Ăcrivain prolifique et quâon ne prĂ©sente plus, auteur tant dâessais que de poĂ©sie et de romans, raconteur dâhistoires, Alain Mabanckou met en scĂšne, pour cette rentrĂ©e littĂ©raire 2022, les tribulations de Liwa, fraĂźchement trĂ©passĂ©, et de tout un cortĂšge de morts. Entre le trĂšs convoitĂ© CimetiĂšre des Riches et celui du FrĂšre-Lachaise, visite guidĂ©e des lieux de sĂ©pulture de Pointe-NoireâŠ
Un mort rĂ©calcitrant qui ne veut pas rester en place, câest courant, apprend-on dans le dernier roman dâAlain Mabanckou, câest mĂȘme la rĂšgle⊠Il paraĂźt que tout jeune dĂ©funt arrive dans la tombe avec des idĂ©es de grandeur et dâinjustice en tĂȘte. Le jeune hĂ©ros du Commerce des AllongĂ©s ne sâappelle-t-il pas Liwa EkimakingaĂŻÂ ? A-t-on oubliĂ© le nom que sa grand-mĂšre lui a donnĂ© Ă la naissance et qui signifie trĂšs exactement : « La mort a eu peur de moi » ? Ă bon droit, il se croit donc immortel et, quand la terre sâouvre pour le recracher vers le ciel comme un aliment mal digĂ©rĂ©, il estime quâil nâa rien Ă faire lĂ . Plus persuadĂ© dâĂȘtre victime dâune regrettable mĂ©prise que de la mort elle-mĂȘme, quand il comprend ce quâil lui arrive et oĂč il se trouve, il ne songe quâĂ quitter le tombeau et Ă aller se mĂȘler aux vivants, cela, au mĂ©pris des conseils donnĂ©s par les anciens, eux qui sont arrivĂ©s il y a longtemps et qui mangent des mangues avec rĂ©signation Ă lâombre des allĂ©es du cimetiĂšre. Parce que le monde des morts ressemble ici trait pour trait Ă celui des vivants, on sây sustente apparemment le plus naturellement du monde et on y attend son heure patiemment⊠sauf LiwaâŠ
Si vous suivez ce nouveau hĂ©ros dâAlain Mabanckou, jeune homme candide et attachant qui rappelle de prĂ©cĂ©dents personnages du romancier, Ă commencer par celui de Verre cassĂ© ou le truculent Petit Piment, il vous entraĂźnera, certes, du cĂŽtĂ© de Pointe-Noire, dont lâauteur a fait depuis longtemps dĂ©jĂ le dĂ©cor dâun univers colorĂ©, construit livre aprĂšs livre et aujourdâhui familier au lecteur. Avec lui vous remonterez, en suivant la gĂ©ographie de la ville, la gĂ©nĂ©alogie de sa famille, son enfance, ses ennemis comme ses amours, bref le cours entier de ses annĂ©es de vivant jusquâĂ lâaventure qui lâa conduit au cimetiĂšre du FrĂšre-Lachaise. Ce faisant, au-delĂ de la dose dâhumour quâexcelle toujours Ă distiller Alain Mabanckou au fil de ses histoires, vous plongerez tout autant dans les rites funĂ©raires dâune communautĂ© congolaise oĂč lâon se rassemble quatre jours autour du trĂ©passĂ©, oĂč lâon pleure, oĂč lâon chante, sous la houlette trĂšs officielle des « chanteusespleureuses », oĂč les grands-mĂšres, enfin, peuvent bien se dĂ©soler de survivre Ă leurs petits-fils fauchĂ©s dans la fleur de lâĂąge, que dans le monde des plus puissants, corrompu et falsifiĂ© par la sorcellerie. Les moindres actions humaines sây trouvent mĂątinĂ©es de secrets et de sacrifices, rappelant, sous les dehors de la fiction, la rĂ©alitĂ© dâune sociĂ©tĂ© complexe. Peu Ă peu, les traditions sâen effacent pour laisser place Ă une forme de modernitĂ© contagieuse, mais il nâen reste pas moins que le merveilleux lâhabite toujours et que, dans un monde oĂč les deux versants de lâexistence sont aussi proches, en un mot, un monde oĂč lâon nâĂ©prouve peut-ĂȘtre pas autant le besoin de nier et de renier la mort sans cesse, comme on le fait en occident, il nâest jamais exclu de se retrouver face Ă face avec un fantĂŽmeâŠ
Extrait lu p. 101-102
Annie Ferret
Alain Mabanckou, Le commerce des Allongés,
Ăditions du Seuil, 2022, sortie le 19 aoĂ»t