Des bulles plein l’Afrique ! Fin octobre 2002, Kinshasa a accueilli des bédéastes de tout le continent et des milliers d’écoliers pour fêter son quatrième salon de la bande dessinée. L’occasion d’inaugurer un espace dédié à la BD au cur de la capitale congolaise.
A l’espace « à suivre », au cur du quartier Macampagne de Kinshasa, l’Acria (Atelier de création, recherche et initiation à l’art) a posé planches et crayons pour que la bande dessinée ait une vraie maison en RDC. Stages et résidences d’artistes devraient bientôt s’y dérouler.
Du 25 au 29 octobre 2002, elle y a accueilli la quatrième édition du salon africain de la bande dessinée de la lecture pour la jeunesse. Une magnifique fresque murale reprend en couleurs les principaux personnages de la bande dessinée congolaise depuis ses origines. Plus de 12 000 écoliers venus de toute la ville y passeront, pour y rencontrer les bédéastes venus de toute l’Afrique. Une rencontre parfois déroutante, mais toujours riche en enseignement pour les uns et pour les autres. Hector Sonon, fraîchement débarqué de Cotonou, explique à un groupe d’une dizaine de jeunes filles en jupette bleue et chemisier blanc où se trouve le Bénin, puis leur raconte les différentes étapes de la fabrication d’une bande dessinée, du scénario à la planche définitive, en passant par l’encrage et la mise en couleurs.
Pendant les quinze jours précédents, le scénariste français Franck Giroud a animé un atelier d’adaptation : huit stagiaires – romanciers, conteurs, acteurs – se sont initiés pour finalement produire le script d’une bande dessinée de huit pages qui devrait prochainement être éditée à Kinshasa. Autre Français présent sur place, le dessinateur P’titluc, aussi connu pour ses rats philosophes et cyniques que pour ses balades motocyclistes le long des pistes africaines. Infatigablement, il a palabré avec chaque jeune bédéaste, commentant leurs dessins et leur technique, répétant patiemment que l’important est de bien définir d’où vient la lumière
L’événement était donc placé sous le signe de la discussion et de l’échange des savoirs. En RDC, où la réconciliation autour du « dialogue intercongolais » n’en finit pas, le salon de la bande dessinée a voulu prendre position. Le festival s’est donné comme slogan « La BD est un BD « , « La bande dessinée est un bon dialogue « . Barly Baruti, parrain congolais de toute la bande dessinée d’Afrique subsaharienne et initiateur de ce salon a ainsi posé des jalons pour l’avenir. Les bandes dessinées commencent à gagner une réelle audience sur le Continent noir, des associations dynamiques favorisent l’éclosion de jeunes bédéastes, des projets d’édition d’auteurs africains voient le jour en Europe : la bande dessinée africaine doit se structurer.
Lors d’une réunion qui fera date, Barly fait s’asseoir à la même table Hector Sonon (Bénin), Odia (Sénégal), Atsain Désiré (Côte d’Ivoire), Neil Verlaque-Napper (éditeur d’Afrique du Sud), Adji Moussa (Tchad), Franck Giroud (France), Pahé (Gabon), Didier Kasaï (République Centrafricaine) et Kangol (Cameroun). L’objectif doit désormais être d’améliorer la qualité des productions pour que l’on ne dise plus « C’est pas mal pour un dessinateur africain ». Aussi, la bande dessinée doit s’affranchir des subventions et du système d’assistanat que certaines institutions du Nord ont mis en place. Sans pour autant rejeter les aides et les coups de pouce qui permettent de lancer les projets importants, la BD africaine n’a de réel avenir que dans la logique d’une production commercialement viable. Pour partager les expériences fructueuses mais aussi les échecs, un réseau des professionnels de la bande dessinée est désormais mis en place. Le magazine Africultures, en s’investissant dans le projet AfriBD, compte bien jouer un rôle important dans cette interconnexion des différents acteurs de la BD africaine, en leur offrant dans un même temps une vitrine vers l’extérieur.
Outre les réunions, le dialogue était également au rendez-vous lors des rassemblements informels. Dès le petit-déjeuner, les bédéastes parlent de
BD. Charly le Kinois explique qu’il utilise les teintes des glaces alimentaires pour faire ses couleurs : le joli rouge du soleil couchant est obtenu grâce à la pigmentation des glaces à la fraise
Hector le Béninois applique la même technique, et ajoute que pour avoir des jolis bruns, il trempe ses pinceaux dans du Nescafé. En Afrique, certains ont du pétrole, d’autres des idées
La grande innovation de ce quatrième salon tenait à l’occupation de l’espace urbain voulu par les organisateurs. L’espace Bercy Top, au cur de la commune populaire de Masina, la Fondation Barly, l’Ibizabar et d’autres lieux encore ont eux aussi vibré pour la BD. Grâce au dévouement des bédéastes du cru, comme Kash, Dady ou Polydor, et au soutien financier de l’Agence de la Francophonie et de l’association Africalia, principaux partenaires, ce salon a tenu ses promesses populaires et artistiques.
L’événement, relayé par tous les médias audiovisuels, a donc fait bouger tout Kinsahsa. A Kin, la bande dessinée circule dans la rue, comme le prouve la grande notoriété de Papa Mfumu’Eto, bédéaste et « grand prêtre de la peinture mystico-religio-secrète africaine », comme il se qualifie lui-même. Autre preuve de l’impact de la BD, la forte participation au concours pour jeunes talents « Dessine-moi la paix ». Une cinquantaine d’auteurs en herbe ont ainsi décliné ce thème en quelques planches, décrivant aussi bien la guerre qui déchire le pays que les conflits de voisinage qui empoisonnent le quotidien.
Ce quatrième salon a renforcé la certitude de chacun des participants que la bande dessinée peut tout dire, pour tous les types de public. L’Afrique commence à peine à se raconter par la BD : alors que le continent semble lentement glisser dans le chaos, la BD apporte humblement ses planches (de salut) et ses bulles (d’air frais) à la construction d’un monde meilleur.
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