Sembène Ousmane affiche son cinéma

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Accrocheuse, mystérieuse, parfois racoleuse, l’affiche de cinéma est avant tout destinée à promouvoir un film et à attirer l’attention du spectateur. Celles des films de Sembène Ousmane en disent déjà long sur l’univers du cinéaste et sur les messages qu’il véhicule.

Mises bout à bout, les affiches des principaux films de Sembène Ousmane forment une bande cinématographique où apparaissent clairement divers thèmes chers au cinéaste, toujours inscrits dans une dimension sociale ou historique. Dénuées de tout artifice, ces affiches sont à l’image des films qu’elles défendent, porteuses d’un message fort et engagé, aux antipodes du support visuel racoleur et formaté.
Anonymes ou réalisées par des artistes reconnus, les affiches de films constituent des œuvres visuelles dont certaines sont devenues des classiques du genre.
Indéniablement liées à l’histoire du 7èm art, à la fois intemporelles, éphémères et inscrites dans l’air du temps, elles ont leurs propres codes qui, eux-mêmes, évoluent en fonction des tendances visuelles de l’époque dans laquelle elles s’inscrivent.
Dépouillées ou saturées de signes, elles sont porteuses d’un certain nombre d’informations qui, une fois décryptées, en disent beaucoup sur l’atmosphère du film qu’elles portent et sur l’univers de réalisateur. Regarder l’affiche d’un film, c’est déjà entrer dans cet univers et palper le drame ou la comédie qui s’y joue.
Observer une affiche de film de Sembène Ousmane – en prenant le parti de faire abstraction du film lui-même – c’est capter l’intensité dramatique qui se joue dans son cinéma, dont la dimension sociologique est perceptible en un regard.
Ce qui frappe dans les affiches de films de Sembène Ousmane prises dans leur ensemble, c’est l’atmosphère de gravité qui s’en dégage, malgré la causticité présente sur certaines d’entre elles comme Xala ou Guelwaar. Tout en restant supports visuels à part entière, elles sont aussi à l’instar de son cinéma, subtilement militantes, percutantes et chargées d’une grande force narrative.
Se limitant à un seul mot ou deux tout au plus, les titres des films sont courts et retentissants. Un certain nombre est en wolof – Xala, Moolaadé, Guelwaar, Faat Kiné, Ceddo, Emitaï – ce qui limite leur compréhension pour un spectateur non sénégalais. Pourtant, la langue ne constitue pas un barrage, tant l’iconographie qui l’accompagne est porteuse du message contenu dans le film. Par association d’idée, le spectateur relie spontanément le mot qu’il ne comprend pas aux éléments visuels présents dans l’affiche – comme pour Xala ou Moolaadé – suffisamment parlants pour lui permettre de saisir la thématique à laquelle ils renvoient.
De fait, la non-compréhension du titre, au point de ne pas toujours pouvoir décrypter s’il s’agit d’un nom propre ou d’un mot, installe un certain suspens qui frappe l’imaginaire du spectateur et lui donne envie de savoir ce qui se cache derrière ce mot-clé.
Sembène Ousmane est le cinéaste du refus et de la résistance. Ces deux axes se cristallisent dans sa filmographie le plus souvent à travers l’itinéraire d’un individu qui cristallise tous les maux de la société dans laquelle il évolue. Nombre des affiches de ses films mettent en scène un personnage qui se détache et dont la posture et la gravité montrent que si son combat n’est pas gagné d’avance, il résiste et refuse le sort qui est le sien. Dans le combat pour la dignité placé au cœur de l’œuvre du cinéaste, celui pour la dignité de la femme occupe une place prépondérante. De La Noire de… à Mooladé en passant par Faat-Kiné, trois affiches de ses films témoignent de ce combat et du regard que le cinéaste portait sur la femme.
Derrière son apparent dépouillement, l’affiche de la Noire de… est d’une grande force suggestive. L’époque de réalisation du film (1966) est facilement repérable dans cette affiche où le « look » du personnage féminin, robe cintrée et chignon haut à la Brigitte Bardot, évoque les sixties. De plus, le style dépouillé et réaliste de l’affiche fait écho à celui de la Nouvelle Vague alors en cours dans le cinéma français.
Cette affiche présente dans une grande sobriété, une femme, digne, belle, dont l’élégante simplicité emplit la partie droite de l’affiche, la partie gauche étant remplie de texte. Assise sur un support invisible à l’image, la femme trône, légèrement de biais, les bras en appui devant elle. Son regard absent dénote d’une souffrance perceptible mais que l’on ne peut qualifier sans connaître son histoire. Pourtant, le titre qui se détache en blanc sur le fond noir de l’affiche apporte, par son contenu même, un indice – faussement anodin – sur l’humiliation subie par cette femme. Les termes mêmes de « Noire de… » la déshumanisent et la réduisent à la couleur de sa peau. Elle est « la Noire » de quelque chose ou de quelqu’un. Ce terme, faisant appel par sa connotation négative à l’inconscient culturel et collectif, suffit à évoquer l’idée d’asservissement qui, très vite, renvoie le spectateur à l’esclavage et à la colonisation – d’autant que cette dernière est encore fraîche dans les mémoires.
Si le titre positionne la femme comme une victime, si son corps apparaît emprisonné dans le fond noir de l’affiche, comme pour souligner l’enfermement dans lequel elle se trouve, son image la réhabilite en tant qu’individu. Son port de reine et la dignité qui se dégage de son attitude montrent que, aussi asservie soit-elle et quelles qu’en soient les circonstances, cette femme résiste de l’intérieur, refusant de tout son être le joug qui lui est imposé et dont elle cherchera inévitablement à s’échapper. Le fond noir de l’affiche dans lequel elle baigne laisse augurer du drame qui se joue dans le film et semble déjà signifier la brisure de sa destinée.
Autre portrait de femme, autre forme de résistance : l’affiche de Faat Kiné (2000), présente le portrait en gros plan d’une femme coiffée d’un turban jaune. Son expression fermée et déterminée semble défier un ennemi invisible. Son visage envahit l’affiche, lui donnant une omniprésence affirmée. Là encore, la gravité du personnage témoigne des difficultés auxquelles il doit faire face dans le film. Elle regarde en biais vers le bas de l’affiche d’où se détache au second plan le buste d’une femme assise et photographiée de dos. Cette double composition instaure un dialogue entre les deux figures qui se font face. Est-ce la même femme vue sous un autre angle ou une autre ? Peu importe. L’effet de miroir opère et la détermination de la femme de face entre en résonance avec la destinée de la femme de dos. Coiffée d’un turban bleu assorti au pagne noué à sa taille, cette dernière présente un dos couvert de cicatrices qui peuvent être interprétées comme des scarifications ou des stigmates de coups. Gravées dans le corps, comme des marques de souffrances, ces cicatrices portent en elles l’histoire de l’héroïne. Quelle qu’en soit leur origine, elles montrent un corps mutilé mais pas pour autant résigné. Le dos n’est pas courbé mais droit et tendu.
Les deux personnages arborent des bijoux qui mettent en avant leur féminité et qui, au-delà de leur fonction décorative, témoignent de la volonté de ces deux femmes à ne pas se laisser aller, à se recentrer sur eux-mêmes et à lutter vaille que vaille. La couleur jaune dans laquelle elles sont baignées et le bleu ciel présent en haut de l’affiche laissent à penser que l’espoir est possible et que l’héroïne du film peut potentiellement sortir victorieuse de son combat, si difficile soit-il.
Plus de trente années séparent ces deux affiches qui témoignent de deux époques en tout point différentes. L’une se situe au lendemain des indépendances, l’autre à l’aube du 21ème siècle. Et pourtant, voir ces deux affiches l’une à côté de l’autre, c’est suivre le parcours de deux « héroïnes ordinaires », mais solidaires, sur lesquelles Sembène Ousmane a choisi de s’arrêter pour témoigner de la souffrance de toutes les femmes. Dans ces deux affiches, aucun autre élément iconographique ne vient soutenir les figures de femmes comme pour mettre l’accent sur le combat solitaire qui est le leur. Elles envahissent l’affiche de leur présence solaire témoignant de l’admiration et du profond respect de Sembène Ousmane pour leur capacité à lutter et à résister contre toutes les formes d’oppression.
Plus stylisée, à l’image de son époque de réalisation (2004) dont la tendance est à la photographie « artistique », l’affiche de Moolaadé met en scène, à travers une photographie d’une grande force symbolique, des petites filles qui peuvent être celles que les héroïnes de La Noire de… et de Faat Kiné ont été.
Très réussie dans sa composition visuelle, l’affiche de Moolaadé est traversée en diagonale par une rangée de quatre fillettes formant une ligne de partage qui vient découper l’affiche en deux triangles rouge et blanc. Le triangle rouge sature le haut de l’affiche à travers ce qui semble être des vêtements cérémoniaux portés par des adultes qui encadrent les fillettes. Le triangle blanc est formé par les pagnes qui recouvrent les petites filles et dont la blancheur immaculée envahit le bas de l’affiche. La première fillette, torse nu, parée de cauris. Les yeux baissés, soumise, elle semble prostrée, les mains posées devant son sexe, comme dans un élan de protection et de défense. Les fillettes qui la suivent son recouvertes d’un drap blanc et semblent attendre leur tour, dévoilant ou cachant un visage inquiet et douloureusement interrogatif. Une rainure rouge, échappée du haut de l’affiche, déchire la surface blanche tel un jet de sang qui vient lacérer la partie blanche de l’affiche. Le cérémonial de la scène s’impose d’emblée, soulignant subtilement que le film prend aussi en compte la dimension culturelle de la cérémonie.
À travers deux couleurs dominantes et ô combien symboliques – le rouge sang des toges et le blanc des pagnes, maculé de l’innocence, mais évoquant aussi l’univers clinique – l’affiche fait appel aux référents de la mémoire collective, convoquant chez le spectateur le thème de l’excision. Son parti pris expose clairement le message du film qui s’élève contre cette pratique. Si elle n’en nie pas la dimension rituelle – à travers la mise en scène de l’image – elle en pointe la souffrance et dénonce le traumatisme qu’elle génère à travers l’expression tendue d’angoisse et de résignation des petites filles. Peu importe ce que moolaadé (1) signifie pour le spectateur ne parlant pas le wolof, l’attitude des petites filles et le contexte ritualisé sont suffisamment parlants. Les lettres du titre signifient, par leur seul tracé, leur condamnation de la situation qu’elles soulignent. Personnalisées par un style calligraphique manuscrit, gorgées de rouges, elles traversent l’image horizontalement, contrant la composition diagonale de la scène représentée, comme en signe de protestation.
Si les affiches de La Noire de… et Faat Kiné posent les femmes en héroïnes, les fillettes de Moolaadé sont présentées comme des victimes innocentes et démunies face à un rite entretenu par des adultes et auquel elles ne peuvent échapper sans soutien. Si le film raconte le combat d’une femme contre l’excision, l’affiche met l’accent sur la violence et le trauma qu’elle génère. Focalisée sur les figures d’enfant, elle interpelle la conscience du spectateur mettant en évidence la fragilité de ces enfants soumis à un rite auquel elles ne peuvent échapper.
Contrairement aux icônes féminines qui se suffisent à elles-mêmes, les hommes n’apparaissent que rarement isolés dans les affiches de Sembène Ousmane. Même s’ils en restent les éléments centraux comme dans Borom Sarret (1962), Camp de Thiaroye, Xala, ou Le Mandat, ils sont définis par des objets qui les déterminent en suggérant leur position sociale.
Le personnage de Borom Sarret est positionné par rapport à sa carriole tirée par son cheval. Ce simple élément, facilement identifiable comme étant son instrument de travail, élément vital, dérisoire et essentiel qui accompagne son quotidien, suffit à dire le labeur et la lutte pour la survie de cet homme dont le visage émacié et le chapeau usé accentuent la pauvreté.
Le personnage du Mandat (1968) est situé par rapport aux deux femmes qui apparaissent au second plan de l’affiche et dont on devine qu’elles jouent un rôle prépondérant dans sa vie. Contrairement aux autres affiches des films de Sembène, dont le support est photographique, celle-ci est dessinée à la manière des affiches des années quarante / cinquante. Un peu désuète, elle représente le portrait d’un homme, le visage tendu vers le ciel qu’il semble implorer avec une rage mêlée de désespoir. Il brandit un papier rectangulaire qui renvoie au titre du film inscrit en lettres noires au-dessous de l’affiche. Par association d’idées, le spectateur comprend spontanément que l’objet de son tourment est lié au mandat dont le cachet de la poste accolé sur le fond blanc du bas de l’affiche, peut évoquer celui de la poste française malgré les mentions « Dakar » et Sénégal ». Si cette affiche un peu surannée peut paraître, au premier abord, anecdotique, elle déroule le drame du film en quelques coups de crayons et contient des éléments intéressants sur la société dans laquelle elle s’inscrit. Plutôt synonyme de bonne nouvelle parce que porteur d’argent, dans cette affiche, l’effet est inverse, le mandat apparaissant d’emblée comme l’élément moteur du drame.
Le cachet de la poste détaché du reste de l’affiche, comme pour marquer la distance, évoque en toile de fond la question de l’immigration et du flux d’argent généré par les travailleurs immigrés qui envoient une partie de leur gain au pays. Les deux femmes, présentées au second plan, sont l’une à côté de l’autre, signifiant leur solidarité au détriment de l’homme dont elles se détournent. Regardant ensemble dans la même direction, placées au même niveau, elles semblent inscrites dans une certaine complémentarité et leur seule présence auprès de l’homme, suggère la polygamie. Leurs coiffes et leurs accessoires (boucles d’oreilles, lunettes) laissent à penser qu’elles sont peut-être installées dans un certain standing de vie. L’homme se détache sur un fond hachuré de couleur orangée, évoquant le feu et par là même, le péril dans lequel il se trouve.
Dans un tout autre genre, l’affiche de Xala (1974) met en scène dans un jeu d’opposition deux figures d’homme. L’une en arrière-plan est celle d’un homme dont le costume noir – coupé à l’occidentale – et la mallette dénotent d’une position sociale aisée et d’un certain mimétisme avec l’Occident. Sa silhouette s’éloigne vers le fond de l’affiche, strié de rainures orangées. Au-delà de sa référence au graphisme en vogue dans les seventies, période de réalisation du film, ce fond peut évoquer un soleil couchant aux rayons aveuglants et trompeurs. C’est vers eux que s’en va l’homme dont on perçoit déjà qu’il court à sa perte.
Au second plan, apparaît un autre homme vêtu d’un costume traditionnel blanc contrastant avec le costume noir de « l’homme moderne ». La tête couverte d’un bonnet, il tient fermement, tel un sceptre – un bâton de bois – qui lui donne une certaine autorité. Le regard lointain, il semble perplexe face à la nudité étendue d’un corps de femme qui envahit le premier plan de l’affiche. Ce corps provocant – représenté du milieu du buste au bas des cuisses, et donc clairement sexualisé – est vu de dos par le spectateur. Ainsi travaillé, il semble érigé comme une dune, un obstacle infranchissable pour les deux hommes dont l’un lui fait face alors que l’autre semble s’en détacher. Face à l’arrogance de ce corps nu, le bâton de l’homme qu’il semble narguer, peut évoquer un phallus dont l’ombre se projette sur sa tunique blanche. Sur le dos de la femme, comme un tatouage bleu glacé, s’inscrit le titre, Xala (2), dont la calligraphie tremblante présage de sa menaçante signification.
Xala est probablement l’affiche la plus graphique et la plus osée de la filmographie de Sembène Ousmane, abordant frontalement la question de la sexualité tout en opposant la tradition à la modernité à travers les figures des deux hommes qui se tournent le dos et dont les vêtements dénotent de manière contrastée que, s’ils sont confrontés au même obstacle, ils ne vivent pas dans le même monde.
L’histoire et l’épopée sont également très marquées sur les affiches des films de Sembène Ousmane. Celles d’Emitaï (1971), Ceddo (1976), Guelwaar (1992) ou encore Camp de Thiaroye (1996) sont chargées d’une dimension épique qui implique toute une communauté, même si les figures d’un ou de plusieurs individus sont mises en avant.
L’affiche de Guelwaar est très intéressante dans son procédé narratif qui superpose plusieurs éléments de lecture, apportant au spectateur des clés de compréhension de l’univers du film.
Au premier plan, le titre se détache en lettres jaunes sur une gigantesque croix posée sur la terre. Juste au-dessus, deux hommes courbés déposent un linceul sur le sol tandis qu’un homme en boubou bleu, les bras baissés le long du corps, assiste à la scène, le dos courbé. En arrière-plan, se détache une mosquée flambant neuve devant laquelle sont entassés des paquets marqués du sceau de « l’aide alimentaire ». Les minarets de la mosquée percent un ciel d’un bleu immuable où apparaît le buste d’un homme, tenant un micro d’une main et pointant de l’autre, lequel un bandeau suspendu dans le ciel, portant la mention « Vive la coopération Nord / Sud ».
L’homme est saisi en plein discours et sa posture laisse présager de son éloquence et de son charisme. Ainsi présenté, il a la stature d’un leader dont l’apparition dans le ciel, associée au linceul du premier plan, peut laisser à penser qu’il est mort.
La confrontation dans un même plan de divers éléments narratifs comme la croix, la mosquée, les bandeaux de l’aide alimentaire et de la coopération Nord / Sud ainsi que les drapeaux qui s’agitent dans le ciel, suggèrent les conflits et les antagonismes qui vont s’exprimer dans le film. Si le spectateur novice ne peut en tirer la trame exacte de la narration, il comprend instantanément que le film retrace la destinée d’un homme hors du commun dans un contexte local où s’expriment des antagonismes religieux, politiques et sociaux « cadrés » par des contingences internationales interventionnistes (aide alimentaire et coopération) dont les répercussions locales ne sont pas anodines. L’affiche instaure un climat de tension non dénuée d’une certaine causticité rehaussée par la vivacité de ses couleurs.
L’affiche de Ceddo suggère d’une autre manière la « guerre des religions » en superposant les portraits de deux chefs religieux, l’un Occidental, l’autre Africain. Traités sur le même mode, tout laisse à penser que, s’ils ne pratiquent pas la même religion, ils sont animés par la même ambition d’imposer leur pratique religieuse. Leur image apparaît au centre de l’affiche traduisant leur pesante présence et la menace qu’elle représente pour les personnages en fuite représentés au-dessous d’eux. Sur la droite de ces personnages apparaît, presque intrusif, un bâton sculpté évoquant les objets de culte animiste, honnis par les religieux. À leur gauche, défilent trois portraits qui, de par leur isolement même dans des photos séparées, peuvent signifier la résistance des personnages face aux deux religieux. Si la figure des deux religieux est centrale sur l’affiche de Ceddo, les éléments discordants qui l’entourent témoignent du potentiel de résistance que pourront rencontrer ces deux personnages tout au long du film.
La résistance est également marquée sur l’affiche d’Emitaï qui oppose des tirailleurs en action à des civils armés de lance. La présence même des tirailleurs aux côtés desquels on devine le portrait, à la fois pesant et dérisoire du général de Gaulle, accroché à un tronc d’arbre, permet de contextualiser l’histoire autour de la colonisation et la seconde guerre mondiale. La confrontation dans un même plan de tirailleurs avec leurs « frères » civils, suggère leur instrumentalisation par l’armée française. Outre un visage d’homme qui se détache de la superposition d’images, la position assise des civils armés de lances témoigne d’une forme de résistance passive.
Chargée d’une force tout autant dramatique, mais recentrée sur un personnage, l’affiche de Camp de Thiaroye plonge directement le spectateur dans la tragédie. Construite sur deux plans elle est composée de deux images qui se font inévitablement écho. Celle du haut est le portrait d’un tirailleur que l’on reconnaît à sa tenue et au sommet du fusil qu’il tient comme un étendard. L’arbre et la lumière en arrière-plan, suggèrent qu’il est en terre africaine mais sa pose en « garde à vous » et son visage fermé montre qu’il n’est pas libéré de ses fonctions. Derrière lui, le dessin d’un mirador entouré de barbelés vient s’inscrire en superposition sur l’image de l’arbre dénotant l’idée d’enfermement. Au bas de l’affiche, l’image d’un homme barbu étendu sur le sol, le torse nu d’où s’échappe un filet de sang instaure un climat dramatique. De toute évidence, cet homme est mort. Juste derrière lui, gît un autre corps vêtu de blanc laissant présager un massacre. Est-ce le même homme que le tirailleur du haut de l’affiche ? Là n’est pas l’essentiel. L’essentiel est que les photos de ces deux hommes se font échos. Leurs images sont reliées par le titre dont les lettres jaunes sont traversées de barbelés. Le terme même de « camp » dans le titre, les barbelés, le mirador et les corps étendus évoquent un univers carcéral dont l’issue peut-être mortelle. L’impression d’angoisse suscitée par l’affiche est rehaussée par les bandeaux rouge et noir qui encadrent les photos insinuant le sang et la tragédie. Allant sans détour à l’essentiel, l’affiche de Camp de Thiaroye, si elle ne délivre pas le contenu de son histoire, la contextualise et montre, d’emblée, que le film abordera un sujet dur et que sa condamnation sera implacable.
Parce que chacune va bien au-delà de la simple accroche marketing, les affiches des films de Sembène Ousmane le placent d’emblée comme un auteur dont le nom est mis en avant. À l’image de son cinéma, elles sont sans concession et sans mensonge sur le message véhiculé par le film. La présence de certaines mentions sur les affiches – « Prix spécial du jury à la Mostra de Venise pour Le Mandat et Camp de Thiaroye, Prix Un certain regard pour Moolaadé – atteste de la reconnaissance critique dont ses films ont fait l’objet. L’affiche de La noire de… – qui n’était que son troisième film – est, à cet égard, éloquente. Elle indique que le film a été primé à trois reprises l’année de sa sortie (Prix Jean Vigo, Tanit d’or au Festival international de Carthage, prix du meilleur réalisateur africain au Festival mondial des arts nègres de Dakar). Outre des extraits de critiques publiés dans les grands médias figurant sur l’affiche, les noms de Georges Sadoul et de Jean Rouch parachèvent la consécration du cinéaste. À en croire Jean Rouch, avec Sembène Ousmane « le geste et la parole sont enfin donnés à ceux qui en ont la véritable maîtrise ». Il était temps !

1. Moolaadé signifie « droit d’asile »
2. Xala signifie « impuissance sexuelle »
///Article N° : 8523

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