Si le tremblement vient des profondeurs, Belle merveille aussi

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Belle merveille, premier roman du poète haïtien James Noël, sorti en août dernier chez Zulma, nous parle des réactions des habitants d’Haïti suite au tremblement de terre de 2010. Par le prisme d’un homme et de sa compagne, se déploie une tragédie contemporaine, du côté de ceux qui restent.

Si vous n’aimez pas la poésie ne l’achetez pas. Si vous êtes quelqu’un d’hyper rationnel et que vous ne vous laissez jamais emporter par les connexions libres des pensées, ne le lisez pas. Ou sortez de votre zone de confort ! Nous parlons ici du premier roman de James Noël, Belle Merveille. Bernard : le protagoniste. Amore : son grand amour. Le séisme d’Haïti en 2010 : l’épicentre d’une histoire sans début ni fin, mais qui est comme un cercle où il est possible de rentrer à tout moment. Et de ne jamais échapper à l’intensité.  Car dehors, dans les rues, il y a un concours de cris auquel participent les missionnaires venus des quatre coins du monde pour « alimenter les larmes », mais aussi des anciens croyants qui déchirent et brûlent leur bible, des voleurs d’aides humanitaires, des photo-reporters qui captent dans le vif le sang chaud, s’insinuant dans la source même de la blessure « pour fixer et améliorer chaque performance » de l’angoisse. Ce ne sont pas les seuls à prolonger la souffrance : des chorales de fin du monde jonglent entre l’absence d’espoir et les applaudissements vis-à-vis du corps médical. Et puis il y a les séances collectives de psychanalyse post-traumatique auxquelles Bernard n’arrive pas à confier sa douleur: « A quoi bon se préparer pour témoigner d’un drame vécu de l’intérieur ? ».

Une question de conscience

Mort vivant parmi d’autres, le protagoniste et narrateur de ce long cauchemar auquel l’humour noir n’est pas étranger, ni la réflexion profonde et fulgurante, ni, évidemment, la haute poésie, Bernard a vécu le séisme comme une musique qu’on ne pouvait que fredonner.  Une poussière de coke de la mort à laquelle il restera toujours dopé, lui qui a été retrouvé dans un sale état : « un poteau électrique sur la nuque, une pile de blocs de pierre d’un immeuble effondré jusqu’aux hanches ». Malgré cela ou justement pour ça, il prend sur lui la responsabilité des gens de plume, ceux qui « ont dû parler avec des gants, étant porteurs d’une charge lourde, doublée d’une peine incommensurable : parler au nom des morts et des vivants, dénoncer les silences et les blancs de l’histoire, sans tomber dans la xénophobie ».  Et alors comment ne pas cracher sur les soldats de l’Onu amenant, en guise de secours, le choléra du Népal à Haïti ? Comment faire confiance à la politique bilatérale quand il y a un petit enfant qui a crié : « La France c’est un grand pays qui est là pour prendre, pas pour donner » ? Et jusqu’à quand tourner sur soi-même, voltigeant, en se bouchant le nez, pour ne pas s’apercevoir que l’odeur de l’argent emplit l’air en même temps que l’odeur pestilentielle des cadavres ? Ou encore : pourquoi toutes les nations se réclament touchées par le drame alors que c’est là-bas que la misère court pieds nus et prend racine au fond des nombrils, comme un ténia ?

A l’amour et à la mort

Si pour Bernard il est possible de continuer à vivre et accepter que 35 secondes ont suffi à extirper la vie à trois-cent milles êtres humains, c’est parce que Amore, cette femme italienne secouriste, l’a identifié quand il était presque mort en criant « un vivant, un vivant ». C’est avec elle qu’il est plus facile de respirer, là-haut à la montagne où ils crient ensemble et leurs poumons deviennent des parachutes du désespoir. L’amour et la mort sont liés à jamais, dans ce manuscrit qui décrit le tremblement de terre dans les termes d’une pénétration érotique : « Ma ville recevait le coup en plein cœur, elle bondissait et voltigeait dans tous les sens. Elle tremblait jusqu’au vertige avant de craquer comme une fille dans les bras d’un brigand […] Toute seule, le corps tremblant durant trente-cinq secondes, les flux montaient, la mer montait, c’est comme si la ville s’activait publiquement à s’envoyer en l’air ». Port-au-Prince est ici ramenée sous les projecteurs sept ans après les évènements. James Noel le fait avec grâce et amour, sarcasme et ironie, colère et tristesse. Toujours, avec tendresse. Pour le comprendre il faudra « placer l’oreille s’il le faut au ras du sol pour entendre ce que veut dire vraiment parler, ce que veut dire s’exprimer la tête en bas, dégager une science qui vient des profondeurs, une conscience puisée dans le magma ». Une oeuvre à lire et relire, sans avoir peur de trembler.

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