entretien d’Olivier Barlet avec Imunga Ivanga (Gabon)

1997 et 1999
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Renaissance du cinéma
– Le fait que j’ai disposé d’une bourse de l’Etat gabonais, pour financer mes études à la FEMIS  (1) dénote un certain intérêt pour le cinéma de la part de celui-ci. D’ailleurs, je ne suis pas le seul, car il y a également une compatriote, Arlette Gombomoye, qui elle a suivi une formation de producteur. Maintenant peut-on parler à partir de là de redémarrage du cinéma gabonais ?!… Ce qui est certain, c’est qu’il faut mettre en place un environnement pouvant favoriser la création. Nous devons donc être à plusieurs pour insuffler cette dynamique. Car depuis les années 80 le cinéma gabonais est quasiment tombé dans l’anonymat. Mais de nouvelles initiatives sont effectivement prises :
– à la fois par le CENACI  (2) qui après avoir produit récemment une sorte de  » télé novela « , L’Auberge du Salut – très appréciée en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso -, vient d’achever un téléfilm Orèga, réalisé par Marcel Sandja. En effet, le CENACI, sous la houlette de son directeur général Charles Mensah, lui-même réalisateur, développe une politique de production de films vidéo pour soutenir les projets cinématographiques. C’est ainsi que le Gabon a pu contribuer de façon conséquente à Le Grand Blanc de Lambaréné de Bassek Ba Kobhio, Le Damier de Balufu Bakupa-Kanyinda, et à mes films Au bout du fleuve et Dôlé.
– et au plan individuel, par un certain nombre d’acteurs privés.
Je constate qu’il y a des initiatives ça et là, qui sont de bonne augure, d’autant plus que le Gabon après Philippe Mory, Pierre-Marie Dong, Pol Mouketa, Henri Joseph Koumba, peut compter sur une nouvelle génération de réalisateurs tel Marcel Sandja, Alain Oyoue, Roland Duboze ou Mezui Onana, pour ne citer que ceux-là. Cependant, il faudra assurer la relève au niveau des techniciens.
–  » Un peuple sans écriture n’est pas un peuple sans culture  » disait Amadou Hampâté Bâ. Notre tâche est de continuer à faire exister cette culture plurielle avec les moyens de notre temps, sans tomber dans la surenchère. Moi j’ai choisi de me manifester par l’écriture et l’image.
Communiquer par l’image
– Ce qui m’amène au cinéma c’est un long processus ludique. Beaucoup de lecture d’ouvrages de bande dessinées parce qu’ils s’y trouvaient déjà une idée de mouvement, d’autres plus « sérieuses », une pratique intermittente du dessin… des études de lettres qui m’ont permis d’approcher de façon plus conceptuelle le cinéma avec un travail théorique sur l’adaptation du roman en film. Mais par-dessus tout le désir de raconter et de rencontrer le monde à travers des réalisations écrites et/ou filmiques. D’où le choix d’une école de cinéma.
– Peu importe le lieu où je me trouve : l’essentiel est d’apporter ma contribution, mais pas à n’importe quel prix. L’idéal serait de travailler en Afrique. Ma priorité demeurant l’écriture, le scénario, je n’ai pas besoin d’une grande logistique pour m’exporter – une connaissance pratique du terrain n’étant pas sans intérêt, dans la mesure où elle peut aider à saisir les subtilités qui font la différence.
– On reste très près du conte, de la parole alors que dans le livre, il nous manque une communication que l’on retrouve au cinéma et dans l’audiovisuel. La chaleur du public africain est liée à cette réaction participative, ce côté scénique et forain qui renvoie aux origines du cinéma. Je voudrais m’en emparer pour communiquer mes passions…
– L’évolution de la culture va de pair avec celle de l’audiovisuel, des services du multimédia et leurs déclinaisons. Tout cela nous le recevons… en vrac. Il faudrait faire cohabiter aux productions d’ailleurs des inventions, des contes, sitcoms, feuilletons et téléfilms africains. Un certain professionnalisme est nécessaire pour tenir la concurrence, ce qui nous permettra également d’accéder à des écrans extérieurs à l’Afrique.
– Une bonne histoire, c’est l’unique règle s’il doit y en avoir une. Parce que c’est la racine d’un film. Après, il y a dix mille façons de la raconter. Cependant, l’harmonie récit, mise en scène et technique demeure un gage de réussite. De nombreuses expériences peuvent ainsi coexister. Cela doit nous amener à définir une façon africaine de l’écriture filmique, sans qu’il soit nécessaire d’entrer dans une polémique de jeu d’opposition ou d’exclusion. C’est une réflexion à conduire de manière sereine et qui aurait pour base nos mythes, nos philosophies, nos esthétiques… Par exemple comment arriver à traduire le temps, l’espace, dans un ou plusieurs styles africains, au cinéma ? Car du désert à la forêt, le temps ne passe pas de la même façon.
– Un certain cinéma américain se caractérise par l’action… physique. On peut appeler ça la peur de l’ennui. C’est malgré tout celui qui s’impose au monde. Mais de très beaux films ne sont pas des films d’action, du moins pas au sens que lui donne Hollywood. L’action peut heureusement avoir d’autres couleurs. A nous de les étaler.
– Cependant ce qui m’impressionne ce sont les moyens importants qui sont mis à la disposition des scénaristes et des réalisateurs. Il ne s’agit pas de faire du modèle américain un modèle unique. Mais les faits nous obligent à reconnaître qu’ils se sont organisés à tous les niveaux des métiers du cinéma. Ils sont ainsi d’une efficacité redoutable quand il s’agit de commercialiser leurs films. Même quand il sont mauvais. Alors que nous nous craignons de « vendre » les nôtres… Peut-être parce que le succès attire la suspicion des critiques.
– En France le cinéma d’auteur, dont ne se dégagent plus que quelques noms, a été érigé comme norme… Cette notion d’auteur qui d’ailleurs est loin d’être simple car la réalité de l’auteur au cinéma donc du réalisateur n’a pas la même évidence qu’en littérature. Cependant en France, elle a le mérite de le préserver du producteur-financier qui de fait est obligé de le reconnaître. Aujourd’hui toutefois ce cinéma s’enferme dans une sorte d’égoïsme et ne sait plus ni donner, ni partager. Et pourtant et c’est là le comble de l’ironie, le cinéma européen est celui qui a retravaillé tout le professionnalisme du cinéma américain.
– Si je te dis que l’originalité se trouve dans l’origine, tu vas sourire. Je pense aussi qu’au-delà des formes esthétiques et des prouesses techniques, à mon sens trop étroites pour la résumer, l’originalité doit traduire la complexité de l’Homme.
S’engager
– La notion de cinéma africain masque une multiplicité de cinématographies nationales spécifiques et quelquefois certains sous-produits engageant l’ensemble et entraînant des préjugés généraux. C’est pour ça qu’on lui préfère aujourd’hui celle de cinémas d’Afrique. Encore qu’il faudrait plus parler de cinéastes d’Afrique, car il ne s’agit pas d’un mouvement mais de l’expression de volontés individuelles. Dans tous les cas, rien de tout cela ne me gène, dans la mesure où c’est de l’Afrique que je parle. Par contre, il faut insister sur la notion d’équipe et de partenariat. On n’est plus seul, on est porté par les autres. Et même si on l’était, il ne faudrait pas se résigner. Si je me disais qu’il était impossible de faire du cinéma en Afrique, je n’aurais plus qu’à fermer mon ordinateur.
– Une démocratie garantie en Europe peut stimuler la lutte pour la démocratie en Afrique, sans que cela ne soit un luxe. Les luttes des uns et des autres pour la conquête des libertés doivent profiter à tous. On ne peut pas le concevoir pour certains et le refuser à d’autres. Dans le documentaire que j’ai réalisé sur Les Tirailleurs d’ailleurs – le terme tirailleurs sénégalais est un terme générique – je cherche à capter un témoignage humain avant tout. Si ce genre d’idées en ressortent c’est tant mieux.
Une culture secrète
– Ce que l’on appelle la tradition, c’est en fait l’essence de nos cultures. Et c’est dans sa propre culture qu’il faut chercher ses racines et non ailleurs. Elle est riche en enseignements scientifique et mythique. Les danses religieuses ont une part récréative mais initient également à une façon de saisir le monde. La vision judéo-chrétienne verticale s’oppose ainsi à notre vision horizontale, fusionnelle, d’un homme inscrit dans la nature. Il modifie celle-ci pour exister et non pour la détruire ou pour son propre plaisir. Il ne s’en exclut pas. C’est une démarche spirituelle mais aussi purement intellectuelle. Il ne s’agit pas de vivre au passé, mais d’y recourir.
Cette culture malheureusement se livre peu. Elle est souvent secrète, et peut-être ainsi peu mobilisatrice. Le processus de l’initiation rigide risque d’être une barrière à la diffusion des idées et ainsi de ne pas servir notre culture dans un monde moderne.

1. FEMIS = Institut Européen pour la Formation et l’Enseignement pour les Métiers de l’Image et du Son.
2. CENACI = Centre National du Cinéma gabonais.
1. FEMIS = Institut Européen pour la Formation et l’Enseignement pour les Métiers de l’Image et du Son.
2. CENACI = Centre National du Cinéma.
///Article N° : 2485

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