Un mystérieux franc-parleur parasite les ondes de la radio nationale : Liberty. Son verbe est incantatoire, une harangue poétique engageant à la résistance, une fenêtre vers l’espoir face aux « tyrans qui meurent dans leur lit ». Il déjoue comme il se doit les pièges de la police, laquelle se ridiculise et passe à la manière forte. Mais comment se saisir d’un phénomène qui échappe au temps, une voix impalpable mais bien présente en chacun, cette énergie rebelle qui se réveille lorsque le peuple fait son unité ? Liberty est celui qui fait revivre les rêves. Il est l’insaisissable justicier des opprimés, à la fois Robin des bois et L’Archer Bassari : « celui qui dort par terre n’a pas peur de tomber ». Mais il est aussi la poésie de la politique, une méditation rebelle, le visage caché du discours, la mobilisation du cur et de l’esprit.
Il est le contraire des trois singes : il voit tout, entend tout, dit tout. Il est, en somme, la liberté d’expression. Une telle liberté dérange un pouvoir obscur traversé de sociétés secrètes. Le film orchestre sa traque sans nous dire qui il est, construisant en un récit en spirale un puzzle qu’il nous faudra résoudre, à la lumière des arrêts sur image fixés par le photographe, la sociologie d’un pays qui rêve de rupture. A l’abri de sa camionnette rouge, l’irréductible Liberty est un mythe que les habitants du matiti (quartier populaire) défendront becs et ongles face aux forces de l’ordre avant d’être tabassés et arrêtés. Pourtant, Liberty ne se laisse saisir par personne. Sa voix peut muer du masculin au féminin, embrassant ainsi tout l’univers.
Les films d’Afrique centrale ont le tragique de leur environnement. Délaissant la chronique sociologique des enfants de Dôlè (L’Argent) qui l’avait consacré comme un des cinéastes qui compte parmi les rares de cette sous-région, Imunga Ivanga ose un thriller poético-politique rythmé et foisonnant apte à faire vibrer ceux qui soupçonnent les pouvoirs en place d’avoir de sombres côtés, ceux qui ont du mal à discerner le vrai du faux. Il y a un côté Stars wars dans le scénario incantatoire de L’Ombre de Liberty : cette ombre est à l’uvre qui nous empoisonne l’avenir. Mais cette ombre n’est pas seulement dans les obscures machinations des pouvoirs, ces sociétés secrètes que le film n’hésite pas à mettre en scène : elle est aussi en chacun de nous, dans les peurs et les lâchetés, dans les dérives vers l’alcool, la désespérance, la démobilisation. « Nous n’avons pas fait grand chose pour mériter Liberty ». Et chaque fois que nous le combattons, comme ce policier qui voudrait le capturer mais dont l’enfant se meurt d’un cancer, c’est un peu de nous-mêmes que nous trucidons, ce que le film suggère par un montage parallèle dans la lignée d’Eisenstein ou du Sel de la terre.
L’espoir ? Il ne peut résider que dans la mobilisation sereine qui a pour elle le temps. « Avec lui, le temps ne suffit plus » : Liberty n’est pas dans l’urgence révolutionnaire mais engage une démocratie où chacun se lève pour être sujet, où chacun revendique une présence au monde. Au-delà de la peur, c’est la seule survie possible. Le besoin de Liberty est un besoin de poésie et de rêves – et c’est à cela qu’invite ce cinéma. A nous de remonter le puzzle comme dans ce film qui entremêle avec luxe détails le social, le politique et l’introspection littéraire. Liberty est au bout du labyrinthe, courage ! A nous de chercher en nous-mêmes de quoi lui donner de la voix. Il nous faudra affronter le chef de la police (l’inénarrable Philippe Maury) et son chien vaudou, voire même les forces spéciales comme en 68. Nous risquons comme le journaliste la torture car c’est encore l’instant des tyrans, mais patience, patience : si nous donnons à Liberty une voix au fond de nous, la nuit aura une fin. Dont acte.
///Article N° : 4663