[🎧]Alain Mabanckou passe de l’autre cĂŽtĂ© de la vie avec « Le Commerce des AllongĂ©s »

Print Friendly, PDF & Email

Écrivain prolifique et qu’on ne prĂ©sente plus, auteur tant d’essais que de poĂ©sie et de romans, raconteur d’histoires, Alain Mabanckou met en scĂšne, pour cette rentrĂ©e littĂ©raire 2022, les tribulations de Liwa, fraĂźchement trĂ©passĂ©, et de tout un cortĂšge de morts. Entre le trĂšs convoitĂ© CimetiĂšre des Riches et celui du FrĂšre-Lachaise, visite guidĂ©e des lieux de sĂ©pulture de Pointe-Noire


Un mort rĂ©calcitrant qui ne veut pas rester en place, c’est courant, apprend-on dans le dernier roman d’Alain Mabanckou, c’est mĂȘme la rĂšgle
 Il paraĂźt que tout jeune dĂ©funt arrive dans la tombe avec des idĂ©es de grandeur et d’injustice en tĂȘte. Le jeune hĂ©ros du Commerce des AllongĂ©s ne s’appelle-t-il pas Liwa Ekimakingaï ? A-t-on oubliĂ© le nom que sa grand-mĂšre lui a donnĂ© Ă  la naissance et qui signifie trĂšs exactement : « La mort a eu peur de moi » ? À bon droit, il se croit donc immortel et, quand la terre s’ouvre pour le recracher vers le ciel comme un aliment mal digĂ©rĂ©, il estime qu’il n’a rien Ă  faire lĂ . Plus persuadĂ© d’ĂȘtre victime d’une regrettable mĂ©prise que de la mort elle-mĂȘme, quand il comprend ce qu’il lui arrive et oĂč il se trouve, il ne songe qu’à quitter le tombeau et Ă  aller se mĂȘler aux vivants, cela, au mĂ©pris des conseils donnĂ©s par les anciens, eux qui sont arrivĂ©s il y a longtemps et qui mangent des mangues avec rĂ©signation Ă  l’ombre des allĂ©es du cimetiĂšre. Parce que le monde des morts ressemble ici trait pour trait Ă  celui des vivants, on s’y sustente apparemment le plus naturellement du monde et on y attend son heure patiemment
 sauf Liwa


Si vous suivez ce nouveau hĂ©ros d’Alain Mabanckou, jeune homme candide et attachant qui rappelle de prĂ©cĂ©dents personnages du romancier, Ă  commencer par celui de Verre cassĂ© ou le truculent Petit Piment, il vous entraĂźnera, certes, du cĂŽtĂ© de Pointe-Noire, dont l’auteur a fait depuis longtemps dĂ©jĂ  le dĂ©cor d’un univers colorĂ©, construit livre aprĂšs livre et aujourd’hui familier au lecteur. Avec lui vous remonterez, en suivant la gĂ©ographie de la ville, la gĂ©nĂ©alogie de sa famille, son enfance, ses ennemis comme ses amours, bref le cours entier de ses annĂ©es de vivant jusqu’à l’aventure qui l’a conduit au cimetiĂšre du FrĂšre-Lachaise. Ce faisant, au-delĂ  de la dose d’humour qu’excelle toujours Ă  distiller Alain Mabanckou au fil de ses histoires, vous plongerez tout autant dans les rites funĂ©raires d’une communautĂ© congolaise oĂč l’on se rassemble quatre jours autour du trĂ©passĂ©, oĂč l’on pleure, oĂč l’on chante, sous la houlette trĂšs officielle des « chanteusespleureuses », oĂč les grands-mĂšres, enfin, peuvent bien se dĂ©soler de survivre Ă  leurs petits-fils fauchĂ©s dans la fleur de l’ñge, que dans le monde des plus puissants, corrompu et falsifiĂ© par la sorcellerie. Les moindres actions humaines s’y trouvent mĂątinĂ©es de secrets et de sacrifices, rappelant, sous les dehors de la fiction, la rĂ©alitĂ© d’une sociĂ©tĂ© complexe. Peu Ă  peu, les traditions s’en effacent pour laisser place Ă  une forme de modernitĂ© contagieuse, mais il n’en reste pas moins que le merveilleux l’habite toujours et que, dans un monde oĂč les deux versants de l’existence sont aussi proches, en un mot, un monde oĂč l’on n’éprouve peut-ĂȘtre pas autant le besoin de nier et de renier la mort sans cesse, comme on le fait en occident, il n’est jamais exclu de se retrouver face Ă  face avec un fantĂŽme


 

Extrait lu p. 101-102

Annie Ferret
Alain Mabanckou, Le commerce des Allongés,
Éditions du Seuil, 2022, sortie le 19 aoĂ»t

  • 6
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire