La technologie numérique a profondément modifié les pratiques de la photographie en Afrique comme ailleurs. Héric Libong, directeur du service photo de Panapress, à Dakar, éclaire les conséquences de cette révolution, aux plans esthétique et économique, pour la photographie de presse africaine.
Depuis quelques années se joue dans l’économie de la photographie une lutte sans merci entre l’argentique et le numérique. Compte tenu de certaines contraintes, notamment éditoriales, qui imposent la rapidité de traitement et de transmission, le numérique a fini par triompher. À tel point que de grandes maisons photographiques à l’instar d’Agfa et de petites agences photos, qui privilégient les reportages de fond(1), n’ont pas résisté longtemps à ce raz-de-marée numérique, où souvent la quantité et l’esthétisme priment sur la qualité et le fond (1). Quant aux grosses agences filaires (AFP, Reuters ou AP), qui misent d’abord sur l’actualité, elles ont consolidé leur position.
À quelque chose malheur est bon, puisque, dans cette course effrénée au profit, de plus en plus de revues et d’agences occidentales ont le réflexe positif de faire appel à des photographes africains, qui sont sur place, pour couvrir les événements du continent. Héric Libong, directeur du secteur photographique de Panapress (Agence panafricaine de presse), revient sur les enjeux actuels de la photographie de presse africaine.
Pourriez-vous présenter succinctement le service photo de Panapress : son histoire et sa vocation panafricaine ?
Le service photo de Panapress a été monté en 2001, quelques années après la privatisation de la Pana, devenue Panapress, agence panafricaine de presse. Du point de vue de l’information, ce service a pour vocation de répondre à la demande d’une information multimédia rendue possible grâce à l’évolution de la technologie numérique et des nouvelles technologies en général. D’un point de vue éditorial, ses objectifs sont de fédérer des photographes africains exerçant sur tout le continent, afin de leur permettre de proposer au monde leur vision – endogène – de l’actualité africaine. C’est pourquoi, dès le départ, nous avons opté pour une production à double volet. Tout en suivant une logique d’agence de presse qui consiste à produire des images de news, nous estimons nécessaire de disposer d’une base importante de sujets magazine et d’illustrations, afin d’aller au-delà des faits et de fournir à notre clientèle une vision plus pointue sur les réalités africaines.
Combien de photographes collaborent régulièrement ? Quel profil a le photographe qui travaille pour Panapress ?
Actuellement, nous travaillons avec un réseau d’une quarantaine de photographes. Tous n’évoluent pas avec les mêmes statuts. Nous avons les » staffeurs » qui sont rémunérés sur une base mensuelle et les pigistes rémunérés à l’unité en fonction de l’image choisie et diffusée. Enfin, nous collaborons avec un certain nombre de photographes indépendants à qui nous faisons signer des contrats de co-production et de diffusion. Le profil du photographe de Panapress s’articule donc autour de ces trois statuts. Le » staffeur » est basé dans un bureau régional et doit être capable, en plus de son travail de photographe, de planifier les activités d’un réseau régional. Le pigiste, lui, a pour tâche de réagir à l’actualité. Quant au photographe indépendant, il doit être en mesure de fournir une vision personnelle et originale des sujets sur lesquels il veut collaborer avec nous. Tout cela, bien entendu, en plus de la qualité visuelle indispensable à la publication et à la diffusion des images à la fois sur nos sites et chez nos partenaires et clients.
Et le profil du client de Panapress ? Travaillez-vous davantage avec la presse continentale ou la presse internationale ?
Le profil du client de Panapress est très large. En fait, au départ et en principe, nous travaillons avec toute structure ayant besoin d’images, qu’il s’agisse de médias, d’institutions, de sociétés ou d’associations. Pour l’instant, il est vrai que la grande majorité de notre clientèle vient de la presse écrite. La presse africaine dans son ensemble n’étant pas une grande consommatrice d’images (à part en Afrique du Sud où il y a une réelle culture de l’image de presse et du photojournalisme), nos principaux clients se trouvent en Occident. Beaucoup sont en France où la demande, notamment par l’intermédiaire de notre partenaire à la diffusion, est permanente. Mais nous en avons de plus en plus dans le reste du monde, de façon moins régulière. Les manières d’utiliser l’image diffèrent en Afrique et en Europe. En Occident, nous diffusons à l’utilisation, comme une agence de photographie. En Afrique, nous travaillons sur abonnement, en fonction d’un certain nombre d’images téléchargeables par mois.
Quelles sont les plus grosses demandes en matière de couverture de l’actualité africaine ?
D’une façon générale, c’est l’événementiel qui reste la plus grosse demande, et malheureusement, l’événementiel tragique : les conflits, les famines, les catastrophes, etc. La demande reste liée à ce que l’Occident a envie de savoir de l’Afrique et à ce que montre la télévision. Cela dit, notre volonté a toujours été de susciter la demande, en essayant le plus souvent possible de travailler sur ce que les autres ne montrent pas. C’est parfois ce qui a fait notre image de marque. Les catastrophes n’empêchent pas d’essayer de trouver des solutions pour s’en sortir et de continuer à vivre. C’est cet espoir que nous cherchons à mettre en évidence. Et ça, une grande partie de notre clientèle l’a compris. Elle a également intégré le fait que nous n’avons pas les mêmes moyens que les agences comme AFP, AP ou Reuters, et en cas de situation conflictuelle, elle attend de nous autre chose. Un autre regard.
Pourriez-vous nous donner quelques exemples concrets ?
Je me souviens qu’en 2003 nous avions réalisé un sujet sur les mines antipersonnelles qui font des ravages au Mozambique. Nous l’avons abordé en travaillant sur des rats géants, surnommés » rats de Gambie » et qui sont élevés dans une université agricole de Tanzanie pour aller déminer les terrains du Mozambique. Le sujet a eu pas mal de succès et a été repris après par des photographes d’autres agences. Nous avons également bien bossé sur la Côte-d’Ivoire aux heures les plus chaudes de la crise, en essayant de montrer l’envers du décor. Il ne s’agit pas de se voiler la face devant ce qui est moche, mais de montrer qu’une réalité en cache beaucoup d’autres.
La révolution du numérique a-t-elle changé la donne pour Panapress ? Si oui, comment ?
La révolution du numérique a changé la donne pour toute la pratique du photojournalisme en Afrique et pas seulement pour Panapress. Nous avons commencé avec des gars qui n’avaient jamais touché à un appareil numérique, voire même pour certains, un ordinateur. Maintenant, le numérique est devenu une banalité, à tel point qu’il y a pas mal de photoreporters qui à l’inverse n’ont jamais travaillé en argentique.
En 2001, le numérique était pratiquement à ses débuts et les appareils étaient difficilement accessibles pour les photographes, qu’ils soient en Afrique ou ailleurs. Aujourd’hui tout le monde peut s’en procurer un. Les photoreporters se sont multipliés sur le continent. Il n’y a qu’à regarder les grandes agences. Aujourd’hui, ce sont des Africains qui, en grande partie, constituent leur réseau. Ça coûte moins cher. Cela dit, il y a une contrepartie. Le fait qu’il y ait plus de photoreporters en Afrique ne signifie pas que les meilleurs soient plus nombreux.
Il est devenu facile de se prétendre photographe sur le continent. On rencontre moins de photographes qui ont une vision personnelle, un vrai regard. La plupart font du news pour répondre à la demande occidentale et se faire de l’argent rapidement. Très peu prennent le temps de faire du vrai magazine et surtout d’apprendre leur métier. Bref, on a gagné en quantité, mais nous avons beaucoup perdu en qualité et en vision.
De plus, il n’y a jamais eu de vraie législation autour de la photographie de presse en Afrique, puisque les journaux locaux ne sont pas consommateurs. Le boom du numérique et la profusion de photographes de presse créent, à ce niveau, une situation qui est proche de l’anarchie. Il n’est pas rare de voir des photographes qui travaillent pour une multitude de médias parfois concurrents. Personnellement, j’ai toujours mis en garde mes collaborateurs par rapport à cela. Le numérique ? Ok, c’est une nécessité pour faire du news. Mais quand j’envoie un photographe faire du magazine, je lui conseille toujours de prendre son argentique. Seuls ceux qui dès le départ ont reçu une bonne formation et ont une vraie vision peuvent travailler sur l’un ou l’autre support, sans que la qualité de leur travail s’en ressente.
D’après un entretien pour Africultures en 2003, vous estimiez que les Rencontres de Bamako ne laissaient pas d’espace à la photographie de presse. Qu’en est-il pour la dernière édition de 2005 ?
Je reprochais surtout l’absence de débat autour du photojournalisme en Afrique tant au niveau du sens qu’au niveau de la législation. Ça rejoint ce que j’ai dit sur le numérique. Il est temps de mettre de l’ordre dans une profession qui tend à l’anarchie. Pour moi, les Rencontres de Bamako doivent constituer cette tribune. Je ne suis pas allé à l’édition 2005. C’est une autre personne qui a représenté Panapress. Selon ses dires, il y a eu peu de changement. Mais gardons espoir
1. À ce propos, lire cet article fort intéressant de Christian Caujolle, » Entre la crise du visuel et celle d’une profession. Presse et photographie, une histoire désaccordée « , Le Monde Diplomatique, septembre 2002, pp. 26-27. Disponible à l’adresse suivante : http://www.monde-diplomatique.fr/2002/09/CAUJOLLE/16897.///Article N° : 5820