. Mais ça c’est à vous. Parce que moi j’ai déjà trop donné ! Et les outils, je ne les ai pas. Vous, vous avez les outils. Et vous n’avez pas de complexe. Ou du moins, vous ne devriez pas en avoir. Parce que vous avez les mêmes outils que tous les jeunes partout. Vous avez les mêmes logiciels, les mêmes ordinateurs, les mêmes caméras, les mêmes appareils photos qui font des images. Et donc, vous ne devriez pas être complexés. Parce qu’ils ne sont pas plus intelligents que vous. Et vous avez les mêmes outils. Donc, vous pouvez faire la révolution du cinéma burkinabé ! Ceci étant, l’outil est une chose. Et ce qu’on fait de l’outil est une autre chose. Ce qu’il faut, c’est mettre l’outil à votre service plutôt que de vous mettre au service de l’outil.

Nintiama Stessi: J’aimerais savoir s’il y a des scènes ou des moments qui ont évolué de façon inattendue pendant le tournage.

Dani Kouyaté : Voilà une question intéressante et complexe. Oui et non. Oui parce qu’il y a toujours une flexibilité. On doit toujours être prêt à changer des choses. Par exemple, au repérage, tu vois un très bel arbre. Tu prévois toute la scène, tu calcules tout. Le personnage arrive, il se met là. Et flûte, l’ombre est de l’autre côté. Ou bien tu as plein de figurants qui ont des bébés dans le dos et qui sont sous le soleil. Je ne peux pas maintenir des femmes avec des bébés au dos sous le soleil. Donc il faut être prêt à changer. Et bien sûr, tout le monde s’énerve contre toi. Ce sont des équilibres à trouver.

Dans certaines scènes qu’on a enlevées, des figurants étaient couchés, simulant la mort. Ils se couchaient sous le soleil et la maquilleuse leur mettait un peu de sang. Mais comme on ne tournait pas tout de suite, je leur disais d’aller se mettre à l’ombre. Et quand ils vont à l’ombre, ça gâte tout. Donc il faut recommencer à chaque fois. Et tout le monde s’énerve. Et moi, je dis que je ne peux pas les garder au soleil. On tourne en décor naturel et tout peut changer tout le temps. Il faut être souple. Mais l’avantage de la fiction, c’est qu’avec un peu d’imagination, on peut facilement s’en sortir. Justement, le producteur du film est là. Je l’ai fait venir parce que je pensais que quelqu’un allait me demander combien a coûté le film !

Moussa Romba : Je suis producteur, administrateur, gérant des services de production. On était sur ce projet depuis 2021. On voit l’aboutissement, 4 ou 5 ans après. Cela veut dire que ça n’a pas été facile. On a réussi à mobiliser une partie du budget, mais pas la totalité. Il faut donc retravailler le budget peut-être 4 ou 5 fois. Si on n’a que la moitié, on révise tout pour lancer la production. Ce ne fut pas facile, mais on y est arrivé. Le budget initial était autour de 650 millions de Fcfa. On a tourné en six semaines avec près de 400 millions. La préparation a été longue. Il fallait faire les repérages. On devait tourner dans le Sahel, à l’Ouest, dans la forêt, et certains décors au centre. Mais au regard de l’insécurité, c’était difficile. L’armée nous aurait accompagnés mais au moindre coup de feu, le tournage est arrêté. Du coup, on a tourné à 45 km de Ouaga, avec la difficulté de trouver des décors qui pouvaient convenir à l’histoire. En tout cas, on pense avoir réussi !


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