Il n’est pas de trop de signaler que Nganang qui nous est revenu pour un court séjour au lendemain de la révolte sociale qui a secoué le pays, en était parti dans un climat presqu’analogue caractérisé par la révolte estudiantine marquée d »actes vandales’. C’est sans préméditation que son livre, Apologie du vandale, a été présenté le 20 mars à la librairie des Peuples Noirs. Autant le dire, les événements affublés de l’adjectif ‘vandale’ lui collent à la peau.
Patrice Nganang est un auteur profondément marqué par les réalités du bas-peuple dont du destin, il se sent solidaire. Ceci transparaît tout au long de son uvre littéraire. Si la prose restitue cette réalité sous les traits du grotesque et du fantasque, c’est à la poésie qu’il réserve le meilleur de sa sensibilité lyrique. Et comme Baudelaire en son temps, il a choisi de transmuer la boue en or par la magie du verbe. Par le pouvoir du verbe poétique, il remet constamment en cause les référents du discours qui entre en concurrence avec les réalités sociologiques perçues tant au niveau individuel que collectif. Elobi, le recueil de poèmes qu’il partage avec le public au milieu des années 90, confortent l’idée de cette démarche ancrée dans la laideur sublimée des humbles en proie à leur quotidien.
Mais il faut également mentionner cette pulsation de la lutte qui caractérise l’auteur. Issu lui-même de ces quartiers, il est très tôt confronté au combat qu’inflige le vécu rude de ces milieux. Sa lutte puise dans un idéal de justice qu’il porte comme un stigmate. L’auteur animé par cette pulsion est, est-on en droit de le supposer, à jamais marqué par la révolte estudiantine des années de braise qui a conduit à la résurgence du mot vandale, lequel jeta un discrédit sur les revendications au demeurant légitimes. Ce vocable s’imposa aux cadets comme un terme chargé de considérations exclusivement péjoratives. Exploitant le préjugé qui environne le mot vandale, il en fait la base d’un chantier, un prétexte esthétique au centre duquel dérive une multitude de connotations toutes sous-tendues par l’idée de procès.
Apologie du vandale, c’est donc d’abord une esthétique du vandalisme qui s’exprime par le non-respect des exigences scripturaires : ponctuation, majuscule des noms propres ou de la lettre inaugurale d’un vers
, c’est l’usage ‘inadéquat’ et/ou volontairement anarchique de quelques signes typographiques pour renforcer leur portée sémantique par le secours de l’effet visuel. Tel il en est du signe ‘&’ dont l’usage tend à renforcer le lien additionnel que suppose la conjonction de coordination ‘et’ qui au demeurant, n’est employé en toutes lettres que six fois dans le texte poétique qui constitue cet opus.
Comment pourrait-on interpréter, en dépit du jeu poétique et de la recherche scripturaire, cette tendance à abolir la majuscule si ce n’est par cette tension vers un nivellement des réalités vertueuses que charrient chaque culture dans son rapport au monde afin qu’ils conduisent à l’égalité des choses et des êtres dont les aspirations ultimes, s’incarnent dans l’idéal démocratique. Le vandalisme, sur le plan morphologique du texte atteint des sommets lorsqu’il entreprend de déconstruire les mots dans leur structure ordinaire pour en faire un instrument rythmique :
liquidation
liqui
dation
li
quidam
dam dam dam dam
jedametudamesnousdamonsvousdamezils
maca maca maca
damnation
tion liqui da tion
oui
liquidamtion
Comme on peut le voir, le mot liquidation, déconstruit, en engendre d’autres (quidam, damnation) par le biais du rythme ; imprégnant à la portion du texte, une ambiance d’oppression et d’exclusion conjuguée au verbe dammer. Ces transgressions qui traduisent un processus esthétique, s’imbriquent dans une logique qui vise également des thématiques qui se moulent et se développent dans le sillage d’une autre connotation du vandalisme.
Et c’est le champ thématique, séquencé en deux sessions. Lesquelles donnent à lire la polysémie du mot vandale qui embrasse une infinité d’intelligibilités selon le camp de celui qui emploie le mot, et même du contexte qui l’impose. Festin nocturne la première session, dénonce le règne du vampirisme qui prévaut et par ce fait, exige une posture vandale. Mais le pouls encore battant attendra-t-il la prochaine irrigation de son corps avant le dernier toast ? Il n’en est pas certain et fils de la nuit, il se laisse errer au souffle du vent. Le climat décrit dans cette séquence qui attente à la dignité humaine, est en soi-même un acte vandale contre l’homme. Pour venir à bout d’un tel système il faut désarticuler la machine de l’ordre, s’en prendre aux despotes dont l’action est proche des vampires. L’auteur s’emploie donc à montrer l’impératif et la noblesse d’un acte vandale lorsqu’il est question de survie et de dignité : je cours pour échapper à mon ombre dit-il. La description du système est si hideux que tout semble distordu, même le symbole de l’amour qu’incarne la femme : femme silencieuse mer de vie/ éclat permanent au bras de mon cri/ je te hais/ car pourquoi faut-il encore un poème avant que je puisse t’aimer.
Revenant sur la personne du poète et de sa mission qui est de surgir précisément quand rien ne tourne plus, quand le renoncement devient ambiant, il rappelle la portée prophétique de son action dans la société. Parce qu’elles sont justement en contraste et avance sur l’ordre, donc, désaccordées, celui-ci (le poète), devient le vandale par excellence. Le pourvoyeur d’un vandalisme salutaire Quand notre corps est/ une interdiction centenaire de parler. Il vaut donc pour se faire entendre, entériner les logiques du vandalisme. C’est ici que le titre de l’uvre trouve justification. Apologie, acte de défense et par un glissement phonétique, apologie devient apologize, une contrition car/ tout poème est une frappe/& toute frappe sur le radeau /de son rêve sa propre damnation /au naufrage pour que naisse l’amour. C’est dire que malgré la puissance de ses convictions le poète intègre et entrevoit dans ce type d’action les dégâts collatéraux puisque le corps en soi est un espace qui subit le vandalisme d’état.
Le vandale devient alors, le dépositaire du déni de la ruine. Mais la ruine dont il est l’incarnation, n’est rien d’autre que le reflet d’une contamination sociale chopée dans l’ambiance sociopolitique de l’époque qui l’héberge, le façonne et conditionne ses positions. La mort, seule certitude, devient le catalyseur qui entraîne le vandale à franchir le seuil de l’action. Sans action, crois-tu vraiment échapper au rire/ des charognards/ qu’appelle ton sang.
Il y a également dans ces poèmes, la dynamique biblique du prochain. Face à l’instauration d’un état de débauche qui n’est pas sans rappeler Sodome et Gomorrhe, Patrice Nganang recourt aux épisodes analogues évoqués par la bible. Ici, une autre échelle du vandalisme est abordée puisqu’il invoque Judas Iscariot pour déclencher la machine salvatrice. Le traître biblique est donc invoqué pour sauver le monde ; sacrilège diront les dévots. Fidèle à sa logique, il réhabilite le personnage qui par son acte, a à sa manière, contribué à déstabiliser le système oppressif de l’empire romain. Il souhaite donc la venue de plusieurs Judas qui, gratuitement, njo-o, accompliront la triste besogne pourvu que l’humanité soit sauvée.
Le texte poétique cède à la postface, en guise de réponse à nos petits enfants, est une invite à la prise immédiate de nos responsabilités devant l’histoire. Car le poète qui renoue avec sa mission étymologique poeïsis, agir, faire, se trouve être en chacun de nous. Pour la dignité, nous sommes tous des vandales qui s’ignorent.
Patrice Nganang, Apologie du vandale, Clé, Yaoundé, 2006, 78 p. ///Article N° : 7538