à propos de l’esclave et le molosse

Entretien de Sylvie Chalaye avec Greg Germain

Avignon, juillet 1998
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Monter ce spectacle était-ce pour vous une façon de commémorer l’Abolition de l’esclavage ?
Ce n’est pas une pièce qui célèbre l’Abolition ou quoi que ce soit d’autre. C’est un drame humain.
Pourquoi avoir choisi d’adapter un roman. N’y a-t-il donc pas de dramaturge qui aux Antilles se soit emparé de ce sujet douloureux qu’est l’esclavage ?
Il n’y a pas de pièce qui évoque vraiment ce sujet ni du côté de ceux qui ont été déportés ni du côté de ceux qui ont déporté. Il y a très peu d’écrits de toute façon. C’est une blessure épouvantable de part et d’autre. Et puis, nous appartenons aussi à une nation qui n’a pas l’habitude de faire ses devoirs de mémoire. D’une façon générale, la France veut donner d’elle une image qui est celle des Droits de l’homme. Comment va-t-on alors parler de l’esclavage qui pendant cinq siècles a déshumanisé une partie de l’humanité ? C’est un drame terrible, c’est le drame de l’humanité. C’est le plus grand drame humain. De tous les génocides, le génocide juif est un génocide particulier ; de tous les esclavages, l’esclavage des nègres est un esclavage particulier, car il s’est doublé d’une déportation, il a enfoncé sa pointe au coeur même de l’Afrique laissant ce continent pantelant. On estime qu’une centaine de millions d’êtres humains ont été déportés et combien plus nombreux encore sont ceux qui n’ont pas survécu. Les nations esclavagistes n’en parlent pas et les esclaves encore moins ; il n’y a quasiment pas de traces écrites.
Ce qui est assez remarquable dans le spectacle, c’est que les personnages ne sont jamais caricaturaux, qu’il s’agisse du maître béké ou du vieil homme esclave ; on ne glisse jamais vers la simplification manichéenne.
J’ai tenu en effet à ne pas déshumaniser les personnages, à leur garder une humanité, une complexité, même au chien si j’ose dire… C’est un drame humain des deux côtés. Celui qui avait réduit en esclavage, sûr de sa bonne foi, et en dépit de l’église catholique qui légitimait ses actes, qui les sanctifiait même, éprouvait un sentiment indéfinissable. Et du côté de l’Africain, comment pouvait-il comprendre les raisons pour lesquelles il avait été arraché à sa terre, à sa communauté pour se retrouver dans un pays où on mourait très vite, marqué au fer, traité comme une bête ? Il n’y avait pas la possibilité d’écrire ; il ne fallait que survivre ou mourir. A partir de là, les descendants gardent, cachent cette blessure.
Mais aujourd’hui un spectacle comme le vôtre exhume justement le passé.
C’est un devoir. Il a fallu que quelques esprits se réveillent… d’abord emmenés par la négritude, puis par le mouvement de la créolité pour dire : nous avons un passé nous ne sommes pas nés en 1848, nous avons des pères et des mères qui ont été esclaves qui n’ont pas laissé de nom, que nous foulons au pied… parce que les plages créoles sont de grands cimetières d’esclaves. C’était là que l’on enterrait les esclaves. Moi, petit, j’ai joué sur les plages où on avait enterré mes ancêtres. C’est pourquoi, il était important pour moi de faire ce devoir de mémoire, sans revendiquer quelque chose de particulier, simplement pour dire :  » Voilà il y a eut un drame humain, j’en suis le résultat et je revendique le chêne et le baobab. Je veux vous en parler. C’est important pour vous, c’est important pour moi. Car demain, c’est écrit hier. « 

///Article N° : 448

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