Aller au cinéma dans ce festival est comme entrer en religion : on laisse le soleil et le bleu de la mer pour écouter dans des salles obscures le visage tourmenté du monde et l’interrogation de cinéastes pénétrés de réalité. Ce sont, en compétition officielle, les personnages désespérés et terriblement humains des quartiers défavorisés à Londres de Mike Leigh (« All or nothing »), les amours impossibles du film un peu trop mortifère de Robert Guédigian (« Marie-Jo et ses deux amours »)
Mais c’est aussi l’angoisse des cinéastes devant l’intégrisme montant, l’intolérance et la logique de confrontation. « L’oiseau d’argile », de Tareque Masud, un film du Bangladesh faisant l’ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs, met en scène un jeune envoyé dans une école coranique par son père. Situé à l’époque de la révolte contre le Pakistan qui fondera le Bangladesh, le film s’érige en saga familiale dans la pure tradition de la chronique historique pour dresser le procès de l’intégrisme religieux et de ses conséquences. Une image léchée mais qui sait éviter le trop d’effets n’est pas dénuée de beauté et le devenir de cet enfant résume avec brio les enjeux humains de l’enfermement dans la règle.
Le film vient de sortir en salles, distribué par MK2 : il a eu 33 entrées le premier jour, 69 le deuxième, sur 7 salles parisiennes. Il mérite mieux ! Qu’on se le dise ! « Stars Wars », c’est du pro mais « L’oiseau d’argile », c’est du senti !
Bien sûr, l’actualité vibre comme toujours à Cannes et il n’est pas neutre que « Kedma » de l’israélien Amos Gitaï présenté à Un certain regard soit confronté au « Mariage de Nara » du palestinien Hany Abu-Assad à la Semaine de la Critique. C’est bien de confrontation que parlent ces deux films, mais ils ne la jouent pas. Le film de Gitaï, dont on connaît les sympathies pacifiques et l’acuité du regard sur sa société, est situé en 1948, où Arabes et Juifs se font la guerre dans des conditions de guérilla, tandis que les Britanniques font de l’entraînement. Le film est absolument superbe dans son travail de caméra. Il commence par un plan-séquence montrant longuement le dos d’une femme qui enlève finalement son corsage pour se joindre à un homme qui l’embrasse et l’étreint sur une couche sommaire avant de se lever : tandis que la caméra le suit, on découvre la cale et finalement le pont bourrés de monde d’un bateau. Le « Kedma » est un « Exodus » qui débarquera ses passagers dans un chaos de combattants errants et qui les forcent à prendre aussitôt les armes contre un ennemi qu’ils chassent de leurs terres. Tout le début du film est dans ce mouvement de caméra, plans-séquences silencieux et poignants où le vécu du peuple juif est magnifiquement évoqué à l’image. Puis il bascule dans la parole et reste bouleversant pour aboutir à la déchirante imprécation d’un immigré qui laisse sortir ses tripes, tournée en travellings de droite et de gauche au milieu du désordre d’un convoi qui peine à s’organiser. C’est de souffrance qu’il est question, de la souffrance d’un peuple qui a tant souffert qu’il en finit par en faire un élément de sa propre définition, et qui, suggère Gitaï, finit par la provoquer pour exister
S’il n’a pas les mêmes qualités d’introspection, « Le mariage de Nara » a lui aussi la maturité de sortir de la confrontation malgré la dureté des conditions de vie des Palestiniens aujourd’hui (lire la critique). On sent bien que l’enjeu de ces films est d’exister pour ce qu’on est et c’est pour ça qu’ils nous passionnent, tant ce défi est celui des expressions culturelles auxquelles nous nous intéressons. Qu’il s’agisse de pointer les contradictions et les enfermements de sa propre définition identitaire ou de tenter de restaurer une image humaine de soi face aux stéréotypes, nous sentons à quel point les problématiques de l’Afrique sont partagées par le reste du monde.
Contrairement à la quasi-absence de films de réalisateurs d’ascendance africaine l’année dernière, ce festival a cette année ouvert ses sélections aux films d’Afrique. Nous essayerons dans les jours prochains de vous faire partager ces moments, avec bien sûr aussi les critiques des films et les entretiens avec les réalisateurs et les acteurs.
Bon et ben les mauvaises langues avaient raison : comme chaque année, il pleut à Cannes. Sauf que cette année, c’était pas les premiers jours. Bien sûr, ça a sérieusement changé l’ambiance des petites paillotes, pardon : guinguettes, heu
tentes, non : stands de bord de plage où les invités africains de l’Agence de la Francophonie ou du ministère des Affaires étrangères baignent leurs pieds en sirotant sous un parasol en attendant les contacts miraculeux (chacun sait que Cannes est comme Lourdes : producteurs, distributeurs, journalistes s’y pressent comme des apparitions, sauf que quand on les cherche ça devient aiguille dans botte de foin). Moi qui revient de Dakar et juge le soleil français comme de la gnognote à côté, j’ai grillé sérieux en interviewant le réalisateur nigérian Sadike Balewa après le petit cocktail mondain du CNC, ce qui fait maintenant rigoler tout le monde, non à entendre mon anglais oxfordien mais parce que j’ai maintenant le crâne bien basané vu ce qui me reste sur le caillou.
Bref, c’était plutôt passionnant de discuter avec Sadike (lequel n’avait bien sûr aucun problème avec le petit soleil français, comme quoi il n’est pas toujours bon d’être blanc), vu qu’on en sait bien peu ici sur le Nigeria, en dehors bien sûr de l’article passionnant de Patrice Monfort dans un récent numéro d’Africultures (dossier « Cinéma : l’exception africaine »). A noter que le « Film Africain » (édité par le festival d’Amiens) nouvellement sorti pour Cannes (le dernier numéro datait de Cannes 2001) est un vrai pavé bourré de bonnes infos et d’articles de fond, et qu’il comporte notamment un dossier sur la vidéo nigériane. Il faut dire que le phénomène est de taille : 1000 films vidéo produits cette année, parfois tournés en un seul jour !!! A lire donc, l’entretien avec Sadike Balewa.
Flora Gomes était aussi là pour les petits fours : hop, rendez-vous est pris, en compagnie de son producteur Serge Zeitoun. Le cinéma c’est le poker et « Nah Fala » n’a pu être prêt pour Cannes. Il s’en est fallu de peu et, une fois n’est pas coutume, nous avons discuté du film alors que je ne l’avais pas vu. A lire donc en avant-première et absolument exclusif : une interview sur le film par un critique qui ne l’a pas encore vu : entretien avec Flora Gomes et Serge Zeitoun. Et comme un bonheur ne vient jamais seul, Fatou Ndiaye, actrice principale de « Nah Fala » mais aussi du célèbre téléfilm « Fatou la Malienne », nous a rejoint. Hop micro : lire l’entretien avec la belle Fatou Ndiaye !
Vu qu’on est pas là que pour tailler la bavette avec les réalisateurs, il y avait aussi les films de ce samedi. Inutile de redécrire cette année encore la course de la gente journalistique dans ce festival d’enfer : oreille sur le portable pour décrocher une interview auprès des attaché(e)s de presse, cartable avec ordinateur, enregistreur, micro, appareil photo etc dans une main, sandwich de fortune à dévorer en quatrième vitesse dans la troisième main, la quatrième devant rester libre pour serrer la paluche des personnalités rencontrées à chaque coin de gazon labouré par les milliers de curieux en quête de stars et qui vous regardent bien pour savoir s’ils ne vous ont pas vu à la télé. J’aurais bien aimé vous parler du petit bout de Spike Lee dans « Ten minutes older », une élucubration collective comme le cinéma aime régulièrement nous en montrer : chaque réalisateur (et non des moindres : Victor Erice, Werner Herzog, Jim Jarmush, Chen Kaige, Aki Kaurismaki, Wim Wenders et notre Spike Lee national) avait dix minutes pour ergoter à sa manière sur son interprétation du « temps ». Inutile de dire que cela devait aller dans tous les sens. Rush pour entrer dans la salle Bazin, salle réservée à la presse mais beaucoup trop petite pour les milliers de journalistes présents. Vu que la hiérarchie règne à Cannes et que ce sont les tirages qui décident de l’ordre, je n’ai que le rang « bleu » (couleur des badges sésame des entrées prioritaires en salles), ce qui n’est pas si mal puisque les infortunés « jaunes » et « oranges » doivent attendre à l’extérieur que je sois entré, après que j’ai attendu que les « roses » et les « blancs » (les super extras critiques vedettes) n’aient pas rempli la salle.
On essayera de se rattraper demain, c’est promis, mais rien n’est simple, le nombre de projections étant très limité et l’agenda surchargé.
Par contre, j’ai pu m’introduire dans la même salle pour voir « La Cité de Dieu », un film brésilien sur les favelas où tous ceux qui ont lu notre dossier « Brésil noir » savent que le noir est la couleur dominante. Film étonnant, coup de tonnerre qui réveille ceux qui se sont couchés tard et ronronnent dans les salles. Les droits mondiaux ont été vendus dès la première projection. Lire la critique.
A demain, je ressors mon parapluie
Et ben voilà, il suffisait de foncer voir l’attachée de presse pour rentrer en priorité : j’ai pu voir le court de Spike Lee dans le programme « Ten Minutes Older ». Bien sûr, je pourrais vous dire qu’il n’y en a pas que pour lui, que les autres c’est très bien aussi, que le Victor Erice est beau et émouvant sur la question de la mémoire du jour où les troupes nazies franchirent la frontière espagnole le 28 juin 1940, le Werner Herzog s’intéresse à ce qu’est devenu le dernier peuple encore coupé du monde découvert il y a 20 ans en Amazonie, le Jim Jarmusch s’amuse sur les dix minutes de pause d’une actrice sur un tournage, le Chen Kaige métaphorise de belle façon sur les changements du Pékin d’aujourd’hui
Mais le Spike Lee (intitulé « We Wuz Robbed ») était très bien aussi, montage de petits bouts d’interviews des responsables démocrates américains racontant le moment où Bush a été déclaré président par les télévisions avant même que le résultat ne soit sûr et se concluant sur la remarque d’un d’entre eux : « on s’est fait baiser ! » (traduction du titre) – effectivement, cet effet d’annonce savamment orchestré a fait basculer Gore dans le rôle de celui qui ne reconnaissait pas la victoire de Bush. Intéressante remise en mémoire, fort bien orchestrée en noir et blanc, et montrant que les Africains-Américains avaient massivement voté pour Gore (18 % des votes alors qu’ils représentent 11 % de la population des Etats-Unis).
Puisqu’on est dans les courts métrages, continuons : il y en avait deux qui concernaient nos problématiques. « Muno », de Bouli Lanners (Belgique), présenté à la Quinzaine des Réalisateurs, avait déjà été vu à Namur en octobre 2001 (tiens, moi qui croyait qu’on ne voyait que des nouveautés à Cannes). Sympa et bien accueilli (cf critique).
L’autre, présenté à la Semaine de la Critique, « Malcolm », est de Baker Karim, un Ougandais vivant en Suède : un destin d’immigré (cf critique).
Et le soir, hop voiture pour aller six kilomètres plus loin, à Théoule, où le CCAS présente une belle sélection de films dans son festival parallèle à destination du public local. J’aurai l’occasion d’y présenter jeudi « La Noire de
» d’Ousmane Sembène, film invisible s’il en est – c’est dire la qualité de la programmation qui comprend aussi « L’Afrance » d’Alain Gomis. Le CCAS (comité d’entreprise d’EDF-GDF qui avait organisé l’événement Noir-Black-Negra à Cannes il y a quelques années) soutient régulièrement les cinémas d’Afrique : valeureux exemple d’intérêt pour une France multiculturelle dans une société qui joue le repli sur soi !
Le 20 mai 2002
L’avantage à Cannes, c’est que tout le monde est là. Dans le grand manège des rencontres et des opportunités, des idées lancées et des déceptions lâchées au coin d’un verre, des quêtes de tout un chacun pour trouver qui un producteur, qui un distributeur, qui un financeur, une vie est là, celle d’un cinéma qui se cherche, qui a du mal à exister face aux grosses machines, qui travaille avec des bouts de ficelles et est pourtant condamné à concurrencer ceux qui ont eu tout le budget nécessaire.
Il fallait aller jouer sardines dans une salle surchauffée de 20 places pour voir deux films africains non-sélectionnés mais qui tentent d’exister quand même, comme tant d’autres, en marge du festival.
Le premier, Paris selon Moussa, du Guinéen Cheick Doukouré, que l’on connaît pour « Blanc d’ébène » et « Le Ballon d’or », ose être plus actuel que bon nombre de films sélectionnés. Les sans-papiers est-il un thème trop rabâché dans la France d’aujourd’hui ? Des documentaires militants (dont nous avons parlé en son temps) ont décrit leur lutte et ses enjeux, cette fiction tente de la faire sentir d’une autre façon, plus intérieure et subtile. Ce n’est pas une démarche militante, c’est un regard qui ne juge personne, dresse un constat qui se veut sensible. (lire la critique)
Le second est un chant, à la fois pathétique et courageux lui aussi, une interrogation complexe et sans concession sur la question du départ qui déchire les sociétés arabes et la Tunisie en particulier. « Le Chant de la Noria » signe le retour sur les écrans d’un ancien du cinéma tunisien, Abdelatif Benammar, auteur de « Une si simple histoire » (sélectionné à Cannes en 1971) et de « Sejnane » (Tanit d’argent à Carthage en 1974) qui n’avait pu tourner depuis « Aziza », malgré le succès que ce film qui avait obtenu le Tanit d’or à Carthage en 1980. Il a continué comme producteur, notamment avec « Les Baliseurs du désert » de Nacer Khemir en 1983 et « Cur nomade » de Fitouri Belhiba en 1988. (lire la critique)
Nous avons rencontré les réalisateurs : vous pourrez lire ces entretiens très prochainement.
Ainsi, le départ, l’émigration, la fascination pour l’ailleurs marquent nombre de réalisateurs qui fouillent l’imaginaire de leurs peuples autant que le leur propre. C’est aussi le thème d' » Heremakono – En attendant le bonheur », le très beau film d’Abderrahmane Sissako présenté dans la sélection officielle à Un certain regard. Il n’est pas possible de voir tous les films passant dans les différentes sélections, surtout avec les interviews et les projections parallèles, mais depuis le début du festival, c’est le premier film qui me met dans une telle subtilité d’émotion. Certes, les brûlures historiques de l’Arménien Atom Egoyan (« Ararat ») ou la dureté des réalités sociales anglaises finement décrites par Ken Loach (« Sweet Sixteen ») ne laissent pas indifférent, mais ils n’ont pas cette poésie dans l’image, ni même cette profondeur humaine du détail métaphore que ne peut avoir que celui qui regarde sans juger mais en disant « ça me regarde ». (lire la critique)
Le festival avance et une impression s’affirme : la gravité. Les films sont pénétrés de l’état du monde et le monde va mal : conflits, misère, exclusion, désespérance
Mike Leigh n’y va pas de main morte dans sa description des banlieues londoniennes (« All or nothing ») et Ken Loach aligne un très beau scénario pour la peinture sociale de cette Angleterre qui ne va pas aussi bien que voudraient nous le faire croire ses résultats économiques (« Sweet Sixteens »).
C’est aussi la mémoire qui est en cause et notre capacité à réfléchir le passé pour éviter les bégaiements de l’histoire (« un peuple qui ne réfléchit pas son passé est condamné à le revivre » disait Goethe) : Atom Egoyan met ainsi sa dextérité au service de la mémoire arménienne (« Ararat »).
Dans cette ambiance, dans cette grande interrogation sur le devenir de l’homme, les films d’Afrique, bien que pétris de la dure réalité du Continent, font figure d’exception : ils sont plus que jamais porteurs d’espoir. Plus encore : ils ne sont pas donneurs de leçon. Au contraire, ils constatent, témoignent, suggèrent une compréhension, par petites touches. Nous avons rencontré Abderrahmane Sissako sur son film « Heremakono – En attendant le bonheur ». Un vrai bonheur de pouvoir échanger avec lui tant une profondeur s’installe aussitôt, une appréciable profondeur malgré le bruit et l’agitation qui nous entourait sur la terrasse de « Un certain regard », grouillante de réalisateurs, attachés de presse, journalistes et autres gens pressés : entretien avec Abderrahmane Sissako.
Ni « Heremakono » ni les autres : les films d’Afrique actuels ne jugent pas, ne stigmatisent pas, mais cela ne leur enlève aucune détermination, aucune radicalité. Elle est ailleurs, dans la démarche personnelle du réalisateur, dans sa tentative de comprendre le monde, de s’appuyer sur l’humain, de trouver les voies de l’espoir.
Yamina Bachir Chouikh a mis six ans à réaliser son premier long métrage : « Rachida », en sélection officielle à « Un certain regard ». Un cri qui vient du profond de l’Algérie, qui ne laisse personne indifférent : la salle lui a rendu un hommage ému, debout, dix bonnes minutes. « Rachida » manque certes du souffle qui en ferait un grand film mais il a la force du témoignage intérieur, du cur ouvert de la réalisatrice : on ne peut passer à côté (lire la critique).
Ce fut un montage financier difficile depuis 1996 où le scénario est déjà sur la table. C’est en obtenant le fonds d’aide au développement du festival d’Amiens en 1998 que le film est sur les rails. Pour deux mois de tournage et quatre mois de postproduction en France, se mobiliseront Arte France Cinéma, le Fonds Sud, l’ADC Sud (ministère des Affaires étrangères), la fondation Gan, Titra Films mais aussi des sponsors algériens comme Renault Algérie qui a fourni des véhicules, DHL qui a transporté la pellicule et Heinkel qui a aidé financièrement. Même le service des douanes algérien a mis sa logistique au service du film, également coproduit en France par Ciné-Sud promotion de Thierry Lenouvel. Malgré la déliquescence des structures du cinéma en Algérie, Yamina Bachir Chouikh a comme son mari Mohamed Chouikh refusé la voie de l’exil. Ils organisent ensemble un festival de cinéma jeune public à Timimoun, à 1200 km au Sud d’Alger. Sa parole sonne fort. C’est comme le film, ça ne s’oublie pas : entretien avec Yamina Bachir Chouikh.
Ne pas juger, essayer de comprendre, suggérer cette compréhension sans pancarte ni haut parleur, par l’histoire : c’est aussi la démarche du Malien Assane Kouyaté dans « Kabala », sélectionné par la Semaine de la Critique. « Une histoire simple pour poser le problème de l’avenir » : Assane Kouyaté répond à toutes les critiques de « cinéma calebasse » qu’il peut entendre, avec douceur et conviction. Non, ce n’est pas passéiste de situer un film dans un village de brousse aujourd’hui : c’est là que se jouent les nuds du développement. Eau, santé, évolution des murs, rien que du très actuel pour l’Afrique. Mais la modernité du film est aussi dans le traitement du personnage principal, Hamalla : lire la critique.
Là encore, un film fait avec des bouts de ficelle, et en plus avec la volonté d’uvrer avec les techniciens et acteurs locaux. Avec la force d’une conviction : celle que la valeur humaine du film n’est pas dans la technique, et que son ancrage local, l’implication de son équipe se sentiront dans le résultat malgré les insuffisances. Il est passionnant d’entendre Assane Kouyaté sur ces thèmes : entretien avec Assane Kouyaté.
Les 23 et 24 mai 2002
Et voilà le quatrième film d’Afrique sélectionné, et non des moindres, cette fois à la Quinzaine des réalisateurs : « Abouna », du Tchadien Mahamat Saleh Haroun.
Synopsis : Tahir a quinze ans, Amine en a huit. Ils se réveillent un beau matin pour apprendre que leur père a mystérieusement quitté la maison. Ils sont d’autant plus déçus que, ce jour-là, il devait arbitrer un match de football opposant les gosses du quartier. Ils décident alors d’aller à sa recherche à travers une longue errance dans la ville, inspectant les différents lieux où il avait l’habitude d’aller. Sans résultat
De guerre lasse, ils se laissent aller, préférant l’école buissonnière, traînant au hasard des rues, se réfugiant dans les salles de cinéma
Un soir, dans la pénombre, il leur semble reconnaître leur père à l’écran. Les deux frères s’arrangent pour voler les bobines du film
Un joyau abondamment applaudi (lire la critique et l’entretien avec Mahamat Saleh Haroun).
Avec quatre films dans les sélections cannoises, l’Afrique est plus que présente cette année. Belle revanche sur 2001 où aucun film d’Afrique sub-saharienne n’avait été choisi. Par contre, la Tunisie qui présentait cette année cinq films n’en a aucun ici, alors que l’année dernière, « Fatma » de Khaled Ghorbal la représentait à la Quinzaine des Réalisateurs. Bien sûr, la concurrence est vive mais un film comme « Bedwin Hacker » de Nadia Elfani aurait pu par son originalité passer le cap d’une sélection (lire la critique). Elle était quand même présente à Cannes (lire notre entretien), invitée par l’Agence de la Francophonie qui fait chaque année un gros travail de présentation des films qu’elle a soutenu, organisant des séances spéciales, faisant venir cinéastes et acteurs ou actrices, mettant son stand à leur disposition, tant et si bien qu’il devient le rendez-vous des copains en une ambiance d’autant plus conviviale qu’il est en bord de plage, les pieds dans l’eau.
La Quinzaine présentait aussi « Only the Strong survive », un petit bijou d’un vieux du documentaire, Donn Alan Pennebaker, accompagné à la réalisation par Chris Hegedu, tous deux considérés comme les « papes » américains du film musical. C’est un bien agréable voyage au cur de la Soul music : des musiciens proches de la cinquantaine et dont on n’a aucune image construite alors qu’ils sont au plus fort de leur voix et de leur présence sur scène. Certes, la mode n’est plus à la soul mais son influence sur le rap, le hip-hop et la disco est profonde. Et puis quelles personnalités ! Quel rythme ! Toute la salle swingue dans les fauteuils, un vrai plaisir.
Pennebaker n’est pas Wenders : son approche est moins cinématographique que « Buena Vista Social Club », mais il saisit volontiers la vie, les rencontres dans les aéroports, les paroles saisies avant un concert
Et surtout, il leur laisse le temps de nous émerveiller sur scène.
A noter aussi à la Quinzaine les « petits films sur la mondialisation », poursuite d’une démarche dont les premiers avaient été montrés l’année dernière. « Funerals », le film du Nigérian Newton Aduaka, dont on avait pu voir « Rage » au Fespaco, se détache par son traitement : tourné en noir et blanc et dans l’improvisation, il laisse des cinéastes choqués par les obsèques d’un camarade réalisateur qui s’est suicidé s’affronter sur ce que doit être le cinéma. Ici, c’est le Noir qui rêve de faire du cinéma hollywoodien et une jeune Blanche qui défend un cinéma de la réalité quotidienne. Rien d’étonnant quand on sait que Newton Aduaka partage son temps entre Londres et Paris, a été en résidence à la Cinéfondation en France en 2001 et a fait ses études en Angleterre où il critique vivement l’emprise du cinéma hollywoodien.
Ça sent la fin
Le marché du film plie bagage, les invités se font plus rares, les salles moins remplies
C’est le moment des prix et du palmarès dont tout le monde parle, sans bien savoir cette année qui a le plus de chance.
Surprise : le prix de la critique internationale (Fipresci) attribue son prix à « Heremakono -En attendant le bonheur » d’Abderrahmane Sissako, « pour la poésie et la délicatesse avec lesquelles il décrit la vie de tous les jours, ses imbroglios comiques et sentimentaux ». Me voilà fier d’être au Syndicat français de la Critique de cinéma, dont les membres participent aux jurys Fipresci dans les festivals du monde entier ! Consultant du comité de sélection de la Semaine de la Critique pour les films d’Afrique, ayant donc pour mission de fouiner dans les nouvelles productions pour dégoter les perles rares susceptibles d’être présentées à Cannes, j’avais eu l’occasion cette année de proposer un certain nombre de films, le comité de sélection restant maître de ses choix (et d’ailleurs sélectionné un film arrivé tard, qui ne m’était pas passé entre les doigts). Cela correspondait aussi à un intérêt nouveau pour les films d’Afrique, qui s’est manifesté dans toutes les sélections.
Est-ce parce que les cinémas d’Afrique opèrent aujourd’hui un renouvellement qui leur permet, malgré le peu de productions en nombre, d’être présents sur les scènes internationales ? Nous en avions témoigné dans notre dossier d’Africultures 45 « Cinéma : l’exception africaine ». Ça bouge dans les cinémas d’Afrique et un autre événement permettait de s’en rendre compte en ce samedi : le prix Djibril Diop Mambety.
En partenariat avec la Quinzaine des réalisateurs, l’association Racines décernait à une séance spéciale un prix parmi une sélection de cinq courts métrages. Un peu frustrant : on ne voyait que des extraits des quatre non-primés, avant de découvrir l’autre en totalité, heureusement. Cela venait après une longue introduction présentant les nombreux sponsors mais c’était justifié car l’intérêt du prix est de permettre au réalisateur de refaire en film en lui offrant tout ce qui le lui permettra : Kodak offre 1500 euros de pellicule, CFI et TV5 3000 euros pour sa réalisation, etc S’y ajoutent Car-crip films, Cinecam, Dakar voyages, Laïka Films, LTC, Multivolts, Spma, Teletota, Titra-films
Les cinq films sélectionnés passeront en intégralité sur RFO en septembre. Tous à vos cassettes ! Autant qu’on pouvait en juger au petit extrait qui nous était offert, ils valent le coup : « Le Ballon » d’Orlando Mesquita (Mozambique, 4′) montre comment on se débrouille avec un préservatif quand le ballon de foot a crevé ! « Daouda et la mine d’or » de Raso Ganemtore (Burkina Faso, 17′) décrit l’enfer et les rêve des enfants forcés d’être chercheurs d’or. « Jour de grâce » de Mamadou Tintin Sène (Sénégal; 23′) accompagne Ablaye qui a douze ans, entre péripéties et mal-être. « Rendez-vous » de Mariette Monpierre (Guadeloupe, 12′) est tourné à New York : une femme élégante a rendez-vous dans un restaurant français mais personne ne vient
Enfin, « Le rêve de Nico » de Selven Naïdu (Ile Maurice; 22′) prend pour base l’épreuve du certificat d’études primaires qui terrorise chaque année 20 000 enfants et leur famille. Nico est d’une famille rasta modeste de Maurice et craint d’arriver en retard, que le bus ne tombe en panne. Entre rêve prémonitaoire et destin du réel, « Le rêve de Nico » a bien mérité le prix DDM qu’il a reçu : prenant, sensible, il joue sur le suspens de savoir si le rêve va se réaliser. Fonctionnant comme un livre pour enfants, les anecdotes y sont à la fois évocations subtiles de la réalité et clins d’oeil à l’imaginaire. La beauté de l’image, travaillée mais jamais esthétisante, en font un beau livre d’images.
Djibril Diop Mambety, merveilleux cinéaste sénégalais décédé il y a trois ans mais dont l’originalité et la créativité auront marqué les cinémas d’Afrique et d’ailleurs, n’aurait pas renié ces cinq films, à commencer par celui de Selven Naïdu. On verra à lire notre entretien qu’un petit film de 22 minutes comme « Le rêve de Nico » puise dans toute une interrogation sur son pays, toute une complexité de vécu et de pensée.
C’est peut-être ça la magie de Cannes : chacun y vient comme il est, avec son ballon, pour voir, écouter, rencontrer, rêver.
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