Jeunes talents d’Afrique : produire et diffuser les courts métrages

Conférence au festival de Cannes 2008

Print Friendly, PDF & Email

Cette table ronde s’est tenue au Pavillon des cinémas du Sud le 22 mai 2008 durant le festival de Cannes. Elle est consacrée à la production et la diffusion des courts métrages en Afrique animée par Olivier Barlet (Africultures), avec la participation d’Hélène Vayssières (ARTE), Philippe Germain (Agence du court métrage), Michel Ouedraogo (Fespaco), Gaston Kaboré (réalisateur), François Belorgey (MAEE), Elodie Ferrer (Festival des 3 Continents) et Angèle Diabang Brener, Mati Diop et Diana Gaye (réalisatrices sénégalaises). On en trouvera ci-dessous la complète transcription.

François Belorgey : Bonjour. Deuxième rencontre professionnelle de la semaine, consacrée aux courts-métrages en Afrique subsaharienne. Cette semaine est consacrée aux Femmes du Sud, nous allons donc nous concentrer aussi sur les jeunes réalisatrices du Sénégal. Nous avons demandé à Olivier Barlet, président d’Africultures, de nous faire une présentation du court-métrage en Afrique subsaharienne, milieu dont il a une certaine expertise. Avec nous également, Michel Ouedraogo, nouveau délégué général du FESPACO qui, comme vous le savez, a une fenêtre consacrée aux courts-métrages dans la compétition. Nous avons demandé à Hélène Vayssières (ARTE) de nous parler des aspects de la diffusion du court-métrage ; elle interviendra aussi au sujet de la valorisation du court-métrage africain sur cette chaîne. Enfin, Philippe Germain, responsable de l’Agence du court en France et dont la politique est assez intéressante en matière de valorisation du court-métrage. Gaston Kaboré est là en tant que cinéaste et réalisateur. Il va nous donner son point de vue et expliquer son regard sur ce genre. Nous accueillons également Angèle Diabang Brener, jeune réalisatrice et productrice sénégalaise ; Dyana Gaye, qui a reçu de nombreux prix pour son court intitulé Deweneti. Enfin, Mati Diop, jeune réalisatrice sénégalaise qui fait ses débuts.
Je passe donc la parole à Olivier, qui va animer cette rencontre.
Olivier Barlet : Merci, François et bonjour à tous. Petite introduction sur le court-métrage, et plus précisément le court-métrage en Afrique. D’abord, je tiens à souligner que l’absence de court-métrage dans une cinématographie est un véritable drame, car on dit souvent que le court-métrage est une manière de faire ses armes. Qu’est-ce que ça signifie ? François précisait à l’instant que je m’occupais d’Africultures. Il s’agit d’une revue et j’ai l’habitude de dire qu’une revue est un laboratoire de la pensée. Je dirais volontiers que le court-métrage est un laboratoire de cinéma ! Mais de quel type de laboratoire s’agit-il, avant cette synthèse, cette vision globale que peut être le long-métrage ? C’est un double geste. C’est d’abord un geste de création au sens artistique du terme, c’est-à-dire qu’on ne ressert pas un « déjà connu » ou un « déjà dit ». C’est aussi un geste d’existence, c’est-à-dire l’affirmation de quelque chose. Et dans les courts-métrages, qui sont souvent (pour ne pas dire presque toujours) réalisés par de jeunes réalisateurs, il y a l’affirmation d’une culture jeune. Ils vont éventuellement s’opposer ou retravailler les fixations qu’ils peuvent déceler dans leur société ou le cinéma. C’est donc une expression engagée. Création et existence : ces deux gestes posent la question d’un rapport au passé. C’est-à-dire la question de la filiation, qui est vécue comme une tension. Je crois que, fondamentalement, le court-métrage est pénétré par cela. Après, on peut s’interroger sur ce qu’est un bon court-métrage, tout comme on se demande ce qu’est un bon film. En général, on n’a pas de réponse à ce genre de question à deux sous ! En tout cas, ce que n’est pas le « bon » court-métrage, c’est comme le disait Alain Bergala l’acte brillant, l’acte hyper codé du petit malin qui se fait une carte de visite, qui cherche à séduire : « regardez comme je sais bien faire ». Le court-métrage « carte de visite » est tout le contraire de ce qu’est le cinéma, c’est-à-dire filmer un personnage dans son épaisseur, dans son passé, dans sa part de mystère, et lui donner ainsi une existence qui va dépasser l’existence du « proprement scénaristique ». Comme le long-métrage, le court-métrage va pouvoir atteindre son but s’il amène le sentiment du temps, à l’encontre d’une volonté exclusive d’énonciation. Ainsi, pas de crispation sur la maîtrise et plutôt cette écoute du rythme des êtres et des choses, qui donne une véritable liberté et une vie dans le plan, qui font que les personnages donnent l’impression d’être libres sans être prisonniers d’un scénario.
En Afrique, je dirais volontiers que les choses ne sortent pas de rien : on voit des courts-métrages émerger là où il y a des formations. Là où il y a, par exemple à Dakar, le Médiacentre ; à Ouagadougou, avec les formations PROFIS qui se sont transformées en véritable école de cinéma avec ISIS ; à Yaoundé, avec les classes de cinéma. On peut aussi penser à ces pays où les choses sont beaucoup plus structurées : les écoles de cinéma au Maroc, en Tunisie ou en Afrique du Sud. On y observe une grande production de courts-métrages. Il y a les formations d’un côté, et puis il y a de l’autre les initiatives, les ateliers, les émergences qui sont soutenues, à Madagascar par exemple où un réalisateur nommé Laza a pris la chose en main, avec l’appui du centre culturel français ainsi qu’une association de jeunes réalisateurs malgaches (l’IRIS) qui font du court-métrage. C’est une véritable initiative collective. En République Démocratique du Congo, notamment du côté de Lubumbashi, on assiste à l’émergence d’un certain nombre de produits très locaux, très spontanés et qui, à la faveur d’ateliers, vont pouvoir avoir une existence.
Il y a aussi des commandes, des programmes. On a vu par exemple M-Net et son programme Africa Dreamings, ou cette programmation des « Cinémas du monde » (qui a disparu du festival de Cannes sans crier gare, on ne sait pas très bien pourquoi) lorsque la Tunisie était invitée, avec une dizaine de courts produits par Ibrahim Letaïef sur une initiative bien particulière et un programme bien précis.
Et bien sûr, il y a les festivals. Sans festivals, impossible de voir ces courts-métrages. Ils offrent aussi la possibilité de débattre, de former un groupe, d’avoir cette véritable émulation qui permet de poser la question de la création. Les Rencontres du court-métrage de Madagascar en sont à leur troisième édition ; le Festival du film court de Yaoundé a rencontré un grand succès avant d’être compromis par l’état de santé de son principal responsable… Il y a en Afrique de nombreux festivals de Cinéma. Michel Ouedraogo pourra nous dire combien le FESPACO promeut le court-métrage. Il en va de même pour les Journées cinématographiques de Carthage… Des festivals, il y en a ! J’ai téléphoné tout à l’heure au webmestre d’Africultures pour savoir combien il y avait de festivals consacrés au cinéma en Afrique dans la base Sudplanète qui reprend tous les festivals existants : il m’a répondu 94. Et la plupart de ces festivals ont une visibilité pour le court-métrage.
Concentrons-nous donc à la fois sur la production (dans toute cette tension que nous venons d’évoquer) et la diffusion qui en découle. Et adressons-nous d’abord à Hélène Vayssières de ARTE. Vous êtes chargée des courts et moyens-métrages chez ARTE France, et donc de l’achat et du préachat des films. Quel est votre sentiment sur la production et, éventuellement, la diffusion ?
Hélène Vayssières : Je peux vous expliquer comment ça fonctionne pour le court-métrage à ARTE. Je précise d’ailleurs que j’ai apporté des petits dossiers de presse qui comportent à la fin pour mémo les conditions d’achat et de préachat d’un court-métrage. Le court-métrage sur ARTE existe depuis la naissance de la chaîne : il y a toujours eu du court-métrage. Nous avons actuellement deux cases de diffusion : la première s’appelle « Court-circuit », le mercredi après minuit. Elle diffuse des courts-métrages qui vont jusqu’à trente minutes, ainsi que quinze minutes de magazine autour du court-métrage. Nous avons aussi une case qui s’appelle « Medium », qui est diffusée deux fois par mois le mardi, également autour de minuit. Elle diffuse des moyens-métrages de 31 à 59 minutes. Cela signifie que nous couvrons tout le spectre du court-métrage puisqu’en France, la notion juridique de court-métrage correspond à une œuvre de 59 minutes maximum. Juridiquement, la notion de moyen-métrage n’existe pas. Comme nous avions historiquement une case de trente minutes, nous avons créé une case « au-dessus », jusqu’à 59.
Concernant la politique d’achat, ARTE étant une chaîne franco-allemande, nous nous sommes partagé le monde avec l’Allemagne. ARTE France s’occupe des courts-métrages francophones tandis que l’Allemagne s’occupe du reste du monde, à l’exception des films d’animation, pour lesquels les deux branches de la chaîne s’engagent pour le monde entier. Pour vous donner un ordre d’idée, nous avons acheté 22 films l’an dernier et nous en avons reçu 800. Nous avons préacheté huit fictions et quinze animations. En terme de scénario, nous avons dû en recevoir entre 250 et 300. Il est vrai que nous avons une offre extrêmement importante, pour ne vous parler que d’ARTE France, et des possibilités moindres d’achat et de préachat. Christian Tison, que je connais depuis l’époque où il était producteur, m’avait appelée pour me proposer de participer à ce projet de courts-métrages en Afrique subsaharienne. J’ai trouvé cela très intéressant et j’ai pu ouvrir un préachat de films qui avaient été présélectionnés par le jury. Cette année, nous avons donc sélectionné le moyen-métrage de Dyana Gaye, qui est une comédie musicale. Pour l’instant, le film n’est pas tourné car entre-temps Dyana a fait une autre œuvre, un petit garçon. On attend également que le financement soit complet, elle pourra ensuite tourner son film qui sera diffusé dans la case « Medium », s’agissant d’un moyen-métrage. Voilà, j’ai essayé d’être courte !
O.B. : Merci ! Vous pouvez passer le micro à votre voisin, Philippe Germain, qui est donc délégué général de l’Agence du court-métrage. Vous travaillez beaucoup sur les questions de diffusion mais aussi d’information, car vous avez une base de données sur le court-métrage qui regroupe, me semble-t-il, 14.000 titres…
Philippe Germain : Oui. L’Agence du court-métrage est une association créée en 1983. Elle s’occupe depuis vingt ans de la diffusion de films courts. J’ai bien apprécié votre entrée en matière car il est vrai que nous nous retrouvons tout à fait dans ce que vous avez dit : nous prenons avant tout les courts-métrages comme des œuvres à part entière. On ne regarde pas si les futurs cinéastes ont un apprentissage ou pas, ce sont pour nous des œuvres de cinéma qui doivent être regardées en tant que telles. Il est vrai qu’il y a une vingtaine d’années, les films courts avaient tendance à disparaître du regard des publics car de moins en moins de salles les diffusaient. Il est vrai que la télévision n’avait pas pris le relais pour diffuser ces films. Depuis vingt ans, nous essayons donc de mettre en place une circulation de ces films et de faire en sorte que les publics puissent les rencontrer. Cela passe par un travail auprès des salles de cinéma ; nous avons des dispositifs soit en première partie de programme, soit en programme complet. Cela passe aussi par une grosse activité, celle des festivals de courts-métrages. En France, on recense à peu près 350 festivals qui diffusent à un moment donné du court-métrage avec des thématiques. On peut citer par exemple le Festival de Montpellier et celui de Lunel, qui tournent autour des cinématographies méditerranéennes ou d’Afrique. On peut donc dire qu’en France, il y a un gros travail de diffusion du court-métrage qui, paradoxalement aujourd’hui, avec la multiplicité des intervenants (festivals, salles de cinéma, télévisions…), respecte peut-être davantage les œuvres et les artistes que ce qu’on peut voir dans l’économie du long-métrage, par exemple. On sait très bien qu’en France, les films qui ne font pas de rentrée d’argent sont sacrifiés par les salles de cinéma et disparaissent de la mémoire. À l’Agence du court-métrage, on essaie de conserver la mémoire du court-métrage français depuis vingt ans maintenant. On dispose donc aujourd’hui de 14.000 films recensés sur des copies 35 mm, toujours susceptibles d’être diffusés et qui ne disparaissent donc pas de la mémoire collective. Si à un moment donné, un « passeur d’images » (et j’aime bien ce terme), qu’il s’agisse d’une salle, d’une télévision ou d’un festival, souhaite diffuser un film qu’il a repéré, qu’il a envie de transmettre à des publics (larges ou scolaires, associations…), le film est toujours accessible. C’est ainsi que l’an dernier, dans tous les actes de programmation qu’on a pu faire, à peu près 30 % des films qui ont été diffusés par l’Agence du court-métrage avec ses partenaires sur le terrain étaient antérieurs aux années 1980. On essaie donc de faire en sorte que les films ne disparaissent jamais de la mémoire et puissent toujours être transmis aux différents publics.
Concernant le Cinéma africain, les films que nous avons sont plutôt produits par des sociétés de production françaises, mais tournés en Afrique. On peut citer le film Deweneti ; Denko de Mohamed Camara, Cousines de Lyes Salem… Ce sont donc des films tournés en Afrique mais avec des producteurs majoritairement français. Il y a aussi une grosse partie de la production qui est celle de réalisateurs originaires d’Afrique mais qui ont émigré en France. Ils interrogent le regard sur l’Afrique depuis la France. Nous ne menons pas aujourd’hui d’opération spécifique autour de la question africaine car nous estimons que ces films intègrent naturellement une politique de diffusion plus large. Deweneti a obtenu l’an dernier le Prix de la qualité au CNC, il a été intégré dans un programme appelé « Courts d’aujourd’hui » pour lequel les Cahiers du Cinéma et l’Agence du court-métrage sélectionnent des films. Ce film a circulé, comme d’autres, dans une cinquantaine de cinémas en France. Aujourd’hui, nous travaillons aussi la question de la diffusion au niveau africain en essayant d’initier des accords de co-diffusion, par exemple avec des producteurs tunisiens. L’idée serait d’accueillir au sein de l’Agence du court-métrage des films issus de la production tunisienne et que des films français puissent également rencontrer des publics tunisiens. On est donc vraiment dans la question de l’échange, du croisement des regards. Chacun s’enrichit de la pratique de l’autre. Nous sommes en train de réfléchir à cela pour sortir un peu des dispositifs institutionnels et aller vers des actes militants, et des gens sur le terrain travaillent à cette résistance. Nous avions fait une table ronde au Festival des Trois Continents et la question de la mémoire m’avait marqué. C’est un travail de soutien à la production des films, mais on s’interroge très peu sur la conservation de ces films ou sur la possibilité de faire un « maillage » du territoire africain avec un côté régional. Il me semble qu’aujourd’hui, il faut se poser à la fois la question de la production et de la diffusion. Nous sommes en quelque sorte à une étape charnière pour ces deux aspects, car si ce patrimoine disparaît, c’est tout un pan de notre histoire qui disparaît. Nous réfléchissons donc à la mise en place d’une conservation iconographique, mais aussi d’une conservation de la matière : on sait aujourd’hui qu’il y a les nouvelles technologies, la vidéo. Pour l’argentique, on peut posséder une copie, la repérer, savoir où elle est et ne pas avoir de souci parce que ça dure cent ans. Mais comment conserver cette mémoire vidéo physique pour les années futures, la transmettre aux générations suivantes de créateurs et de spectateurs ?
O.B. : Merci ! Hélène Vayssières, vous évoquiez tout à l’heure pour les longs-métrages une sorte de parité, 50 % pour le Nord et 50 % pour le Sud. Appliquez-vous aussi cette politique pour les courts-métrages ? Il y a en effet de nombreuses propositions de courts-métrages qui viennent du Sud…
Hélène Vayssières : En fait, comme je vous l’ai expliqué, nous nous partageons le monde avec le pôle allemand. Je ne m’occupe personnellement que des films francophones. Ce n’est pas ARTE France qui a un quota de 50-50 car il n’y a en fait pas de quota. On pourrait dire qu’en général, les films francophones sont mieux servis que le reste du monde car l’Allemagne s’occupe de tous les films, et moi uniquement des films francophones !
O.B. : Merci ! Je vais vous demander de passer d’abord le micro à Michel Ouedraogo, nouveau délégué général du FESPACO, lequel représente une plage de visibilité pour les courts-métrages. Avez-vous ou prévoyez-vous une activité particulière en faveur du court-métrage ?
Michel Ouedraogo : Je voudrais d’abord saluer cette initiative. Je crois que c’est une porte ouverte pour l’Afrique et pour le Sénégal, qui y a été invité. Des réalisatrices sénégalaises sont là et il me semble qu’il faut saluer cette initiative. Au FESPACO, nous considérons qu’un hommage rendu à des réalisateurs africains est également un hommage rendu au FESPACO. En effet, ils sont les ambassadeurs du cinéma africain, et du FESPACO. En ce qui concerne le court-métrage, vous savez que le FESPACO en a déjà une compétition officielle. Elle permet aux jeunes réalisateurs de présenter des œuvres de qualité. Si je ne m’abuse, il y a à chaque édition du festival au moins vingt courts-métrages retenus pour la compétition. Quand on fait le point, depuis la création du Festival, ce sont pas moins de 500 à 700 courts-métrages qu’on a pu projeter dans les salles de la compétition. Par ailleurs, il y a aussi le MICA (Marché International du Cinéma Africain) qui permet aussi de faire la promotion de jeunes réalisateurs en projetant leurs courts-métrages. Le FESPACO me semble être un cadre idéal pour le court-métrage car il permet un cinéma « de proximité » qui touche les populations. C’est très important pour le Festival et son image. Nous allons travailler à mieux organiser cette compétition pour permettre de plus en plus aux jeunes réalisateurs de « se faire la main », comme vous l’avez si bien dit. C’est par là qu’ils feront leur initiation. Il faut qu’ils acceptent de faire le rite, qu’ils prennent patience et qu’ils mûrissent. Je crois que le court-métrage est une bonne transition avant de passer aux grandes productions.
O.B. : Merci beaucoup ! Elodie Ferrer, vous représentez le Festival des Trois Continents mais vous vous occupez avant tout du court-métrage et du moyen-métrage à travers le programme « Produire au Sud », qui est une formation de producteurs orientée vers la coproduction, et en étant en charge du FACMAS (Fonds d’Appui à la production de Courts-Métrages en Afrique Subsaharienne). De quoi s’agit-il ? En quoi consiste votre action ?
Elodie Ferrer : Je vais présenter rapidement le FACMAS. C’est une initiative qui a été lancée en 2007 par le ministère des Affaires étrangères, dans le cadre du Plan Image Afrique dont parlait François. Le Ministère a mandaté le Festival des Trois Continents pour gérer ce fonds. La première commission s’est réunie en juillet 2007. L’idée est d’aider une quinzaine de projets de courts-métrages issus des 45 pays d’Afrique subsaharienne par une aide directe à la production. Pour être précise, il y a un plafond de 16 000 euros par court-métrage aidé. Si on peut déjà faire un bilan de cette première commission, sur les seize projets qu’elle a sélectionnés, cinq sont déjà terminés. Je suis contente qu’il y ait également Hachimiya dans la salle car son court-métrage a été sélectionné à la Semaine Internationale de la Critique à Cannes. Il s’agit d’un court-métrage des Comores intitulé La Résidence Ylang-ylang, qui sera présenté cet après-midi dans le cadre de la projection des courts-métrages.
Les courts-métrages aujourd’hui achevés sont issus de différents pays d’Afrique subsaharienne. On a par exemple le moyen-métrage de Djo Tunda Wa Munga, qui vient de République Démocratique du Congo, intitulé Papy et que vous pouvez voir au Short Film Corner. On peut citer également un court-métrage burkinabé de Serge-Alain Noa ; Punition, court-métrage sénégalais de Khadiatou Sow ainsi qu’un court-métrage kenyan de James Kanja, intitulé Pamela. On essaie donc à la fois de toucher les pays francophones d’Afrique subsaharienne mais également les pays anglophones.
Pour rebondir sur ce que disait Philippe, nous sommes sur cette aide à la production directe mais je pense aussi qu’il est important que ce fonds évolue vers une aide, un accompagnement à la distribution. Comme le disait Hélène, en effet, on a cette case ARTE qui s’offre à un des courts-métrages sélectionnés, mais il faut vraiment travailler sur des accords de diffusion à l’avenir.
O.B. : Merci. Tous ces films évoqués seront présentés aujourd’hui à 15 heures et dans cette même salle. François Belorgey souhaitait ajouter quelque chose sur le FACMAS…
François Belorgey : Simplement qu’au ministère des Affaires étrangères, nous travaillons sur des aides à la production en Afrique subsaharienne sur l’ensemble de la filière (distribution, formation…). On s’est aperçus qu’il n’existait pas de fonds dédié aux courts-métrages car nos aides, pour ce qui concerne l’Afrique subsaharienne, sont surtout destinées aux longs-métrages (fictions ou documentaires). Ceci explique cette initiative du Fonds d’Appui au court-métrage, dont le montant s’élève à 200 000 euros par an avec une aide maximale de 15 000 ou 16 000 euros par projet, comme l’a rappelé Elodie. Plutôt que de le gérer directement depuis le ministère, nous avons préféré faire appel à un opérateur extérieur ayant une certaine expertise de la gestion de fonds, notamment en matière de production audiovisuelle en Afrique subsaharienne. C’est donc le Festival des Trois Continents qui gère ce Fonds d’Appui au court-métrage, l’idée étant de favoriser l’émergence d’une nouvelle génération qui considère le court-métrage comme un moyen d’expérimenter. En effet, lorsqu’on voit l’ensemble des projets de longs-métrages que nous recevons, il y a un vrai souci dans l’économie, la réalisation : ce sont des jeunes qui se lancent dans des longs-métrages sans avoir été formés à la technique cinématographique. Le court est à mon avis un moyen d’expérimenter avant de passer ensuite à un autre format.
O.B. : Et la présence d’un fonds d’aide est fondamentale. En effet, pendant un moment, quand les courts-métrages n’étaient plus éligibles aux aides, la production de ce type de films avait nettement diminué…
François Belorgey : Tout à fait ! Une prochaine commission se tiendra au mois de juin. On a de plus en plus de projets et il me semble que cela a été un élément déclencheur essentiel. Il y a une nouvelle dynamique ; de très nombreux projets nous viennent à présent aussi bien d’Afrique lusophone, francophone qu’anglophone. Le vrai souci concerne la diffusion. Vous l’avez rappelé, il existe en Afrique des festivals qui consacrent une plage aux courts-métrages. Je crois que le festival Ecran Noir de Yaoundé axe cette année sa programmation sur le court-métrage.
O.B. : Merci. Je me tourne à cet instant vers les réalisateurs et réalisatrices à ma droite. Nous allons donner d’abord la parole à l’ancien, Gaston Kaboré, au sujet de la problématique du court-métrage.
Gaston Kaboré : La plupart des choses ont déjà été dites ! Je pense que la question de la diffusion, de l’espace de visibilité de ces courts-métrages est centrale. Ces œuvres doivent circuler (pas seulement dans les festivals ou à la télévision) et permettre de capitaliser l’expérience dont nous parlions. De nombreux jeunes gagneraient à voir beaucoup de courts-métrages et à comprendre que certains de ces films courts sont très forts du point de vue cinématographique et recèlent une grande puissance. Je pense que tout cela est très important, avant même de s’attaquer à la réalisation de leur premier court-métrage. Il faudrait que les efforts se poursuivent. Le court-métrage doit être perçu comme un genre à part entière, nous devons lui redonner ses lettres de noblesse au-delà des efforts faits notamment par le ministère des Affaires étrangères, au-delà de l’exposition offerte par les festivals (qu’il s’agisse ou non de la compétition). Je m’interroge alors sur le moyen de continuer à développer cela. Peut-être même faudrait-il songer à des ateliers, des formations sur le court-métrage. Il me semble que cela permettrait à beaucoup d’améliorer leur approche du sujet qu’ils visent à attaquer. Ce serait, aussi, bien plus bénéfique pour leur parcours, notamment s’ils veulent aller ensuite vers leur premier long-métrage. Cette expérience ne restera pas au niveau d’une simple « carte de visite », il y aurait une vraie continuité avec une réalisation plus importante qui serait un premier long-métrage. Je sais bien que le ministère ne prétend pas financer la totalité d’un court-métrage avec 16 000 euros, mais le problème est le faible nombre de guichets où l’on donne de l’argent pour les courts-métrages. Il y a donc peut-être une réflexion à mener à ce niveau.
O.B. : Merci, Gaston. Mati Diop, vous vivez et travaillez à Paris. Votre premier court-métrage date de 2004 et s’intitule Last Night. En 2006, vous avez intégré le Pavillon, laboratoire de recherche artistique du Palais de Tokyo, et l’année suivante l’Institut national des arts contemporains du Fresnoy. Vous êtes également comédienne puisque vous jouez dans le dernier film de Claire Denis, 35 rhums. Vous avez fait des vidéos, créations artistiques ou sonores sur des mises en scène de théâtre à Paris, Oslo et Moscou. Un extrait de 1000 soleils, votre premier documentaire, est également présenté cet après-midi. Comment en êtes-vous arrivée au court-métrage ?
Mati Diop : Last Night, mon premier court-métrage, a été fait il y a quatre ans. Il est très intéressant pour moi d’entendre tous ces points de vue sur la diffusion car jusqu’à présent, j’ai autoproduit mes vidéos et mes courts-métrages. En effet, j’avais jusque-là un rapport très impulsif avec mon travail, j’avais très vite le besoin de prendre une caméra et de réunir des acteurs après avoir écrit, pas même un scénario, mais des pistes. J’avais une vraie liberté, mais cela isole beaucoup aussi car la diffusion pour un vaste public reste très compliquée. J’avais vraiment besoin d’être dans cette recherche, je me suis en quelque sorte créé un laboratoire. Quand je voulais développer un projet, je me débrouillais pour trouver des sous. Je n’étais pas encore prête à consacrer justement plusieurs mois à l’écriture pour laisser mûrir le projet, à attendre que l’argent soit là pour tourner. Je préférais faire le film très vite après avoir eu l’idée. Ça, c’était donc pour mon premier court-métrage. J’ai ensuite été produite par le Palais de Tokyo sur des vidéos. C’est pour cela que mes vidéos, mes courts-métrages se situent entre le cinéma et l’art contemporain : le fait même qu’il n’y ait pas de production impose une forme moins linéaire et peut-être plus personnelle. Jusqu’à maintenant, le rapport à mes films est très lié à mon histoire, ce sont toujours des choses assez intimes. Par exemple, je présente cet après-midi quinze minutes d’un film en construction que j’ai tourné en avril et qui parle d’un cinéaste qui fait partie de ma famille, Djibril Diop Mambéty. Cette année, ce sont les dix ans de sa mort et là aussi, j’ai eu le besoin de faire un film sur lui, de lui rendre hommage. Entre le moment où j’ai décidé de faire le film et celui où je suis partie le tourner, il s’est passé dix jours ! J’ai été aidée par Catherine Ruelle, qui je pense avait très envie de m’aider à dire des choses sur ce cinéaste en 2008, pour diverses raisons. RFI m’a aidée également ; nous nous sommes débrouillés pour que je parte le plus vite possible. En deux semaines, j’ai récupéré énormément de matière sur Dakar, sur les lieux de ses tournages ; j’ai rencontré ses acteurs, toujours hors d’une configuration traditionnelle de production. Cela va changer, je ne vais pas rester éternellement en marge ! (Rires) La manière dont je me positionne vis-à-vis de la production me semble correspondre à la façon dont je développe mon art. Là, j’ai envie de prendre le temps d’écrire, de passer davantage de temps à construire mon scénario, à partager mes idées avec d’autres collaborateurs et producteurs. Mais jusqu’à présent, j’avais vraiment besoin d’être « dans mon truc » et de fabriquer toute seule mes images. Il me semble que la production arrive au moment où j’ai envie d’être confrontée à un public large. À mon sens, c’est très lié à la démarche interne de l’artiste, du réalisateur.
O.B. : Vous diriez finalement que l’autoproduction était un moyen de vous exprimer en toute liberté et en rapport avec le type de création artistique auquel vous aspiriez ?
Mati Diop : Exactement. C’est aussi parce que je ne savais pas vraiment comment m’y prendre sur le plan administratif. (Rires) Je voulais faire mes films et ne pas entendre parler de dates limite de remise du dossier. J’ai été obligée de m’y confronter car j’ai envie d’en faire mon métier. Le métier de réalisateur ne consiste pas seulement à raconter de belles histoires mais aussi à affronter l’industrie qu’est le cinéma.
O.B. : Merci beaucoup. Dyana Gaye, vous avez fréquenté une université de cinéma, Paris VIII. Vous avez obtenu votre maîtrise en 1997. En 1999, vous êtes lauréate de la bourse Louis Lumière / Villa Médicis hors les murs pour le scénario d’Une femme pour Souleymane, que vous avez réalisé l’année suivante, en 2000. En 2004, vous êtes finaliste de la bourse « Rolex Mentor and Protégé Arts Initiative » pour un projet de long-métrage, Une correspondance extraordinaire qui, lui, n’est pas encore tourné. Enfin, en 2007, vous obtenez entre-temps le FIPA d’Argent pour Deweneti,qui a fait le tour de tous les festivals de la planète avec succès. Même question : comment êtes-vous arrivée à cette possibilité du court-métrage ? Quelle est votre expérience en la matière ? Avez-vous rencontré des difficultés ?
Dyana Gaye : En fait, après des études de Cinéma, je n’ai pas vraiment eu l’idée d’arriver au court-métrage. Il y a l’idée de faire des films. Pour moi, c’est très important : je ne m’intéresse pas à l’idée de faire des courts-métrages comme carte de visite dans la perspective d’en faire des longs un jour. Donc oui, peut-être ; passer à un format plus long est une expérience comme une autre mais j’aime aussi l’idée de pouvoir aller d’un format à l’autre. J’espère avoir un jour ce luxe : faire des films courts, longs, moyens comme je l’entends et ne pas me dire « on a fait un, deux, trois courts-métrages ; ça y est on a une carte de visite ! On a eu un peu de succès, passons au long-métrage » etc., sans possibilité de faire machine arrière. C’est quelque chose qui me semble assez absurde et concerne de nombreux réalisateurs, car il est extrêmement compliqué de faire un long-métrage. Ça prend quatre, cinq, parfois dix ans et toute une vie, et je trouve cela dommage. Hélène évoquait tout à l’heure notre projet actuel de moyen-métrage, une comédie musicale. C’est un projet ambitieux pour moi car une comédie musicale est complexe dans sa réalisation. Je trimballe ce projet depuis quelques années, et de nombreuses personnes ont tenté de me dissuader d’en faire un moyen-métrage car c’est un « format bâtard », une économie fragile, la diffusion est compliquée, etc. Je me suis alors posé beaucoup de questions, j’ai douté, et j’ai finalement tenu bon : ce film sera un moyen-métrage car je pense que c’est ainsi qu’il doit être. Le scénario ne tient pas la route sur un format long, il doit avoir cette durée et c’est pour ça qu’il est pour moi un peu difficile de parler de format, de penser à « arriver au court-métrage ». Après, il y a bien sûr des réalités de durée, de diffusion etc. Dans ma relation avec mon travail, j’ai cette idée très présente du format et de la durée que j’espère pouvoir garder le plus longtemps possible.
Concernant mon parcours, on me dit souvent « Vous êtes Noire, vous êtes une femme… Faire des films doit être compliqué pour vous. » Je répondrai toujours que non ; je pense que c’est bien plus facile. Déjà, nous, les femmes, sommes probablement moins nombreuses. J’ai l’avantage d’être franco-sénégalaise, et donc de pouvoir accéder à des fonds aussi bien français (réservés à des cinéastes et à des productions de France) que du Sud. Je me trouve donc assez privilégiée à mon niveau en matière de financement, car pour les courts-métrages Une femme pour Souleymane et Deweneti, j’ai bénéficié uniquement de financements dits « du Sud » : le ministère des Affaires étrangères, la Francophonie… Les scénarios de ces deux films sont passés plusieurs fois en plénière au CNC et je n’ai pas obtenu le CNC ; ils ont reçu des prix de qualité et ont été financés en fin de course grâce aux financements « du Sud ». C’est mon véritable privilège.
Par ailleurs, je n’ai pas rencontré trop d’ennuis jusque-là, j’ai eu la chance de faire de belles rencontres et de travailler avec des productions différentes sur chacun des films que j’ai entrepris. J’ai travaillé avec des productions françaises et sénégalaises, on a fait des coproductions. Je travaille actuellement sur une coproduction avec moi-même car je vais monter une société à Dakar qui va produire les films que je suis en train de réaliser. En effet, il m’intéressait d’ancrer le travail que j’ai initié ici avec des réalisateurs, dans un travail de production de nos projets car pour trois réalisateurs associés comme nous il était important de se réunir pour réfléchir au développement de nos projets. Maintenant, il faut aussi réfléchir du côté sénégalais car, très honnêtement, je ne trouve pas de partenaires de production « consistants ». C’est une expérience toute nouvelle, je n’ai pas la prétention d’être productrice à part entière car c’est un métier compliqué. J’ai en même temps envie d’essayer et peut-être, pourquoi pas, d’élargir ce travail de production à d’autres réalisateurs au Sénégal, au-delà de nos propres films.
O.B. : Cet aspect de partenaires de production sur un même pays est intéressant, en effet. Ce qui vous réunit toutes les trois est justement d’être liées au Sénégal, et on pourrait aborder cela un peu plus tard, après ce que va nous dire Angèle. Angèle Diabang Brener, vous avez commencé en beauté avec un premier film de six minutes qui a marqué, intitulé Mon beau sourire. Vous vivez et travaillez à Dakar. Après ce film, vous avez créé votre propre société de production, Karoninka, par laquelle vous avez ensuite réalisé Sénégalaises et Islam. Vous présentez dans cette même salle à 16 heures 30 cet après-midi Yandé Codou, la griotte de Senghor, un film également accouché dans la douleur… Démarche de Cinéma, démarche de court-métrage, fiction, documentaire… et difficultés de production ?
Angèle Diabang Brener : Bonjour à tous ! En fait, je n’ai pas fait mon premier film avec le but précis d’en faire un court-métrage ou un long-métrage. J’avais juste envie de voir ce que je valais : c’était un délire de montage ! Je suis en effet d’abord monteuse et j’avais ce projet de film, Yandé Codou, la griotte de Senghor, pour en faire un 52 minutes. Je n’avais suivi qu’une formation d’une année au Forut-Mediacentre, une école financée à l’époque par la Norvège qui prenait six filles et six garçons. J’ai eu la chance d’être admise à ce concours. Je me suis dit que je ne pouvais pas m’attaquer à ce 52 minutes sans savoir quelle est ma propre touche, quelle est mon approche de la réalisation. J’ai rassemblé quelques amis et les fonds que j’avais, et je suis allée faire Mon beau sourire. Mais c’était avant tout pour moi. C’est là que Jean-Marie Barbe l’a vu, car je participais à une résidence Africadoc. Il m’a alors dit « ce film est génial, il faut qu’on le montre à Lussas ! » J’ai répondu non, que ce n’était pas un film. Je voulais changer le montage et en faire un vrai film. Il m’a dit « Ne touche à rien ! C’est un film. » C’est ainsi que nous l’avons amené à Lussas, il a ensuite fait le tour du monde et est passé dans une cinquantaine de festivals où il a parfois été primé. Quant à moi, je ne comprenais pas ce qui se passait autour de ce film. Des portes se sont ouvertes. J’ai poursuivi l’écriture de La griotte de Senghor, j’ai obtenu des financements. Je n’avais fait qu’un film, et étant une jeune réalisatrice africaine, cette somme était anormale. Le producteur est parti avec les 60 % et je me suis retrouvée sans rien. Peu après, le Goethe-Institut de Dakar m’a commandé ce film sur les Sénégalaises et l’Islam. L’idée nous est venue lorsque je discutais avec la directrice des problèmes au Nigeria. Nous nous sommes demandées comment ça se passait au Sénégal. Sénégalaises et Islam était donc lancé. Cela a aussi été assez compliqué car j’ai voulu faire s’exprimer plusieurs filles, six en tout. Je voulais les entendre sur leur façon de pratiquer l’Islam, leur demander leur avis sur l’Islam au Sénégal et dans le monde. Il y avait aussi bien des filles très libres dans leur pratique que des filles extrémistes : j’ai eu des problèmes avec celles-ci, elles étaient très dures. Plusieurs jours d’affilée, j’étais réveillée à six heures du matin avec des versets du Coran. Ils voulaient contrôler ce que moi, catholique, j’allais montrer dans mon film sur l’Islam. C’est ainsi que je me suis retrouvée avec deux films avant de pouvoir faire enfin celui que je voulais. J’ai dû contracter des prêts car ce film était absolument nécessaire pour moi. Il allait être une étape. Yandé Codou, que je vais montrer aujourd’hui, est en fait mon premier film. Plusieurs personnes m’avaient conseillé de laisser tomber parce que c’était compliqué, que je n’avais plus d’argent… Je n’avais même pas la force de laisser tomber ! J’étais obligée de le faire et je suis contente d’en être arrivée là. Quand j’ai connu le producteur, mon projet était déjà assez avancé. Il ne m’a servi que de boîte à lettres, et ça, je peux le faire. J’ai donc créé ma boîte de production. Je me suis dit que pour les projets suivants, j’aurai une certaine indépendance, un droit de regard sur ce qui se passerait. J’irai chercher des producteurs qui ont plus d’expérience que moi car mon but n’est pas d’être productrice, mais d’avoir davantage d’indépendance. Je veux qu’ils puissent m’accompagner artistiquement dans mon projet. Là, je vais produire un film malien mais j’accompagne aussi la jeune fille dans l’écriture de son film. Une véritable confiance, une vraie complicité se sont tissées entre nous. Lorsqu’un producteur français est venu vers elle et lui a proposé de produire son film, elle lui a dit d’emblée : « Va parler d’abord à ma productrice ! » Il est alors venu me voir, j’ai rétorqué que je n’étais pas la productrice. Elle m’a ensuite dit : « Si je ne signe pas avec toi, je ne signe pas avec le Blanc ! » (Rires) Je me suis donc retrouvée un peu coincée, donc je l’accompagne sur ce film qui traite de l’adoption traditionnelle. Voilà un peu mon expérience !
O.B. : On est tout de même frappé par quelque chose : le Sénégal est un pays qui dispose quand même de structures qui produisent, qui font à la fois de la télévision et du cinéma, et finalement vous créez vous-mêmes vos sociétés de production, comme chacun faisait avant… Vous continuez un peu ce système. Est-ce parce que les structures existantes ne sont pas véritablement des structures d’accueil ?
Angèle Diabang Brener : En ce qui concerne mon expérience, j’ai essayé de faire confiance mais on me disait souvent : « Tu viens de commencer, tu fais ce que je dis et ça va bien se passer. » Non ! Je n’avais pas le droit de me tromper pour ce film qui était très important pour moi. J’avais conscience d’avoir reçu cet argent parce que mon projet était bien écrit, et si je le faisais mal, j’aurais peut-être du mal ensuite à trouver de l’argent. Les gens auraient pensé que je n’étais pas capable de mettre un projet en images. J’ai donc refusé de faire le film dans les conditions qu’on m’imposait en tant que débutante. L’argent avait été accordé au projet, il devait être dépensé pour le projet et puis c’est tout. Peut-être y a-t-il d’autres structures qui fonctionnent bien, mais après mon expérience au Sénégal, je n’ai pas envie de retravailler avec eux !
O.B. : Dyana, qu’en pensez-vous ?
Dyana Gaye : Je suis de l’avis d’Angèle. Nos expériences respectives sont assez similaires. Sans rentrer dans les détails, les sommes me concernant étaient moins importantes mais j’ai connu de grandes déconvenues avec des partenaires de production. Il y a certainement des gens très bien mais je n’ai plus vraiment confiance, et surtout je n’ai plus l’énergie. En effet, cela m’a demandé beaucoup d’énergie, j’ai eu beaucoup d’angoisses et je ne souhaite pas me replonger là-dedans. Par ailleurs, comme le disait Angèle, j’ai aussi envie de travailler avec d’autres partenaires. Encore une fois, je n’ai pas dans l’idée de produire car il est très dur de tout faire à la fois, d’autant que je travaille aussi sur des fictions. Je ne pars pas avec ma caméra et une petite équipe, ce sont des projets qui impliquent facilement trente ou quarante personnes. C’est donc lourd et il est toujours bien d’avoir un vrai producteur à mes côtés qui fasse le relais. Ce que je n’ai pas trouvé, c’est un véritable regard artistique sur le travail. La production, ça ne consiste quand même pas qu’à gérer des gros sous ! C’est aussi lire les scénarios, avoir un avis dessus, être capable d’échanger, d’apporter, de soutenir… Ce n’est pas que gérer une enveloppe que le ministère t’envoie.
O.B. : Merci. Nous avons donc la confirmation que le monde du cinéma est un monde de requins ! (Rires) La parole est à vous ! Pendant que vous réfléchissez, j’aurais encore une question qui se situe un peu entre le documentaire et la fiction. Je m’adresse donc à vous les cinéastes : quelle est votre possibilité, votre recherche d’expression à travers le documentaire, à la différence de la fiction ? La fiction a longtemps été le domaine privilégié des cinémas d’Afrique, y compris dans le court-métrage. Mati, Angèle, pourquoi choisir plus volontiers le documentaire aujourd’hui ?
Mati Diop : En ce qui me concerne, étant donné que le film que j’ai tourné en avril parlait d’un cinéaste, Djibril Diop Mambéty, il m’a semblé assez évident de choisir le documentaire. En même temps, ce n’est pas vraiment un film documentaire et il est en cours, donc je ne lui colle pas encore d’étiquette. J’espère qu’il n’en aura pas ! Il se situe entre le documentaire et le journal filmé. À travers ce film, c’est de toute façon de mon histoire que je parle. Dans les vingt heures de rushes que j’ai, si je montrais les images séparées à une personne, elle pourrait y voir de la fiction à certains moments et du documentaire à d’autres. Il s’agit plutôt d’une réflexion en images. Dakar est pour l’instant un champ d’expérience et d’observation pour mes films. L’important est de trouver son propre langage, d’arriver à traduire un maximum de choses ; qu’il s’agisse ensuite d’un documentaire ou d’une fiction, l’appellation importe finalement assez peu.
O.B. : On va pouvoir appeler cela un documentaire de création ?
Mati Diop : Oui, si vous voulez.
Angèle Diabang Brener : J’ai, il est vrai, réalisé quelques documentaires. Mais, dans ma tête, il n’y a pas de limite ou d’étiquette. La formation que j’ai eue m’a amenée à faire des documentaires d’une certaine façon, et justement, ma façon de réaliser Mon beau sourire allait un peu à l’encontre de ce qu’on m’avait enseigné. C’était très classique, à chaque fois il fallait un spécialiste pour dire ce qu’il fallait penser. Si j’avais fait Mon beau sourire comme ça, j’aurais appliqué les règles qu’on m’avait martelées et puis c’est tout.
O.B. : C’est ce qu’on vous enseignait au Mediacentre ?
Angèle Diabang Brener : Voilà, donc c’était un peu une révolte vis-à-vis de tout cela aussi. Aujourd’hui, j’ai aussi envie de faire des fictions mais cela dépend de l’histoire que j’ai envie de raconter. Je pense que mes documentaires auraient pu être des fictions. Au sujet du tatouage des gencives, Kodou a déjà été fait en fiction mais je ne l’ai jamais vue car il n’y a plus de salles de cinéma au Sénégal, plus de cinémathèque où je pourrais me rendre pour aller voir une œuvre précise. Bien sûr, il y a les festivals en Europe, qui sont la seule chance de voir certains films. J’ai n’ai donc entendu parler de Kodou que par votre article lorsque le film est sorti.
Tout dépend donc de l’histoire que j’ai envie de raconter. Actuellement, j’ai une idée de court-métrage de fiction mais seulement parce que l’histoire que je souhaite raconter ne peut pas l’être à travers un documentaire. J’ai grandi dans un internat et j’ai envie de parler de ce qui s’y passe, mais je n’ai pas envie d’en faire un documentaire. Raconter cette vie-là dans un lieu clos sera plus facile pour moi à travers la fiction.
Débat avec la salle
Karin Leclerc, festival Afrique XL : Ce n’est pas vraiment une question. Monsieur Ouedraogo a dit tout à l’heure que les réalisateurs de courts-métrages étaient un peu les ambassadeurs du FESPACO, mais aussi du cinéma africain et on doit les en remercier. En effet, malgré les efforts de très nombreuses personnes à travers le monde, ce cinéma reste fortement ghettoïsé. On n’a pas du tout parlé du public depuis tout à l’heure, et il est vrai qu’on a le plus grand mal à amener un public non connaisseur vers le cinéma africain. Souvent, le court-métrage permet cela. Vous le savez, Olivier, nous avons lancé voilà quatre ans un festival de cinéma africain à Bruxelles, et la première démarche que nous avons tentée avec nos partenaires a été de lancer une collection de DVD de courts-métrages. Car, généralement, le public ne connaît pas le cinéma africain et on a du mal à le faire venir. En revanche, pour le court-métrage, il vient ! Nous avons un grand merci à adresser à tous ces réalisateurs et toutes ces réalisatrices de courts-métrages car ils et elles sont aussi les ambassadeurs de ce cinéma, qui n’est pas toujours facile pour un public plus large. Dans la collection que nous avons lancée, les DVD incluent dix courts-métrages chacun, ils sont vendus au prix de 10 € et on se rend compte qu’ils ont un public qui a envie de les acheter pour découvrir ce cinéma qu’il ne connaît pas. C’est peut-être aussi une question à poser aux bailleurs de fonds des courts-métrages : au-delà de la diffusion via les chaînes de télévision (ce qui n’est pas facile car elles sont peu nombreuses à en diffuser), il y a certes les festivals, mais en terme de pérennité, une collection de DVD reste une initiative sympathique.
Dyana Gaye : Je voudrais simplement rebondir sur ce que vous dites et ce que disait tout à l’heure Philippe Germain. Il m’importe beaucoup qu’il n’y ait pas de distinction, qu’on ne sépare pas les courts-métrages français ou européens de ceux issus des cinématographies africaines. Je pense que la force future du court-métrage s’orientera là-dessus. Vous parlez d’un festival de courts-métrages des cinématographies africaines et d’attirer un public. Il me semble personnellement que le meilleur moyen de le faire est de mélanger le plus possible (comme le font de nombreux festivals) et ne pas se contenter de proposer à un public une cinématographie spécifique. La ghettoïsation que vous évoquiez me semble commencer par là. Pour qu’on avance sur les questions de diffusion tout court, je pense qu’il faut sortir de ça ! En ce qui me concerne, j’ai beaucoup de mal à dire que je suis une réalisatrice africaine (d’ailleurs, je suis née en France et j’ai la double nationalité) : je suis une réalisatrice tout court ! Et je parle de cinéma tout court, car sans vouloir être présomptueuse, je pense que ces questions de diffusion commencent véritablement par là.
O.B. : C’est là un vieux débat qu’on ne va peut-être pas relancer ici, mais il est vrai qu’on a des festivals qui ont une programmation Afrique tandis que d’autres mélangent.
Hassouna Mansouri, critique tunisien : Ce n’est pas vraiment une question, mais je souhaiterais revenir sur un aspect évoqué en introduction qui a peut-être été un peu perdu de vue depuis tout à l’heure. Je veux parler de la formation, de l’émergence du court-métrage en Afrique avec la multiplication des instituts de formation un peu partout. On se rend compte qu’à ce niveau, il y a un problème dès le départ. Elle est très problématique car elle correspond à une formation de technicien originalement destinée à la télévision et qui sert ensuite à réaliser des courts-métrages pour le cinéma. C’est très complexe ! Je parle surtout de l’expérience tunisienne qui est celle que je connais le mieux. Dans le cadre des Rencontres Cinématographiques de Hergla, j’ai eu la possibilité de visionner de très nombreux courts-métrages d’Afrique et beaucoup de projets proposés par les ateliers, et j’ai pu constater que ça posait pas mal de problèmes. On se rend compte qu’il y a un problème de formation dès le départ. L’an dernier (je me permets de faire un peu de promotion pour cet atelier car il peut proposer quelque chose), le cinéaste Nouri Bouzid animait un atelier d’écriture de scénario de court-métrage. Bien qu’elle soit ouverte aux jeunes Africains et Méditerranéens, la manifestation n’est pas très connue. Nous nous sommes donc rendus compte que sur la cinquantaine de projets que nous avons reçus, il y avait bien plus de demandes du côté de l’Afrique subsaharienne que du Maghreb et d’ailleurs (nous n’avons eu aucune demande venant d’Italie ou de France, par exemple). Nouri Bouzid a fait remarquer que presque tous ces projets, à l’exception de quelques-uns, étaient pour des longs-métrages. Cela veut dire que ces jeunes qui sont en train d’émerger ont besoin d’une autre formation, bien plus spécifique à l’écriture du court-métrage au niveau des textes, de la conception. Les questions liées à la diffusion, la distribution et la production sont très importantes, mais la formation à l’écriture, à la conception d’un projet de court-métrage devrait être prise en compte dès le départ par l’ensemble des acteurs. Il ne doit pas y avoir de confusion : un projet de court-métrage n’est pas un projet de long-métrage, de documentaire ou même de télévision. C’est tout à fait différent, même si la télévision est impliquée dans la diffusion : un court-métrage, c’est d’abord du cinéma !
Rahel Tewelde, réalisatrice érythréenne : Qu’attendez-vous de votre court-métrage ? Comment envisagez-vous la question du message ?
Mati Diop : C’est peut-être une question de formulation, mais j’ai tout de suite un peu peur lorsqu’on me parle de message. Je ne pense pas avoir de message à délivrer, je ne suis pas dans la revendication de quoi que ce soit, j’essaie d’exprimer des choses à travers des images. Le rapport à l’écriture, au film est très intime ! Je pense qu’il faudrait déjà que vous voyiez les films en question cet après-midi. Je suis parisienne d’origine sénégalaise, et les films que j’ai envie de faire en Afrique sont encore une fois très liés à mon histoire intime, à cet ailleurs-là. Lorsqu’on me parle de message, j’entends tout de suite quelque chose de politique. C’est très vaste, il y a d’innombrables manières de faire des films politiques. Je pourrais par exemple parler de la question de l’immigration clandestine sans délivrer de message, en mettant simplement en parallèle la réalité d’une personne là-bas et celle d’une autre en France. L’observation des cultures, cela se fait d’un endroit ; il me semble qu’il y a beaucoup de choses à mettre en tension et en parallèle. J’ignore s’il y a un « message » mais il y a en tout cas une manière de mettre en perspective telle ou telle réalité lorsqu’on appartient à une culture précise.
O.B. : Rahel Tewelde a fait un film qu’on a vu hier et qui s’intitule The Beautiful Ones. Il y a là en quelque sorte un projet d’éducation populaire, ce qui explique sa question. Il me semble que la question généralement posée est celle de la création : on s’adresse toujours à quelqu’un en faisant du cinéma. Le cinéma est une œuvre médiatique, même si on ne porte pas forcément un message avec un grand « M ». Dès qu’il y a un projet pédagogique, ça devient très lourd et ce n’est pas la finalité d’une création artistique. En revanche, une création artistique porte quand même en elle une volonté d’être là, elle vit par une transmission à un public.
Angèle Diabang Brener : Personnellement, je ne sais pas s’il y a un message dans mes films, mais avec le troisième, Yandé Codou, la griotte de Senghor, j’ai compris le questionnement qui était le mien pour l’ensemble de mes films. Pour les deux premiers, on me disait : « Tu fais des films sur les femmes ! » Cela me gênait car j’étais persuadée de ne pas faire ça, de ne pas être féministe. Ce troisième film m’a aidée à comprendre que je voulais davantage parler de la question de l’identité et de ce conflit entre modernité et tradition qui me préoccupe. Avec ce film, c’est vraiment venu en avant. Mais c’est avant tout un questionnement sur moi-même : j’ai grandi au Sénégal, je vis au Sénégal mais je suis beaucoup en France. Or, la première fois que je suis venue ici avec cette idée de l’eldorado, j’ai été confrontée au racisme et aux différences. J’ai alors compris que je n’étais rien sans mon africanité, sans cette différence qui, personnellement, me rend plus forte. À présent, je l’assume et dans mes films, il s’agit peut-être avant tout d’un questionnement qui me concerne. Pour ce qui est du message, je fais des films pour les Sénégalais d’abord et si à travers mes films, ils peuvent percevoir un message, c’est très bien. Je m’en réjouirais, mais c’est avant tout un questionnement et une quête par rapport à moi-même.
O.B. : Une quête personnelle qui peut parler à tous, donc.
Philippe Germain : J’ai été très sensible à ce que disait tout à l’heure Gaston. On parlait de la question de la diffusion, de la transmission, comment il faut montrer des films avant d’en faire. Je trouve qu’il y a toute une dimension sur laquelle l’Agence et de nombreux partenaires français travaillent, donc il ne faut pas répéter sans arrêt que le modèle français est lourd. Mais il y a aussi ce qui relève de l’éducation aux images : il faudrait, je pense, réfléchir aux dispositifs fondamentaux d’éducation aux images dans les écoles, dans les collèges, dans les lycées. C’est important pour la culture, pour la construction d’un citoyen et peut-être faut-il réfléchir à la mise en œuvre de ces dispositifs d’éducation aux images. Le court-métrage s’y prête bien, par sa brièveté notamment. On pourrait imaginer la rencontre de ces œuvres dans le cadre de dispositifs d’accompagnement, des formations pour les enseignants, les collégiens, les lycéens. On pourrait leur faire découvrir des films (et pas forcément que des films africains), des films d’ouverture, de rencontres, de créateurs. On pourrait créer des documents pédagogiques, les faire circuler dans les écoles sous la forme de vidéos par exemple. En effet, en ce qui concerne la diffusion, il est vrai que le maintien du parc de salles est compliqué. Pourtant, je crois qu’aujourd’hui, cette idée de découverte des œuvres et d’accompagnement dans le cadre de dispositifs qu’on peut qualifier « d’éducation à l’image » est fondamentale. Cela pourra accompagner éventuellement l’émergence de créateurs mais surtout de citoyens sensibles à la culture. Il me semble qu’on devrait s’attacher à réfléchir à la circulation des œuvres. Lorsqu’Angèle a dit tout à l’heure qu’elle n’a pas pu voir un film, cela m’a bouleversé ! Un film « qui n’existe plus »… À l’Agence, conserver la mémoire et pouvoir la transmettre est quelque chose d’essentiel. Entendre aujourd’hui qu’un film a disparu, qu’il n’est plus accessible sur son territoire d’origine est donc très dur ! Il faudrait articuler de nouveaux modes de coopération et de réflexion sur ces principes de conservation, de diffusion et du soutien à l’accompagnement de ces œuvres vers les jeunes publics. Avant même de penser à la création, il y a donc un travail à faire pour les écoles.
O.B. : Vous ouvrez là une porte que nous avions entrouverte l’an dernier avec la question de la diffusion, la VOD, etc. Par Internet, le court-métrage peut énormément circuler (YouTube, Dailymotion…). On pourrait donc imaginer des plages de diffusion spécifiques pour les productions du Sud. Pour ce qui est de la production, je vais peut-être m’adresser à Hélène Vayssières pour revenir sur cette difficulté du rapport aux producteurs. À votre niveau, lorsque vous voyez arriver de jeunes réalisateurs qui créent leur propre maison de production, cela vous semble-t-il assez sérieux ? Avez-vous des critères spécifiques ou des réactions particulières face à cela ?
Hélène Vayssières : Compte tenu du nombre de scénarios que nous recevons, nous sommes obligés d’appliquer des critères. Pour déposer un projet de scénario à ARTE France, il faut avoir obtenu une aide sélective au préalable (du CNC : contribution financière, aide au programme), une aide aux nouvelles technologies (pour essayer d’ouvrir un scénario un peu plus visuel et moins littéraire), une aide en région… Je rappelle que je suis uniquement en charge des films francophones. Il peut y avoir une aide en Afrique, en Belgique ou en Suisse… Quel que soit le pays, il faut avoir obtenu au préalable une aide financière, et ceci pour deux raisons : actuellement, je reçois entre 250 et 300 scénarios. Comme je l’ai dit, nous nous engageons sur un nombre très réduit de films, donc sans ce critère, c’est 600 projets que je vais recevoir. Et comme je suis seule à lire, je vais « bloquer la machine », je n’aurais pas le temps de lire, ou alors les délais de réponse seront bien trop longs. Ensuite, un film ne peut se faire uniquement avec l’argent d’ARTE, ce n’est pas suffisant. C’est aussi pour cela que nous avons besoin de cette aide préalable. Pour tous les films, qu’ils soient africains ou non, c’est le critère qui s’applique chez ARTE.
Je peux peut-être rebondir sur ce qu’a dit Philippe Germain au sujet de l’éducation à l’image : comme nous nous sommes rendus compte que « Court-circuit » était diffusé très tard (comme c’est malheureusement le cas sur toutes les chaînes en France et dans le monde qui diffusent du court-métrage, relégué après minuit), nous avons ouvert une version Internet interactive de ce magazine. Il est donc visible à tout moment, avec une éducation à l’image : on met par exemple les rushes de films et les jeunes réalisateurs ou amateurs peuvent par exemple s’exercer à monter des bandes-annonces. Tous les sujets de « Court-circuit » sont en libre-service, on dispose de pas mal d’outils d’éducation à l’image et au cinéma, et les courts-métrages sont disponibles en VOD. Le tarif est assez bas et permet de voir des courts-métrages quand on le souhaite et non quand on est insomniaque !
O.B. : Vous avez des statistiques sur les téléchargements ? Est-ce que ça fonctionne bien ?
Hélène Vayssières : Pour l’instant, ça fonctionne moyennement, mais c’est toujours la même chose : plus notre catalogue sera important, plus le bouche-à-oreille fonctionnera. En revanche, pour tout ce qui concerne le libre-service (donc gratuit), la fréquentation est très bonne. On a eu véritablement une augmentation fulgurante des visites. Nous allons donc accentuer cela.
O.B. : Je reviens sur ma question : lorsque quelqu’un qui vous est inconnu arrive avec sa maison de production, qu’il vient de la créer, est-ce un problème pour vous ? Attendez-vous quelqu’un qui soit du milieu et que vous connaissez, ou êtes-vous ouverts à tout ?
Hélène Vayssières : Nous sommes ouverts absolument à tout dans le domaine du court-métrage, autant aux premiers films qu’aux premières productions. Ce n’est pas la notoriété des comédiens, du réalisateur ou du producteur qui prime mais la qualité du scénario. Nous sommes évidemment sur plein de premiers films, des deuxièmes films, quelquefois sur des troisièmes… Mais vous savez, on ne vit pas du court-métrage donc on n’y reste pas. On a toujours de nouveaux réalisateurs et de nouveaux producteurs qui arrivent. Souvent, ceux-ci passent aux longs et produisent un peu moins de courts. On est aussi sur des préachats de première production/premier film. Ai-je répondu à votre question ? (Rires)
O.B. : Tout à fait, (rires) merci !
Dominique Wallon, festival d’Apt : Juste un mot, simplement, sur l’intervention de ces trois réalisatrices. Il était très impressionnant de les entendre s’exprimer avec cet esprit de liberté absolu sur leur travail et la création, sur un plan bien sûr plus général. Ma question s’adresse à ceux qui sont sur le terrain en Afrique. Je veux parler de la question des ateliers et de la formation. Angèle a eu des expériences d’ateliers avec Samba Félix N’Diaye à Dakar, Africadoc a également été évoqué… Il y a Imagine, ainsi que d’autres initiatives. À un moment où les jeunes s’imaginent qu’il est facile de faire des images, la question de faire un film, quelle que soit sa durée, est une autre histoire. Le passage à cette conscience des réalités du métier me semble important. Y a-t-il sur le terrain un développement de ces formations permettant de passer de la simple production d’images à la création proprement dite ?
O.B. : Bonne question ! Le Sénégal est tout de même un terrain particulièrement riche, avec deux grands programmes : Africadoc et « Filmer à tout prix », une initiative bruxelloise, davantage axés sur le documentaire que sur le court-métrage de fiction. Dans vos expériences respectives, avez-vous participé à des ateliers ?
Angèle Diabang Brener : Personnellement, je suis encore à Dakar. Avec Africadoc’, il y a chaque année des jeunes originaires non seulement du Sénégal mais également de toute l’Afrique. Je voudrais surtout parler du travail fait par l’attaché audiovisuel de l’ambassade de France. Avant que Frédéric Chambon arrive au Sénégal, nous, jeunes réalisateurs, n’existions presque pas. Il y avait bien une association de cinéastes, qui ne vont pas être contents, j’en suis désolée, car elle était surtout consacrée aux « anciens » réalisateurs. Nous faisons de la vidéo donc nous n’existons pas et nous n’avons pas accès à cette association. Cela ne nous gêne pas et nous n’avons aucun complexe à cause de ça, car ça ne nous empêche pas d’avancer, de faire nos films, parfois avec des financements et d’autres fois sans argent. On arrive quoi qu’il en soit à les montrer. Et je parle au non de tous les autres jeunes réalisateurs : depuis que Frédéric Chambon est à Dakar, il a initié plusieurs formations. Des personnes ont pu suivre des formations à la FEMIS, on a pu faire une formation de plusieurs mois avec Samba Félix N’Diaye, qui n’est pas n’importe qui… Après ces formations, de bons films ont été faits. Je peux dire aujourd’hui que ma meilleure expérience de réalisatrice fut un des films que j’ai faits durant cette formation, financée par l’ambassade de France. À présent, il va partir et c’est vraiment dommage ; nous, jeunes réalisateurs, nous demandons ce que nous devons faire : devons-nous créer une association de jeunes réalisateurs ? Nous sentons une dynamique, quelque chose qui émerge mais nous ne nous sentons pas vraiment soutenus. On se dit que c’est le moment, qu’il ne faut pas lâcher ce qui est en train d’éclore. Nous essayons de nous réunir pour former quelque chose qui serait comparable à « L’œil Vert » de la génération de William Mbaye et d’autres, qui étaient des « Mambéty Boys » en quelque sorte. On a envie aussi de créer quelque chose qui nous permettrait d’exister sans moyens, sans soutien de l’Etat, car il faut le dire aussi.
Gaston Kaboré : Oui, je souhaiterais répondre un peu aux problèmes soulevés par Dominique Wallon. Jusque-là, avec Imagine, l’Institut que nous avons ouvert à Ouagadougou, nous n’avons pas mis en place une formation spécifiquement dédiée au court-métrage. Cependant, lorsque nous faisions des ateliers, il y a plusieurs niveaux. Le niveau 1 s’adresse à des jeunes qui ont fait des écoles et font leurs premiers pas dans la réalisation. C’est en deux volets : scénarisation et réalisation. Jusqu’à présent, nous avons fait onze courts-métrages qui ont été réalisés à l’issue de la formation. Ils n’ont pas connu le parcours normal d’une création mais permettaient aux jeunes de faire un peu le point sur ce qu’ils venaient d’apprendre, tant sur le plan scénaristique qu’en réalisation. J’ai même montré certains de ces courts-métrages à Paris au mois de mars, au musée Dapper quand mon film y a été montré. En revanche, la plupart des jeunes qui sont venus me voir par passion pour le cinéma, qu’ils aient suivi une formation ou pas, visaient toujours derrière la réalisation de longs-métrages. Ils sont un peu perdus, aussi, dans la définition du format qu’ils voudraient adopter. Ils ont une histoire qu’ils ont profondément envie de mettre en images. Je crois qu’il y a lieu de mettre en place des passerelles pour encadrer et aider ces jeunes dans leur première réalisation, tout en leur laissant la liberté qui les caractérise. Ils ont envie de dire des choses extrêmement fortes et parfois, à trop les canaliser, peut-être les ramène-t-on vers du déjà-vu. Il faut les former sans les brider. Enfin, j’étais récemment à Bagnères-de-Bigorre, près de Lourdes, où un lycée est jumelé avec un établissement de Ouagadougou, le lycée Nelson Mandela, qui m’a choisi comme parrain du « club cinéma ». Dans ce club, des jeunes apprennent à utiliser la caméra pour raconter leur univers, raconter des histoires et nous sommes en train de mettre en place une formation pour l’an prochain à destination des professeurs de lycées et collèges qui seraient intéressés pour encadrer ce type de club. Nous devons former correctement ceux qui vont devenir « encadreurs ». Cette question m’intéresse beaucoup car si on veut fonder une culture en images, il faut commencer dans les lycées. Au Burkina, j’espère que nous aboutirons à la mise en place d’options audiovisuelles dans les lycées. Voilà mon objectif ! Il faut y aller avec pédagogie, cela demandera des moyens et l’Education nationale a déjà fort à faire avec les programmes académiques « classiques ». Malgré tout, je pense que compte tenu de l’importance croissante de l’image et le fait que les jeunes soit livrés à la télévision (notamment aux programmes qui nous parviennent par satellite), il devient vraiment essentiel que nous essayions de les former à une réception critique de ces images.
O.B. : J’aurais une question, Gaston : nous étions ensemble à Nairobi en novembre dernier durant le festival. Tu y animais un atelier consacré à l’écriture de scénario. Avec cette expérience d’une semaine avec des cinéastes en herbe, dans un pays où le cinéma connaît une grande émergence sans véritablement d’expérience, dirais-tu que cela permet de faire un bond ? Penses-tu que c’est suffisant ?
Gaston Kaboré : On serait tenté de dire qu’il faut faire mieux, mais le mieux est l’ennemi du bien, comme on dit. Dans leur contexte et par rapport aux efforts déployés lors du Festival de Nairobi par Antoine Yvernault, attaché audiovisuel là-bas, je pense que c’était bien. Ça fait beaucoup de sens chez eux. Parmi ceux qui ont participé à l’atelier, certains avaient déjà fait des longs-métrages mais ont tout de même appris énormément. Pas seulement de moi, mais aussi des échanges que nous avons eus. Tout cela a été très important. Il est dommage que Catherine Ruelle soit absente car, comme tu le sais, elle a animé d’autres ateliers sur les films d’Afrique pour des gens du Kenya. Elle a été stupéfaite par ce que découvraient ces jeunes dans nos films : ils se rendaient compte tout à coup qu’il y avait des histoires tout à fait authentiques, racontées par des cinéastes d’Afrique sur leur société. Souvent on dit « l’Afrique », mais il y tant d’Afriques ! Les expériences de cinéma sont tellement différentes qu’on est parfois très surpris. Je dirais donc que c’était un point de départ, il faudrait pouvoir aller plus loin. On m’avait envoyé dix scénarios, et lorsque je suis arrivé là-bas, il y en avait finalement dix-neuf. Pendant cinq jours, ça n’a pas été facile, mais je crois qu’on peut dire que chacun des participants a pu progresser dans la structuration de son scénario. Parfois, ils ont découvert l’histoire secrète qu’ils avaient envie de raconter mais qui était ensevelie sous un tas de clichés. J’ai moi aussi appris énormément. M-Net m’avait fait faire une formation dans sept pays ; je suis allé en Afrique du Sud, mais aussi au Nigeria, au Ghana, au Zimbabwe et en Tanzanie. J’y ai découvert qu’il y avait des sujets fabuleux, et ce qui pose problème c’est souvent la façon de les scénariser tout en gardant leur force et leur fraîcheur. Malheureusement, je crois qu’on ne peut se passer de ce type d’ateliers. Il faut les mener de façon à ce que les gens ne soient pas inhibés ou cassés dans leurs désirs. Il faut leur donner des ailes, tout en essayant de leur apprendre à maîtriser un certain nombre de procédés et de techniques qui, forcément, leur permettront d’aller plus loin dans leur désir de raconter.
Michel Ouedraogo : La question de la formation est très importante. Au niveau du FESPACO, des formations s’organisent pendant la biennale. Africalia a déjà financé les class-master avec ISIS, ce qui est déjà une très bonne chose. Je pense qu’il faut aller au-delà de la formation : que faut-il faire pour encourager la formation et les écoles ? L’objectif du FESPACO est de voir au cours des prochaines années s’il est possible de créer un prix des écoles qui permettrait de sortir des formes et des codes, avec des films qui pourront être en compétition et qui seront primés. Il me semble qu’il y a un travail d’encouragement à mener afin que les écoles, dans le cadre de la formation, puissent faire de la production. Cela peut encourager et motiver, car comme je l’ai dit, le FESPACO est un cadre qui permet de projeter des films, mais aussi qui permet aux réalisateurs de se faire connaître. Les écoles peuvent se faire connaître et les cinéastes en herbe peuvent voir leur avenir se préciser grâce à ce cadre qui leur permet de mieux s’exprimer.
François Belorgey : Je tiens en tout cas à remercier Olivier infiniment. Merci à tous les participants, merci aux réalisatrices (applaudissements).

Transcription : Thibaud Faguer-Redig///Article N° : 7642

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire