Fespaco 1997 : le développement sera culturel ou ne sera pas

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De retour du Festival panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou, Olivier Barlet propose une analyse des tendances actuelles de la cinématographie africaine à partir des longs métrages de la compétition.

Lors des précédents Fespaco, il était assez aisé de savoir quels films seraient primés : deux ou trois se dégageaient nettement, tant par leurs qualités techniques que par la pertinence de leur propos. Cette édition 97 témoigne d’une évolution profonde dans les cinématographies africaines. La grande diversité des films sélectionnés et leur accomplissement technique ont donné du fil à retordre aux différents jurys. Si l’étalon de Yennenga a été attribué à Buud Yam du Burkinabè Gaston Kaboré, c’est comme nous l’indiquions tant pour couronner un film qui poursuit brillamment son œuvre cinématographique (Wend Kuuni, Zan Boko, Rabi) que pour rendre hommage aux douze années passées au service du cinéma africain à la tête de la Fédération panafricaine des cinéastes.
Le temps de l’émancipation
Suite, quinze ans après, de Wend Kuuni, dont des scènes touchantes reviennent en des flash back aux tons dorés, Buud Yam est un voyage intérieur. Retraçant la quête initiatique d’un Wend Kuuni devenu adulte pour trouver les herbes qui guériront sa demi-sœur Pognéré, le film place l’introspection au premier plan : Wend Kuuni cherche son être intérieur et Pognéré s’efforce de sortir du trou du rêve qui la rend malade. Ce désir de comprendre qui on est pour saisir son être profond est une dominante des cinémas black aujourd’hui : après s’être réappropriés l’espace africain et avoir tenté de décoloniser la pensée, les films explorent ce désir d’appartenance et d’identité qui marque la société et la pensée africaines actuelles. Ils le font en affirmant des valeurs : celui de Kaboré parle clairement de tolérance, d’hospitalité et de solidarité, tandis que la clarinette de Michel Portal improvise magnifiquement sur les déplacements que capte une caméra légère.
Si donc le contenu des films évolue, c’est en s’émancipant des exigences anciennes de montrer une réalité et en privilégiant des expériences singulières. Les personnages gagnent en épaisseur psychologique et en contradictions, comme la mère Bavusi de Macadam Tribu (José Laplaine, Zaïre), évoqué dans notre dernier numéro. Cette introspection passe par des formes nouvelles ou l’ellipse remplace l’écriture linéaire. En récompensant Kahena Attia pour le montage du très beau Miel et cendres de la Tunisienne Nadia Fares Anliker, qui obtient également le prix Oumarou Ganda de la première œuvre, le jury a voulu encourager cette circulation dans le temps et l’espace entre trois femmes d’âge différent mais dont les vécus s’interpellent et se répondent. L’ellipse ouvre, comme le dit Kahena Attia, à la virtualité de l’âme, compréhension pour soi comme pour l’autre :  » L’Europe ne nous comprendra que lorsque nous serons capables de nous comprendre nous-mêmes !  »
Les allégories chantées de Tableau Ferraille prennent alors tout leur sens : le Sénégalais Moussa Sene Absa fait lui aussi un film d’appartenance. Si l’homme politique qu’il décrit chute si brutalement après être monté si haut, c’est qu’on lui a demandé d’être féroce et d’aller vite :  » Quand un train va partir, dit le réalisateur, on court derrière le train ou on attend un autre train. L’Afrique s’est embarquée dans un train trop rapide sans savoir où il mène.  » A l’Afrique d’inventer son propre système. Le film est servi par une superbe image de Bertrand Chatry, justement récompensée au palmarès.
Mais pour trouver ses propres marques, l’Afrique doit briser les traditions qui la restreignent : Tafe fanga s’attaque à la place inégale de la femme dans la société. Plutôt que de dénoncer une réalité quotidienne, le Malien Adama Drabo choisit de revenir au mythe : il part d’une légende où les femmes prennent le pouvoir. Le public se plie de rire en voyant les femmes porter le pantalon et les hommes le pagne, et se gausse des maladresses des hommes pour charrier l’eau ou piler le mil ! Le mythe permet d’affirmer des valeurs pour aujourd’hui : l’égalité dans la différence. Récompensé par le prix spécial du Jury, Tafe fanga quitte sur son dernier quart les métaphores qui font sa qualité pour devenir plus didactique :  » Je souhaite, dit Adama Drabo, qu’on me permette de l’exprimer ainsi car c’est la meilleure manière de toucher mon public. Je ne veux pas que le message se perde dans des considérations artistiques !  »
La femme de Faraw, mère de sable du Malien Abdoulaye Ascofare, n’a pas besoin d’asséner un message : son naturel et sa sincérité parlent d’elle-même, et le jury ne s’y est pas trompé en donnant à Aminata Keïta le prix d’interprétation féminine. Poignant, le film s’égare malheureusement dans des longueurs et un rêve qui tordent son propos. Allégé et remonté, il trouverait une force digne d’une sortie en salles.
Le temps du métissage
L’introspection ouvre les yeux sur ce qu’on est. Ilheu de Contenda (Leao Lopes, Cap vert) se penche sur la transformation de la société traditionnelle : tandis que la vieille aristocratie se désagrège apparaît une classe de mulâtres commerçants. Les cultures africaine et portugaise se mélangent dans des relations métissées. Loin d’une époque où l’on prônait la déconnexion d’un Occident diabolisé, des films s’ouvrent au mélange et au choc des cultures. L’affiche du Fespaco montre un enfant blanc et un enfant noir bras-dessus bras-dessous (une image impensable il y a quelques années) et un film sélectionné comme Choisis-toi un ami (Mamadou Keïta, Guinée) ne se définit plus comme du  » cinéma africain « . Africains, Métis et Blancs se côtoient sans que le propos ne mette l’accent sur l’africanité, ni même la différence : s’ils se cherchent une identité, c’est davantage dans les douleurs de leur propre histoire.
On retrouve cette exploration labyrinthique de la déchirure moderne dans Essaïda du Tunisien Mohamed Zran : un peintre de Tunis découvre dans un quartier de la périphérie un autre monde qu’il ne pouvait imaginer. La justesse de ton de ce drame de banlieue lui a fait trouver plus de 500 000 spectateurs dans son pays.
Nécessité du cinéma
Revendiquer l’introspection sur des êtres en crise, c’est sans doute l’originalité de la démarche actuelle. Il est frappant de constater que la diaspora noire afro-américaine se demande également avec force  » Qui et quoi sommes-nous ? Admirable question  » (Aimé Césaire). Naked Acts de Bridgett M. Davis met en scène une femme décidée à ne jamais montrer son corps pour ne pas reproduire la blackploitation qu’a subie sa mère, vedette de films érotiques des années 70. Elle découvrira que pour mettre a nu son émotivité d’artiste, elle doit prendre conscience de l’expression de son corps et la travailler. La démarche est douloureuse : The Keeper de Joe Brewster met en scène l’amitié puis la jalousie d’un gardien de prison d’origine haïtienne vis-à-vis d’un Haïtien qui lui offre trop le reflet de sa propre identité. De même, la fuite éperdue d’un aristocrate éthiopien révolutionnaire après un coup d’Etat manqué décrite dans Tumult de l’Ethiopien Yémané Démisissié révèle la difficulté à surmonter les ressentiments et les préjugés entre les vieilles classes. Lorsqu’il s’agit de réécrire l’histoire africaine, c’est toujours pour interroger le présent : les deux combattantes de Flame (Ingrid Sinclair, Zimbabwe) révèlent que, malgré le rôle qu’y ont joué les femmes, la lutte de la Chimurenga (libération de la Rhodésie) n’a pas réellement débouché sur une émancipation de la femme dans la société zimbabwéenne aujourd’hui.
L’introspection appelle une redéfinition du cinéma. Cela suppose de jouer avec les attentes du spectateur, ce flic qui cherche à comprendre, comme dans Aristotle’s Plot du Camerounais Jean-Pierre Bekolo, tourné au Zimbabwe (meilleur son au palmarès). Pour le forcer à la réflexion, il s’agit d’explorer d’autres systèmes de narration, au-delà des références habituelles :  » Le cinéma de l’an 2000 sera forcément un cinéma de mutants « . On se prend volontiers au jeu de Bekolo : à une voix-off impliquée livrant sa remise en cause du cinéma africain répond une provocante confrontation entre une bande de jeunes qui squattent une salle pour ne consommer que des films américains et un cinéaste ne voulant passer que des films africains. Je me suis pourtant lassé de ces passes d’armes et de ces clins d’œil, la déconstruction du récit ne débouchant pas sur une réelle poésie, le propos en restant trop au stade de l’intention.
Le Burkinabè Idrissa Ouedraogo est lui aussi allé au Zimbabwe pour tourner son dernier film, rebaptisé Kini et Adams, qui ouvrait le Fespaco hors compétition. Bourré d’humour et de tension, le film conduit à un cri final où le drame de l’homme africain se révèle au spectateur sans qu’il s’y attende. La fiction porte une réflexion sur l’homme et sa place dans le monde. Sans doute est-ce là la nécessité du cinéma dans une Afrique en crise et le grand message de ce Fespaco : le développement ne se fera pas sans la culture.
C’est pour se trouver les moyens de défendre cette thèse que la Fédération panafricaine des cinéastes réunie en Congrès s’est donnée un an pour réfléchir à une adaptation de ses statuts aux exigences de l’audiovisuel moderne. L’enjeu est de permettre la diffusion d’images africaines en Afrique (production, distribution, exploitation, télévision, vidéo). Histoire que les Africains ne finissent pas par se voir tout blancs !

///Article N° : 2565

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