entretien de Boniface Mongo-Mboussa de avec Ahmadou Kourouma

Paris, octobre 1998
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Quand il publie en 1968 son premier roman : Les Soleils des Indépendances, Ahmadou Kourouma crée une tradition qui fera de l’Indépendance le thème principal de la littérature africaine. Sur le plan de la narration, Kourouma s’inspire de la tradition orale en transposant le malinké dans la syntaxe française. En 1990, il publie Monné, Outrages et défis : une épopée tragique du peuple de Soba livré à la colonisation par son roi Djigui.
Son dernier roman : En attendant le vote des bêtes sauvages. met en scène le rapport entre le pouvoir dictatorial et la magie au temps de la guerre froide.

Ce qui frappe à la lecture de vos romans, c’est le choix judicieux des titres. Le même temps vous est-il nécessaire pour choisir un titre et rédiger le roman ?
Peut-être pas autant. Mais un certain temps… Le titre initial de ce dernier roman était Le désoumana purificatoire du guide suprême. Mais je l’ai trouvé assez ronflant…
Dans En attendant le vote de bêtes sauvages, de même que dans Monné, outrages et défis, vous accordez une place importante à l’Histoire africaine. Tout se passe comme si vous vouliez faire à la fois oeuvre d’historien et de romancier.
Oui ! L’Histoire africaine joue un rôle capital dans mes derniers livres. Dans Monné, Outrages et défis, je voulais témoigner sur la période coloniale. Ici, je montre les conséquences de la guerre froide en Afrique. Tout le désordre que nous vivons actuellement en Afrique est la conséquence de cette guerre. Elle a créé des monstres. Ces derniers s’en vont, mais le tassement demeure.
Vous estimez que s’il n’y avait pas eu de guerre froide, le destin de l’Afrique serait autre que celui que nous connaissons à l’heure actuelle ?
Tout à fait. Si on avait par exemple commencé par la démocratie, on vivrait présentement autre chose en Afrique.
On sait que vous avez été tirailleur en Indochine. Dans votre dernier roman, la place accordée aux guerres coloniales est importante. Peut-on y voir des relents autobiographiques ?
Il y a une part d’autobiographie dans ce livre, ne serait-ce que parce que j’ai combattu en Indochine, et aussi parce que je connais assez bien l’époque historique que je décris dans En attendant le vote des bêtes sauvages. Mais il y a aussi une dimension ethnologique : j’ai « consulté »un certain nombre de textes ethnologiques avant de rédiger ce roman.
Le bestiaire y est aussi présent. On y rencontre beaucoup d’animaux totems. A quoi cela est-il dû ?
Cela est dû tout simplement au fait qu’en Afrique, nous vivons avec la nature, avec les animaux. Certes, ces derniers ne sont plus aussi nombreux qu’à l’époque de mon enfance et de ma jeunesse. Mais ils continuent d’habiter mon imaginaire. Dans mon écriture, je fais souvent référence à la tradition orale, aux contes et légendes.
Alors à quoi l’ironie est-elle due ?
A la tradition orale, bien entendu. C’est une des techniques du discours oral qui permet de capter et de maintenir l’attention de l’auditoire.
Dans Les Soleils des Indépendances, Salimata l’épouse de Fama était presque au même titre que son mari le personnage principal du roman. Dans En attendant le vote des bêtes sauvages les personnages féminins sont quasi inexistants.
Vous savez que chez nous la dictature est quelque chose de masculin. Il y a le personnage de la mère, mais il est en retrait.
Une dernière question. Vous faites souvent allusion à la colonisation. Mais celle-ci est ambiguë. Quel regard portez-vous sur la relation coloniale ?
La colonisation a apporté quelque chose à l’Afrique. Elle a changé radicalement le visage de l’Afrique. Elle a permis le contact des peuples. Elle a en quelque sorte ouvert l’Afrique au monde occidental. Mais elle a également causé beaucoup de tort à l’Afrique, tout comme l’esclavage d’ailleurs. Il faut dire que la colonisation était presque inévitable… Ce qui est sûr, c’est que les Africains ont aussi leur part de responsabilité dans ce qui leur est arrivé : dans l’esclavage, dans la colonisation ainsi que dans la guerre froide.

///Article N° : 534

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