Poupées d’argile

De Nouri Bouzid

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Il y a dans « Poupées d’argile » une très belle scène (parmi tant d’autres) : Omrane, courtier de « bonnes à tout faire » qui va les chercher au bled pour les louer aux riches familles tunisiennes, apprend que Rebeh, une de ces filles devenue femme dont il est amoureux, a été violée et est enceinte. Il lui demande de planter ses dents dans sa chair. Toute la force du cinéma du Bouzid de L’Homme de cendre et des Sabots en or est là : il donne véritablement corps à ses personnages déchirés et à la dérive. Sans en faire des moulins à parole, il trouve les métaphores gestuelles qui leur permettent d’exprimer à la fois leur blessure et la fièvre qui les anime. Le vin qu’ingurgite sans mesure Omrane est pour lui un exutoire salutaire face à la désespérance, mais en apprenant la nouvelle, il le déverse sur le sol, parce que le retour en arrière, la réparation est impossible.
De même, Fôdha, l’enfant de six ans qui emmène de l’argile pour continuer à modeler des poupées comme on le faisait au village, les fait et les défait sans arrêt. Elle se construit, se déconstruit et se reconstruit sans cesse, à l’image de toutes ces femmes à qui l’on vole leur enfance. Elle se refaçonne sans cesse, pour ne pas rester figée dans une attitude de poupée soumise. La matière joue là une part essentielle, comme le feu, l’eau, le bois dans Les Sabots en or, et donne la mesure de la puissance métaphorique d’un cinéaste au sommet de son talent, qui sait allier la puissance évocatrice des éléments à la poésie signifiante des lumières et de l’image.
Façonnage des corps et des êtres par la douleur, par la ville aussi, tant la découverte de Tunis se fait peu à peu, tant elle enferme graduellement les personnages. Ce qui n’empêche pas d’y rencontrer des personnages magnifiques de générosité et d’épaisseur humaine, ou accablants de tristesse : les seconds rôles ne sont jamais décor ; ils engendrent une constellation de sentiments et enrichissent le récit plutôt qu’ils ne le dispersent.
Tandis qu’Omrane, archétype masculin, est condamné à purger le poids de ses bassesses, Rebeh, qui aimait chanter « la fille de l’air et du vent » quand elle était petite, fera l’apprentissage de la dure quête de la révolte et de la liberté, ouvrant la voie à la petite Fôdha. C’est bien sûr à cela que nous appelle ce beau film.

///Article N° : 2659

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