(2/2) « Faut-il que l’on soit poète et passionné, rêveur et obstiné, pour oser créer une maison d’édition destinée à des lieux du monde très éloignés du microcosme littéraire français ? »

Focus sur les éditions Project'îles

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Africultures a rencontré Evelyne Trouillot, autrice de Les jumelles de la rue Nicolas et Ananda Devi qui publie chez Project’îles Deux malles et une marmite. Elles ont partagé leur rencontre avec les éditions, créées par Nassuf Djailani et Raharimanana, dans le cadre d’un focus consacré à cette aventure éditoriale. Lire aussi : « Notre lieu c’est l’Océan Indien »

Évelyne Trouillot : Nassuf Djailani m’a contactée pour me demander un manuscrit. J’ai regardé les choix d’édition et j’ai aimé la ligne éditoriale de Project’îles, cette ouverture, cette exploration d’un paysage littéraire trop peu connu en dehors d’un certain cercle. Des textes trop souvent prisonniers du regard des anciennes métropoles. J’avais ce manuscrit que je venais de revisiter [Les Jumelles de la rue Nicolas, voir chronique] et je l’ai envoyé à Nassuf. Il a tout de suite aimé et l’aventure a commencé. J’ai apprécié le temps passé à revoir, à éditer le manuscrit, nos échanges sur le texte avec Jean-Luc Raharimanana – même lorsque nous n’étions pas toujours d’accord – mais cela me confirmait dans mon opinion qu’il s’agissait d’une équipe sérieuse, animée par une passion de la littérature et des textes porteurs d’esthétiques et d’idées nouvelles.  J’ai apprécié en outre leur souci et leur enthousiasme à faire connaître les livres qu’ils éditaient. De manière plus globale, je suis tombée conquise par l’idée de faire éclater les frontières. Les littératures de langue française issues de la colonisation ou autres conquêtes, se connaissent mal ou pas du tout. Pour moi c’était l’occasion de briser les barrières et de découvrir d’autres perspectives, des paroles qui ressemblent ou pas à la mienne mais qui pourront sans aucun doute s’enrichir l’une de l’autre.

Ananda Devi : Faut-il que l’on soit poète et passionné, rêveur et obstiné, pour oser créer une maison d’édition destinée à des lieux du monde très éloignés du microcosme littéraire français ? Peut-être faut-il aussi être un peu fou, mais ce serait là une belle folie, une folie qui bouscule les attentes et les Cassandre, qui ose l’aventure dans un monde devenu bien trop frileux. Oser l’aventure de l’édition, pour l’amour des livres, pour l’envie de découvertes, par solidarité aussi pour tous ces écrivains qui peinent à se faire lire et entendre : c’est ce que Nassuf Djailani et Raharimanana – deux écrivains qu’il n’est plus nécessaire de présenter – ont fait en créant leur maison d’édition, Project’îles. Le nom sera familier à ceux qui connaissaient déjà la revue littéraire. Leur ambition était d’ouvrir les portes de l’édition aux auteurs de l’Océan Indien (Djailani est originaire de Mayotte et Raharimanana de Magadascar) et à sa diaspora, mais aussi aux autres voix des îles plus lointaines, à tous ces univers qu’il reste à découvrir, à ce foisonnement d’imaginaires, de voix, d’histoires qui attendent de se déployer, qui s’apprêtent à nous ensorceler. Déjà âgée d’un an, avec une dizaine de titres, la maison commence à faire parler d’elle. Elle a publié des romans, des recueils de poésie, ainsi que des essais dans une collection intitulée « Quel est ce mystère d’écrire ? ». Elle a accueilli des primo-romanciers et des auteurs confirmés. Le catalogue est riche et ambitieux. Et la suite ? La suite est encore à écrire, mais face aux désespérances, Project’îles est une petite, mais puissante lumière qui nous appelle.

Propos recueillis par Annie Ferret.

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