« Tenir la main au futur. Qu’il ne tremble pas. Qu’il sourie. »

La Quarantaine des Récréâtrales

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Les Récréâtrales, Résidences théâtrales panafricaines, ont débuté en février à Ouagadougou. Installées dans le quartier populaire de Gounghin-Nord à Bougsemtenga, ces biennales s’organisent de février à novembre autour de trois sessions : la Quarantaine dédiée à la formation-recherche, les Résidences de création dévolues à la production et la Plateforme-festival consacrée à la diffusion. Retour sur la première étape, du 1 au 25 février dernier. Compte-rendu

Au programme : des ateliers d’écriture encadrés par Koffi Kwahulé et Carole Fréchette à destination des auteurs, un séminaire en dramaturgie avec Isabelle Pousseur pour les comédiens et metteurs en scène, puis des soirées « Partages » composées de causeries et projections de films dans une cour familiale transformée en espace scénique, à l’instar d’autres concessions du quartier. Patrick Janvier a mené, pour sa part, un chantier avec des scénographes chevronnés et apprentis réunis à l’Académie Régionale des Arts Scénographiques en ayant pour tâche de concevoir, sousla forme d’une maquette présentée aux riverains, l’aménagement des 610 mètres de rue qui accueilleront le village de la Plateforme-festival à la saison sèche prochaine. À partir du mot de ralliement « Tenir la main au futur. Qu’il ne tremble pas. Qu’il sourie », ils ont imaginé onze portes à disposer sur l’axe principal et ses artères qui sont aussi bien des seuils où s’arrêter pour habiter le présent que des passerelles à franchir vers l’avenir
Sur ce canevas traçant depuis quelques années une professionnalisation des métiers de l’art et de l’artisanat, la Quarantaine 2014 a par ailleurs eu pour ambition d’esquisser les enjeux du programme Elan, projet de relance de l’activité théâtrale en Afrique et dans les Caraïbes. Conçu pour être un incubateur de nouvelles modalités de formation et d’exploitation du langage théâtral, ce laboratoire a mobilisé un comité pédagogique international qui a travaillé du 15 au 21 février à la conceptualisation de ses contenus. Soit en tout et pour tout, une réunion de quatre-vingt artistes, pédagogues, acteurs culturels nationaux et internationaux.
Témoigner de l’effervescence créatrice dont a été empreinte cette période implique de revenir sur la logique qui préside à l’existence de ces résidences.
Nées en 2002, les Récréâtrales sont un projet de la compagnie Falinga dirigée par Étienne Minoungou. Quatre ans plus tard, une fédération de cinq compagnies burkinabè est créée, le Cartel, à partir de laquelle Étienne Minoungou et Ildevert Meda (Comapgnie Théâtr’évasion) souhaitent ouvrir le champ des possibles en matière de pratiques théâtrales en implantant les Récréâtrales dans le quartier Bougsemtenga. Aux prémices, un constat est dressé. Les festivals voués à mettre en exergue les arts théâtraux sur le continent n’ont cessé de se multiplier au cours des dernières décennies sans que les difficultés liées aux conditions de création ne s’estompent en amont : absence d’institutions qualifiantes et professionnalisantes, rareté et indigence des subventions étatiques, insuffisance des lieux de représentation, isolement des créateurs qui peinent à se faire connaître… Et même lorsque ces difficultés sont surmontées, il en résulte le plus souvent des productions éphémères et précaires par leur forçage qui ne sont ni à l’image des sociétés africaines contemporaines ni à la hauteur des enjeux qui les traversent. Les Récréâtrales ont d’emblée été bien plus qu’une vitrine. Espaces de réflexion, elles offrent aux artistes la possibilité de s’émanciper d’un regard unilatéral sur leurs œuvres et d’acquérir une plus grande maîtrise technique. Elles permettent surtout d’aborder le geste artistique selon un processus de maturation polymorphe détaché d’une logique de création solitaire, séquentielle et linéaire par la prévalence donnée au collectif et à la scène. Les Récréâtrales sont aujourd’hui une pépinière incontournable sur le continent pour la pluralité des formes théâtrales engendrées.
Ce désir d’agir sur le temps de la création et de transformer les pratiques artistiques a eu pour corollaire la recherche d’une adéquation toujours plus grande avec le territoire. De l’observation que les salles de théâtre ne restent accessibles qu’à une mince frange de la population urbaine et de la conviction que les créations africaines contemporaines ne sont pas condamnées à l’exportation pour acquérir une visibilité, l’évidence s’est imposée qu’il faut questionner les circuits existants et ramener l’art là où se déploie la vie. Bougsemtenga est un quartier qui atteste d’un ancrage patient mais prometteur du théâtre dans des lieux décloisonnés et inédits. Espace public et habitat privé s’y conjuguent dans une concertation renouvelée avec les habitants jusqu’à leur implication citoyenne par le biais d’un comité de quartier. Ainsi, s’invente une alternative à partir du local propice à un développement par et pour la culture qui donne du jeu et permet le pas de côté face aux règles d’un marché de l’art mondialisé.
Pour en arriver là, chaque nouvelle édition s’est caractérisée par une extension de l’existant de sorte que l’acquis ne vaille pas comme un cadre intangible mais soit l’objet d’un questionnement continu. La Quarantaine 2014 ne déroge pas à la tradition par le développement du laboratoire Elan qui est une redistribution à moyen terme et non plus sur une année des trois étapes de formation, production, diffusion. En dépit du perpétuel changement, l’invariant qui caractérise les Récréâtrales est la relation ; elle y a la force de l’évidence. En quête de fraternités nouvelles où joindre arts, territoire et communauté, l’aventure ne fait que commencer :  » Nous sommes des milliers d’individus isolés, il nous faut devenir un peuple ! »(1).

(1)Éditorial d’Étienne Minoungou de la 6ème édition des Récréâtrales, « Indépendantristes », catalogue de la Plateforme-festival, 2010.///Article N° : 12229

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Les images de l'article
Maquette rue oct-nov 2014
© Pénélope Dechaufour
Tenir la main au futur © Pénélope Dechaufour
Cour familiale chez les Nikiema © Pénélope Dechaufour





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