Quel était ton désir pour ce film ?
Mon désir était de parler de l’adolescence dans un contexte urbain, mais aussi dans le cadre de Libreville qui concentre un certain nombre de passions et de désirs. C’est à travers elle qu’on suit l’évolution du pays. Bien sûr, cette jeunesse n’est pas représentative de toute la population, mais d’une bonne partie qui vit dans des quartiers déshérités. J’ai cherché à saisir leur destin au quotidien. C’est pour cela que ce film est une chronique plutôt qu’une histoire construite autour d’une bande.
Ce lien avec l’actualité te semblait important pour le premier long métrage gabonais depuis vingt-deux ans ?
La chronique n’est pas incompatible avec la fiction. Ce n’est pas un documentaire. Il s’agit seulement de saisir autour du destin de ces garçons les éléments quotidiens qui rajoutent de l’intensité et de l’humanité.
A voir leurs larcins, on pourrait presque dire que tu fais l’apologie du vol !
C’est un peu exagéré ! Ce sont des gosses en difficultés qui trouvent des solutions que l’on peut bien sûr contester. Mais ils ont aussi de véritables projets, : l’un va à l’école tant bien que mal, l’autre rêve de devenir un chanteur de rap, un autre boxeur et un autre encore capitaine au long cours. Et puis il y a le cinquième élément de la bande qui fait de menus travaux dans le matiti. Le problème est de voir en amont ce qui engendre le vol, comme la démission des parents ou la dureté de l’avenir.
Les jeunes sont effectivement livrés à eux-mêmes.
S’il n’y a personne pour leur dire quelle voie est la bonne, ça peut dégénérer. Ce ne sont pas des criminels, c’est de la petite délinquance, mais en grandissant, ils peuvent plonger et devenir de véritables criminels. Le film met en scène des avertissements, comme avec le vigile. Je donne à voir. Leur seul horizon, c’est le matiti. Leur seul échappatoire est d’aller à la mer ; c’est pourquoi elle est filmée comme un cliché, une respiration dans un univers glauque. Pourtant, dans leur situation, ils gardent la foi et se battent pour s’en tirer.
Comme une sorte d’alternative à l’argent facile qui est la tentation de tout adolescent. Tu sembles très critique de ce jeu d’argent, le dôlé.
C’est prendre aux pauvres pour enrichir les riches ! C’est une activité urbaine, pour des personnes qui n’essaient pas d’agir. On conditionne le rêve, avec des couleurs flamboyantes pour les cabines de vente, des caissières attirantes
Le jeu des enfants est-il très improvisé ?
Pas tant que ça, mais il ne faut pas oublier qu’ils sont issus de cet univers : ils jouent leur propre rôle.
Comment as tu trouvé les acteurs ?
On a fait un casting pendant deux mois, avec des annonces à la radio-télévision nationale. Tous les gosses des lycées sont venus : c’était épuisant mais très riche, on se rendait compte qu’ils avaient aussi des choses à dire. Ceux qui ont été retenus sont venus deux ou trois jours après avec un texte de rap et de la musique, qui correspondait vraiment au propos de l’histoire ; ça m’a rassuré parce que je me suis dit, ok, il y a une communion. Ensuite, on a fait avec eux un travail de mise en scène à partir des séquences du scénario pendant un mois et demi avec une caméra domestique, donc très tôt ils ont oublié la caméra et se sont concentrés sur le jeu. Comme ils connaissaient bien le dialogue, on a pu jouer sur les réactions, et tout le reste.
La musique joue un rôle important. Il y a le rap, mais pas que ça. Tu as l’habitude de travailler avec François N’Gwa : comment cela se passe-t-il ?
Bien : on arrive à un stade où je n’ai pas vraiment besoin de lui donner d’indications. Il connaît très bien Libreville, est Gabonais, il y a une véritable complicité ! Mais il n’y a pas que la musique : dans la bande sonore, chaque moment, chaque espace est caractérisé. Que l’on soit au centre-ville ou dans le matiti le matin, le midi ou le soir, on a des couleurs précises, celles d’une ville africaine.
Le soutien du Centre du cinéma gabonais n’a pas été seulement financier mais aussi logistique.
Oui, selon une dynamique initiée par Charles Mensah, le directeur général du centre cinématographique gabonais, avec la série « L’Auberge du Salut », puis avec les coproductions du « Grand Blanc de Lambaréné » de Bassek Ba Kobhio et du « Damier » de Balufu Bakupa-Kanyinda et les productions nationales. Il y a une volonté de redynamiser ce cinéma qui a été absent depuis 1978, et qui en son temps était assez dynamique et original.
Tu es retourné vivre au Gabon après avoir passé une dizaine d’années en France pour tes études.
L’idée ne m’a jamais effleuré de m’installer en France. Ce qui est important pour moi, c’est d’avoir de véritables partenaires avec qui monter des coproduction. Mon sujet pour le moment reste le Gabon, l’Afrique. En France, j’avais l’impression d’être en décalage, et en même temps, j’avais peur de ne pas être juste dans mon propos au Gabon
Tu as créé avec ton frère Yvon une maison de production. Est-ce que la chose est viable ?
Dans le contexte gabonais ce n’est peut être pas viable, mais nous l’avons créée avec la perspective de travailler aussi avec l’extérieur, que ce soit la sous-région, l’Afrique ou l’Europe. Le but est de faire des produits professionnels, compétitifs aux plans national et international.
Quel bilan tires-tu de l’expérience cannoise ?
On n’a pas la palme d’or, mais le film a eu la chance d’être récompensé, ce qui fait bouger les décideurs. Le sigle de Cannes sur l’affiche aidera aussi les spectateurs qui hésiteraient à aller voir un film africain.
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