Papa Wemba : de cette musique congolaise qui incite à l’immigration

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Depuis les Etats-Unis j’avais lu cette dépêche de l’AFP :
Le juge des libertés et de la détention de Bobigny a décidé de placer en détention provisoire le chanteur d’origine congolaise Papa Wemba, soupçonné d’avoir organisé depuis deux ans l’immigration clandestine de centains de ressortissants de la RDC (ex-Zaire)…
La mise en examen du chanteur Papa Wemba est un signal révélateur. Elle pose le problème de la responsabilité des musiciens africains quant à l’image qu’ils véhiculent auprès d’une jeunesse africaine en quête de modèles.
Papa Wemba est connu en Afrique pour avoir marqué l’histoire de la rumba congolaise qui a inspiré une tendance musicale aujourd’hui représentée par des vedettes de son pays comme Koffi Olomidé, Wera Son ou J-B Mpiana, ces trois artistes ayant été parmi les rares musiciens africains à se produire avec succès dans la salle mythique de l’Olympia ou à Bercy. Pour les Congolais de Kinshasa et de Brazzaville, Papa Wemba n’est pas un chanteur comme tous les autres. Il a une emprise sur les jeunes au point de leur  » dicter  » la manière de s’habiller, de se coiffer et de cultiver sans relâche le rêve du voyage en Europe, principalement en France et en Belgique…
Le chanteur ex-zairois, naturalisé belge, résidant en France, était un des pionniers de ce mouvement que les Congolais des deux rives appellent la Sape (1), commencé dans les années 70 et vulgarisé dans les années 80, avec encore plusieurs adeptes de nos jours. Un mouvement si populaire qu’une autre figure de la Sape, ami de Papa Wemba, surnommé  » Stervos Niarkos « , qualifia de  » réligion « …
La musique de papa Wemba n’a jamais été dissociée de la Sape, et Paris est toujours demeuré en filigrane comme le couronnement d’un vrai  » Sapeur « , la  » Mecque  » à visiter avant la mort de l’adepte.
Dans sa chanson Proclamation, Papa Wemba vendait déjà  » le rêve de Paris « , allant jusqu’à dire qu’aller en France était  » un examen  » et que le jour du retour au pays était considéré comme une  » proclamation « , une proclamation qu’il ne fallait surtout pas prendre à la légère.
C’est encore lui qui immortalisa la Ville Lumière dans sa célèbre chanson Champs Elysées, dans laquelle il raconte sa promenade dans la plus belle avenue du monde, aux bras de sa bien-aimée.
C’est toujours lui dans la chanson Matebu qui égraine la liste des couturiers parisiens, japonais ou italiens : Daniel Hechter, Yoji Yamamoto, Giorgio Armani etc.
Cette idéalisation de la Sape, cette incitation à l’immigration est devenue un passage obligé pour les autres chanteurs, épigones de Papa Wemba. En son temps, le musicien Rapha Boundzeki, du Congo-Brazzaville, toujours sous l’influence du  » pape  » de la Sape, composa dans les années 80 une chanson intitulée Parisien refoulé dans laquelle on découvrait l’histoire d’un  » Sapeur  » refoulé de France après une période d’incarcération et qui avait du mal à faire accepter son statut honteux de  » refoulé  » dans son pays natal.
Que dire des slogans du musicien Djuna Djunana qui lançait à chaque chanson :  » En direct de Métro Bonne Nouvelle !  » ? Ou du musicien Modogo, un autre ami de Papa Wemba, qui louait La Place Vendôme dans une chanson éponyme ?
Que dire de la plupart des albums des musiciens congolais qui citent des listes de noms de personnes résidant à l’étranger dont le plus connu d’eux, Etienne Moundélé, le fameux millionnaire congolais victime d’un cambriolage largement médiatisé en France, lui qui gardait des centaines de milliers d’euros chez lui, dans une banlieue parisienne ?
Dans certains des albums congolais, le musicien va jusqu’à citer plus de… trois cents  » Parisiens  » (2) ou  » Belgicains  » (3) ! Je pense par exemple à l’Album Attentat de Koffi Olomidé, qui a fait ses classes dans le groupe musical de Papa Wemba.

La musique congolaise, surtout celle de la vague  » soukouss  » ou  » ndombolo  » de ces dernières années ressemble aujourd’hui à une tribune où les artistes se relayent pour exciter la jeunesse africaine à l’aventure vers l’Europe. La mise en examen de Papa Wemba montre à quel point il est urgent de responsabiliser ceux qui ont le rôle d’adoucir nos mœurs et non de les pervertir. Peut-on hypothéquer ou brouiller le prestige d’une carrière en jouant les philanthropes ? Encore qu’en l’occurrence, il serait mal venu de parler de philanthropie puisqu’il serait question d’argent, d’organisation d’une immigration clandestine comme le souligne la dépêche de l’AFP. Papa Wemba est-il victime de ce rêve de Sapeur qu’il a perpétué tout au long de sa carrière ?
Il reste que cette nouvelle, qui nuit à toute la musique africaine, devrait faire réfléchir ceux ou celles qui misent sur la naïveté de certains candidats à l’immigration clandestine…

1. Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes.
2. Sapeur résidant à Paris.
3. Congolais (ex-Zaire) résidant en Belgique.
Alain Mabanckou est romancier, poète, et professeur des Littératures francophones et des Etudes africaines à l’Université de Michigan (USA)///Article N° : 3016

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