Avec le salon Etonnants Voyageurs, une tradition littéraire est en train de s’établir à Bamako. Après une première édition en février 2001, une centaine d’écrivains se sont retrouvés du 21 au 25 février 2002 pour ce festival international du livre.
Prolongement africain d’Etonnant Voyageurs – Saint Malo (France), qui existe depuis 1990 à l’initiative de Michel Le Bris, écrivain fécond, le rendez-vous de Bamako est organisé avec Moussa Konaté, auteur et éditeur malien. Il s’agit de répondre à un besoin d’échanges, de dialogue, et de provoquer « une confrontation culturelle » : « Chacun de nous a une claire conscience de la nécessité de cette ouverture« , ont affirmé les initiateurs du festival.
A Bamako, l’événement est synonyme de réveil culturel : atelier de formation au journalisme culturel à la maison de la Presse, atelier de lecture à Kora Films, cérémonie de lancement de l’espace culturel Komoguel
‘Etonnants Voyageurs ! quelles nobles histoires !
Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers !’
C’est par ces vers de Baudelaire que Maëtte Chantrel, l’animatrice des cafés littéraires, a introduit la portée littéraire du thème du voyage, inhérent à l’existence humaine qui ne se conçoit qu’ « en terme de voyage entre la vie et la mort ». Les écrivains réunis ont échangé leurs expériences de voyage. Pour Henri Lopes, le voyage (surtout le premier en France) permet de dessiller les yeux sur les réalités sociales. En Afrique, on voyage traditionnellement pour le mariage, le baptême, la circoncision, pour des raisons d’ordre occulte. En Europe, la curiosité est ce qui presse l’homme à s’aventurer dans l’espace. Mais toujours, le voyage est une façon d’expérimenter deux éléments de la condition humaine : l’espace et le temps. Il met en évidence ce qui fonde l’unité de l’humanité et rend possible le rapprochement entre les hommes.
Les écrivains se sont attachés à l’actualité du Continent, cette démocratie en ombres et lumières, son difficile ancrage. La sortie de l’Afrique des partis unique implique un nouveau regard sur l’autre, une nouvelle orientation sur le champ social, un nouvel esprit créatif. C’est la tâche de la nouvelle génération d’écrivains documentée dans le dernier numéro de la revue Notre librairie (n°146, oct-déc. 2001). Ils oeuvrent à une libération de la parole et de l’écriture. Les rapports humains se font plus étroits, mais aussi plus conflictuels. Les masses entrent en scène. Il faut parler leur langage à travers le théâtre, le roman, la nouvelle, la poésie.
Etonnants Voyageurs ayant débuté à Saint-Malo, c’est le Nord qui s’ouvre au Sud, ce qui ne va pas sans heurts, sans désir de puissance. La question de l’indépendance culturelle fut posée, notamment par l’universitaire béninois Guy Ossito Midiohouan. L’écrivain du Sud apparaît comme un philosophe qu’on consulte sur les grandes questions métaphysiques, d’où le thème débattu du « retour des ancêtres ». Face à la crise identitaire, faut-il retourner aux sources ancestrales ? Le thème a divisé les esprits. D’un côté, Urbain Dembélé, Olympe Bhêly Quénum
De l’autre, Kossi Efoui, l’enfant terrible du festival. La voix des ancêtres ne cesse de nous interpeller pour qu’on oublie pas la leçon du sol. Mais la modernité a elle aussi ses exigences. Quel pont jeter entre le passé et le présent ? Les réalités du Continent sont si brûlantes qu’elles provoquent des déchirures intimes, des blessures provoquant des cris de révolte.
Etre écrivain, c’est être capable de dire ces réalités sans peur. Dire l’horreur, l’indicible, élever la voix au-dessus du mur de silence coupable qui entoure, selon Tanella Boni, l’Afrique martyrisée. Ce sont des femmes écrivains (Ken Bugul, Fatou Keïta, Anandi Devi
) qui ont été la figure de proue de ce combat littéraire, invitant à s’exprimer franchement au sujet de la violence et de sa banalisation, de la vie amoureuse viciée, de l’excision, des rapports intimes souvent fait de frustrations entre hommes et femmes.
Furent évoqués les drames liés à l’intersubjectivité : la présence directe et indirecte de l’autre, génératrice de conflits. Abdourahman Waberi de Djibouti, Koulsy Lamko du Tchad, Kossi Efoui du Togo ont exprimé la douleur de vivre, tout en tentant de montrer le chemin dans le dédale d’un monde déboussolé.
Souvent, les écrivains sont en exil, dont le « clapotis fait ballotter leurs uvres », lesquelles se chargent de mélancolie. Toujours le problème de la reconquête d’un être en danger de perte. Pour Cheik Chérif Keïta, Michel Le Bri
la musique peut nous aider à nous retrouver, à être nous-mêmes.
Au cur de tous les débats, le sort tragique d’un continent dont on est allé jusqu’à nier l’existence. « L’Afrique n’existe pas »: ce dernier thème a suscité de vives réactions dans l’enceinte du Centre Culturel Français.
Un hommage fut rendu à Senghor et à Mongo Beti, à travers les témoignages d’Erick Orsenna, Guy Ossito Midiohouan, Papa Samba Diop, Diallo Bios
Senghor, l’homme des paradoxes ; Mongo Beti, l’éternel engagé.
Cette deuxième édition du Festival a été marquée par une impressionnante conquête du public. Il est sorti du cercle restreint du café littéraire : les écrivains sont allés en milieu scolaire et universitaire ; au Palais de la Culture s’est tenu un atelier d’illustration et d’écriture sous la direction de Dominique M. Wankumi (auteur et illustrateur congolais) et Janine Kotwica (universitaire spécialiste de l’album illustré)
Un stage de formation d’une vingtaine de journalistes de la presse écrite et de la télévision, sous la direction de Daniel Fra, de l’Ecole Supérieure de Lille, a produit un quotidien du festival, mais l’une des innovations majeures fut la délocalisation à Kita, Mopti, Koulikoro, grâce à l’appui de l’appui de la Filière du Livre au Mali (AFLAM) sous la direction d’Aline Présumey. C’est ainsi que Koulikoro a véritablement vécu Etonnants Voyageurs dans la bibliothèque Alioun Blondin Beye, en compagnie de Boubacar Boris Diop et Tanella Boni.
A Bamako, particulièrement au CCF, des spectacles de conte, de marionnettes ont été suivis par un public d’enfants et d’adultes. Lors de la cérémonie de clôture le 25 février a permis la remise du prix du reportage RFI, prix Reporter Sans Frontières remporté par le Malien Diassé Boiré dans la catégorie radio. Diassé Boiré est chargé des questions liées à l’agriculture à la Division Animation Rurale de l’ORTM (Office de Radio et Télévision du Mali). Son reportage intitulé « Les larves de mouches comme aliment pour le bétail » a été diffusé le 13 février 2001 sur les antennes de l’ORTM.
Le Festival Etonnants Voyageurs est une chance pour le Mali d’aujourd’hui et de demain – comme l’a dit Pascal Baba Couloubaly, ministre de la Culture : « un festival à encourager et à soutenir ».
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