Quand un poète et un scénariste se mettent au roman, on attend le résultat avec curiosité – et on est surpris : là où Kossi Efoui (le dramaturge) se lance dans une écriture plutôt difficile à aborder, Alain Mabanckou (le poète) opte pour une forme plus classique, presque scolaire. Pourtant, les deux textes suivent plus ou moins la même construction d’un avant et d’un après – tout est déjà fini quand on commence, comme le dit Efoui.
Alain Mabanckou s’inspire, dans Bleu Blanc Rouge, du culte des Parisiens, ces immigrés aux allures de héros une fois de retour au pays pour les vacances. Le Paris qu’ils font miroiter aux yeux des jeunes et des moins jeunes a quelque chose d’irréel, une illusion que l’on entretient avec des lettres-type à la chérie restée à Brazza : « Je t’écris en face de la tour Montparnasse que je contemple chaque matin depuis le salle de bains de notre magnifique appartement du quatorzième arrondissement. » Aucune mention de la petite chambre de bonne où l’on fait les trois-huit pour dormir. Le périple du héros qui quitte son pays pour la désillusion est d’un réalisme dur et fait penser aux romans de Daniel Biyaoula abordant le même sujet. Cependant, le personnage et l’intrigue manquent un peu d’épaisseur – dans un souci de bien faire, l’auteur aurait-il renoncé à des solutions plus radicales dans l’écriture ? Le roman se lit bien malgré tout, et a l’avantage, même s’il n’est pas le premier à le faire, de casser un peu le mythe d’un eldorado parisien.
Après Bleu Blanc Rouge, La Polka de Kossi Efoui peut paraître un peu déroutant au premier abord. L’histoire se déroule dans la Capitale, ville sans nom mais riche en surnoms : Ville-Basse, Ville-Haute, Saint-Dallas. Un paysage de joie de vivre, avec les virées nocturnes au Bar M., le carnaval et la rumba, où évolue le trio du narrateur, de son ami Iléo Para et de Nahéma alias La Polka, une adolescente photographiée sur une carte postale qui » atterrit du ciel « au Bar M. Mais depuis l’apparition de la Chose du Dieu-guettant et des Evénements, il n’y a plus rien de tout cela, juste une pile de cartes postales dans les mains du narrateur, qui attend une réponse au message diffusé jour après jour : » ?Iléo Para et Nahema do Nacimiento dite La Polka sont attendus au point de rencontre nº15?????? « . Le réalisme et le fantastique se fondent, le récit a des allures de rêve avec, à l’image même du rêve, des bouts de vrai qui se transforment, se combinent en prenant de nouvelles significations. Un roman auquel on revient pour mieux savourer les mots et le rire envoûtant de La Polka.
Bleu Blanc Rouge, d’Alain Mabanckou, Ed. Présence Africaine, 1998, 222 p., 120 FF.
La Polka, de Kossi Efoui, Editions du Seuil, 1998, 160 p., 95 FF.///Article N° : 554