A l’origine, une invitation : Erez Pery (cf [notre entretien]), directeur artistique du Festival des cinémas du Sud, organisé chaque année à la cinémathèque de Sderot (Israël) par le département cinéma et télévision du Sappir College (8000 étudiants) où il enseigne, avait remarqué Une affaire de nègres et fait venir en 2009 Osvalde Lewat avec son film. C’est sur cette école de cinéma hors-norme, la School of Sound and Screen Arts, que se penche le film : située à 2 km de la frontière de Gaza, près de Sderot où tombent parfois des roquettes, étudiants israéliens et palestiniens s’y côtoient à la faveur d’un enseignement qui prend en compte les tensions à l’uvre et tente de situer le cinéma comme une arme possible pour sortir de la pensée unique.
Le fondateur de l’école est Avner Faingulernt, dont le magnifique Men of the Edge (Hommes du bord, 2005) décrivait la progressive dégradation des rapports entre pêcheurs israéliens et palestiniens sous la pression des événements politiques. C’est ce qui sous-tend le film d’Osvalde Lewat et le rend passionnant, la question du vivre ensemble y étant posée comme une question de cinéma, c’est-à-dire la façon dont on rend compte du réel. Il fallait pour cela capter la parole, se centrer sur elle, assister aux cours d’Erez Pery où les débats vont bon train avec les élèves sur les films analysés. Erez recentre toujours sur les questions de cinéma : Comment filmer sans trahir ? Comment rendre compte du contexte ? Comment lutter contre les lavages de cerveaux ? Comment situer les symboliques ?
Les quelques respirations impressionnistes (fouille des sacs au check-point, abri anti-roquettes, incursions chez les habitants de Sderot) soutiennent la réflexion par leur contextualisation, tandis que quelques questions posées à Avner Faingulernt et Erez Pery précisent leur démarche. Ce sont des battants, sans illusions. Car la question centrale sera celle de la prise sur le monde de cette école qui en dérange plus d’un. C’est alors que le couperet du réel tranche durement les idéaux et que le film met en exergue les contradictions : tandis qu’une conversation entre étudiants, où l’alcool permet de se lâcher, rappelle combien les préjugés ont la peau dure et reproduisent une hiérarchie entre les étudiants, le commentaire indique que seuls 15 % des films produits au sein de l’école sortent du cinéma nombriliste ou commercial habituel.
Osvalde Lewat avait tourné des images mais prévoyait de revenir pour un tournage plus construit. Avec un sujet aussi délicat, les financements n’ont pas suivi : il a fallu faire avec l’existant. Cela se sent dans les voies ouvertes qui ne seront pas développées, comme cette féministe palestinienne qui a droit à un beau temps de parole mais ne sera plus là pour défendre son point de vue, son positionnement tant intellectuel qu’humain. On saute ainsi un peu d’une parole à l’autre, si bien que l’épaisseur humaine de ses précédents films est ici plus ténue. Surtout, un approfondissement aurait permis de dépasser la simple captation des débats pour fouiner dans les contradictions que masque l’apparent dialogue.
Mais il est clair que ce film, outre la rare expérience d’aller voir ailleurs comment se déclinent des thèmes parfaitement continentaux, belle occasion de les « dé-autochtoniser », a l’immense mérite de reposer lui aussi la question du rôle de l’art pour faire progresser le vivre ensemble. Il ne l’aborde pas dans l’autocongratulation enthousiaste des réalisations communes (style orchestre mixte qui monte un concert dans des conditions difficiles) mais dans la difficulté du terrain où les ombres sont plus sombres que ne voudraient le croire les âmes idéalistes. Dans la foulée du beau My Land de Nabil Ayouch, Sderot, last exit associe la douleur du constat et la vigueur de l’utopie, ces deux termes sans lesquels on ne peut envisager de documenter le réel.
///Article N° : 11913