Poèmes à partager à l’occasion de la Nouvelle Année

Print Friendly, PDF & Email

En ce début d’année, la parole poétique refait surface, elle qui est toujours là par-delà les modes et tous les discours. Sans détour, elle dit ce qu’elle a à dire aux humains en empruntant précisément ses propres armes : l’association inédite d’images et de mots dansant de concert au rythme de l’humeur du monde. Là, tout n’est pas luxe, calme et volupté, comme dans le monde idéal de Baudelaire. La poésie est l’une de ces « armes miraculeuses » d’après le mot de Césaire, pour exprimer l’amour qu’on porte à un peuple, pour dire les souffrances des femmes et des hommes, un mal-être, les ravages de la guerre sans fin. Ainsi peut-elle donner vie dans l’évocation de l’inquiétude, du mal-être, des temps présents ou à venir – à l’amitié et à la fraternité… Car « c’est la guerre qu’il faut tuer » (Ernest Pépin). Tuer la guerre afin que renaissent des relations plus humaines, qu’il y ait moins d’exclusions, plus de partage équitable pour prévenir et éviter ce jour où le basculement d’un pays est possible : « Pour un jour le Sénégal peut avoir peur / pour un jour il peut avoir honte » (Amadou Lamine Sall). Mais les mots ne sauraient pleurer, ils permettent aux humains de rester debout : ils invitent au partage et à l’espoir, même en pleine crise mondiale. Voici donc quelques poèmes à partager. Nous publions ici celui d’Amadou Lamine Sall et ceux d’Ernest Pépin.
Tanella Boni
.
.
Le jour m’a prêté ses lèvres
Ses paroles d’araignée au fil lent
Il m’a dit de chanter
Jusqu’à remonter le courant de l’an neuf
Il m’a dit
De convier les pierres au jeu de l’oracle
Pour te souhaiter une belle et bonne année
Et mon chant bêche l’espace
Remue toute la bonté du monde
Pour t’offrir les fruits d’un temps meilleur
2009 ans se soulèvent du fond de l’univers
Pour te porter ces mots
Au-delà de ce chant où saignent tant de lèvres
les îles qui s’embrassent de vagues en vagues
Témoignent en notre nom
Pour que surgisse l’éclat de la mer affamée
De toutes nos espérances
Si nous existons
C’est que le possible existe
Bruissant de nous-mêmes
Furieux de nos défaites passées
Battant inlassable le tambourin du bonheur
Et l’année qui s’en vient remplie de tous mes vœux
T’appelle à fleurir la branche du soleil
A deviner la voyance du temps
A aimer la poussière qui devient fleur
A te donner des ailes pour qu’existe le ciel
.
Ernest Pépin
.
.
On dit que les poèmes ne servent à rien
.
On dit que les poèmes ne servent à rien
Que les fusils sont plus forts que les mots
Mais c’est la guerre qu’il faut tuer
Les mots de la paix sont innocents et faibles
Ils ne portent pas des blessés dans les bras
Ils n’enterrent pas des cadavres
Ils ne vocifèrent pas aux frontières
Ils vont
Graines lentes aimées de l’étincelle
Tortues lourdes de la carapace du ciel
Oiseaux indispensables à l’amour
Chaque jour cheminant
Chaque nuit travaillant
Pour que meure la guerre des hommes contre les hommes
La terre n’est qu’un prétexte où s’enflamment leurs yeux
Les religions allument des bûchers
Et les mains qui s’éteignent de rencontrer la mort
N’ont jamais dit bonjour à l’ennemi des bonjours
Les mots de la paix semblent des mots de lâches
On les rencontre souvent dans les yeux des cadavres
Sous les toits effondrés par tout le poids du sang
Dans les drapeaux où s’enroulent les cercueils
Ils répètent
C’est la guerre qu’il faut tuer
La guerre toute la guerre
La guerre de celui qui brandit ses raisons
La guerre de celui qui a honte de ses torts
La guerre qui brûle les poèmes sans défense
La guerre
Qui tord les mots
Qui écrase les fleurs
Qui coupe le cou du soleil
Et qui fait du jour une fumée sans nom
Les mots de la paix
Ont crié au secours
Ils suivent les fantômes des peuples massacrés
Ils dénoncent
Ils protestent
Ils signent des pétitions qui sont des boulets d’encre
Ils demandent pardon à la mère
A la sœur
A l’épouse qui se noie dans ses cheveux de veuves
Au vieillard prostré dans un jardin d’horreurs
A l’enfant dont l’enfance joue avec des assassins
On dit qu’un poème ne sert à rien
Que la force appartient aux bombes
Que la vérité s’impose sur le dos des plus faibles
Moi je dis que voici un poème
Déposé aux pieds de la folie
Un poème sans fusil
Sans bottes du désespoir
Sans cri de haine
Sans armes et sans moyens
Un tout petit poème qui a peur des humains
Qui se battent pour la cause
Qui écrasent les fourmis sous les chenilles des tanks
Un poème d’eau pure et d’air non pollué
Un poème qui tient dans la main d’une cuillère
Et que l’on devrait boire
Comme un thé de paysanne
Une gorgée d’amour
Une goutte de tolérance
Car c’est la guerre qu’il faut tuer
Les guerres n’ont jamais servi à rien
Je dis que voici un poème
Un poème couleur de feuille verte
Dont les mots désarmés
Soutiennent la paix
S’opposent aux occupations
Aux colonisations
Aux murs sourds et aveugles
Et demandent que la Palestine soit une terre de paix
Un Etat de droit
Une vie qui coule et chante comme un poème
.
Ernest Pépin
Faugas, le 03 janvier 2009
.
.
Je demande pitié pour les femmes ! Pour ces corps fracassés, brûlés, assassinés que l’on retrouve un soir ou un matin au carrefour de la haine.
Je demande pitié pour ces amours violentes qui attentent à la vie comme s’il s’agissait d’une truie qu’on abat.
Je demande pitié à ces hommes égarés qui confondent la femme et la propriété.
Je demande pitié pour tous ces désamours qui déchirent l’amour comme une feuille de papier.
Je demande pitié pour les femmes qui veulent leur liberté et que l’on emprisonne dans la mort.
Je demande pitié pour ces mères qui n’enfantent que la mort pour cause de désaccord.
Je demande pitié pour la vie, pour le droit à la vie, pour le respect de la vie.
Je demande pitié pour celles qui ont trébuché, qui ont menti ou qui tout simplement veulent changer de destin.
Je demande pitié pour ces sœurs auxquelles on ôte la chance de vivre en sœur des hommes.
Je demande pitié pour les femmes qui ne sont pas des saintes et qu’on jette au bûcher comme des sorcières infâmes.
Je demande pitié pour les femmes qui veulent dire adieu ou simplement au revoir et dont on tranche les liens à coups de couteau, de pierre ou de fusil.
Je demande pitié pour la Guadeloupe afin que les hommes comprennent que la vie est plus grande qu’eux, plus respectable que leur orgueil, plus généreuse que leur égoïsme, plus sacrée que leur honneur.
Je demande pitié pour le sang versé, gaspillé, éparpillé exigeant que les hommes comprennent que le sang est précieux, que la femme ne doit pas être la cible de leurs frustrations, de leur incapacité à aimer, à dialoguer, à comprendre, à pardonner, à partir ou à construire une relation qui soit vraiment humaine.
Je demande pitié en ma qualité de fils, de mari, de père, de frère.
Je demande pitié pour que les hommes dominent en eux l’instinct bestial de la colère, l’instinct tueur, le réflexe meurtrier, la pulsion assassine.
Je demande pitié pour que les hommes et les femmes retrouvent dans ce pays l’honneur et le respect de se donner la main par-delà les douleurs, les malentendus, les jalousies et les divorces.
Je demande pitié car en tuant une femme, coupable réelle ou imaginaire, c’est la dignité de l’homme qu’on assassine.
Je demande pitié car une société se mesure à la façon dont elle traite les femmes.
Je demande pitié pour que cesse le désastre des orphelins, des familles endeuillées, des parents éplorés, des cimetières honteux d’accueillir des martyrs.
La pire des défaites pour une société c’est de se saborder en crimes passionnels, crapuleux, fous et désespérés.
Je demande pitié pour les femmes car je me souviens que toute femme est la mère de la vie.
.
Ernest Pépin
Le 2 novembre 2008
.
.
Pour l’amour de mon peuple
.
De combat, il n’y a que la grandeur de notre
pays et l’unité de notre beau peuple qui vaillent

.
Ils disent et prédisent des avalanches d’épées sur la ville
ils disent et prédisent des charrettes de feu sur la ville
mais ce pays n’habite ni le ventre des volcans ni la
revanche des fous amputés à vif
Pourtant à force de nudités à force de cris la grâce meurt un dimanche soir…
alors pour que l’orage ne révèle pas nos iguanes
avant que des termitières ne naissent des reptiles aux yeux de sang gelé
avant que la mer ne se refuse à la mer
que les vaincus n’humilient les dimanches de mars
que le jour ne s’illumine de bougies
avant que la nuit n’ait besoin de nageoires pour regagner l’aube
pour que toute houle soit effeuillée de toute marée opulente
que tout cyclone sommeille à hauteur des pagaies
avant que Pikine ne réveille ses loups ne lève ses essaims
pour que la Médina garde la promesse des mosquées
avant que Colobane ne délaisse les yeux de Linguère Ramatou
que des guirlandes d’enfants n’ensanglantent les récifs des Almadies
que le Plateau ne soit fermé aux alizés
etque les oiseaux restent dressés dans la liberté des vents
avant que les routes du ciel ne soient ensevelies
que les bateaux blancs et bleus ne veillent
des ports herbeux des horizons scellés
avant que « le Vert le Jaune étoilé et le Rouge » ne déserte l’honneur
pour que Gorée demeure la mémoire d’une seule offense
que Thiaroye Fass Dieuppeul les HLM ne se désolent du crides mères
pour que la Casamance belle panse ses rizières dans le sourire des anacardiers
que mon Kaolack natal donne ses semences pour une nation sonore
que Saint-Louis reste la reine la femme-foudre la fiancée d’eau et de brise
et que Diourbel Louga Linguère Tambacounda taillent la route aux
mangroves dans les semailles des coquillages de demain
pour que Diakhao et le Sine ne baissent jamais
les yeux devant Coumba Ndoffène Diouf
que Joal garde les vérandas de Sédarque Yandé Codou fortifie l’ethnie
pour que Kébémer laisse un fils dans la génuflexion de la postérité…
Avant que notre pays ne tente de redevenir notre pays
je voudrais vous dire
pour que la pirogue reste la pirogue le fleuve le fleuve
pour que le phare fidélise le sommet des Mamelles
je voudrais vous dire
pour que la patrie dise la patrie le khalam le khalam
pour que la mosquée repose le poids de nos épaules
et que l’église soit le havre de l’offrande
je voudrais vous dire
à vous ma jeunesse de soleil et de bras abondants
à vous autres que l’âge a servi dont les années ont mûri l’âme
à vous qui avez bu toute la mémoire des
lanternes et éclairé tous les boulevards de nos doutes
à vous dont la montagne a nourri les pas
et la montagne voit plus loin que le guide
à vous à qui l’arbre a prêté son ombre et l’ombre le tronc de l’arbre
vous à qui nous souhaitons les routes du jour clair car
Dieu a voulu jusqu’ici révéler le cœur de notre peuple hors des ténèbres
ce peuple à tête de sourates et de psaumes
ce peuple de foi glaneur de paix et de prières gorgées de lait
je voudrais vous dire
hors des routes du mauvais sang
des nids dorés du pouvoir et des tribunes aux marées de passions
je voudrais vous dire
au nom de mon pays tant aiméet de ses lettres d’or
au nom des archives pourpres et glorieuses
au nom des mémoires en fleurs de miel vous dire
au nom de notre commune espérance têtuevous dire
à vous qui avez foré tant d’horizons
permis tant de jours de miltant de jours de riz
mais les corbeaux arrivant dans la cuisson inachevée des étoiles
des maîtres de temple ont fêlé des rêves retardés des aurores
éteint le scintillement des roses raréfié le pain et le sel
déchiffré seuls d’intouchables signes car
c’est ainsi souvent la marche des gardiens quand Dieu dort et
qu’ils jouent à prendre Sa place
vous dire à tous vous dire avant l’ultime sirène
que de l’est les lions s’apprêtent à gravir la montagne
que l’innombrable horde dans la vallée a dénombré chaque pierre qui
fait la montagne et que toute la horde rugit face à la montagne
vous dire avant que les crinières ne se hérissent que les colères ne fermentent
à vous tous qui avez fait le choix du cercle de feu
vous dire surprenez-nous donc
surprenez-nous à rebours des cris de tant d’oiseaux affamés facturés
à rebours de tant de radios qui ouvrent tant de coffres scellés
de tant de journaux qui vendent crachats et roses
de tant de juges sur les routes cabosséesdes insomnies
de tant de faux saints dans l’impureté de leur lumière
et tout le reste qui ne porte pas un seul linge blanc…
Rien n’est pourtant fini si on sait parler à la paille avant le feu…
vous dire que l’histoire n’a pas séché son encre
reste seulement à savoir quelle page ajouter aux livres des vivants quelle page retrancher
de l’oreiller des morts quelle page espérer demain des chants des poètes
quand sur bien des tombes auront fleuri champs de piments ou jujubiers en sucre
et que nos fils nous auront devancés dans la bouche des juges…
Pour un jour le Sénégal peut avoir peur
pour un jour il peut avoir honte
mais jamais il ne périra tant qu’il restera quelque part un bout de ciel
un lambeau de minaret le mirage d’une croix la certitude de ses fils
Mes respects et mes vœux à vous tous de mon peuple pluvieux et béni
ceux qui ont prié et ceux qui sont las de prier
ceux qui ont mangé et ceux qui rusent d’avoir mangé pour ne pas déshabiller leur dignité
ceux qui lisent les écriteaux des banques et qui remplissent leurs poches de billets imaginaires
ceux qui croient que la terre est ronde que leur chance arrive qu’il fait le tour
ceux qui ont juré de ne plus voter ni pour des hyènes ni pour des gazelles
ceux qui ne peuvent plus dormir avec leur corps la nuit avec leur conscience le jour
ceux qui se réveillent dans leur pays et qui se demandent comment s’appelait-il donc ce pays
ceux qui prennent la vie comme elle vient tel l’arbre qui attend sa saison pour fleurir
car le poète a dit que l’arbre donne ses fruits s’il refuse il meurt
ceux dont la bouche aiguise des couteaux et les yeux fouillent le satin des coffres
ceux qui rient et qui n’ont même plus de dents
ceux qui dansent et chantent même quand le temps est pourri les pèlerins de l’amour
ceux qui ont choisi d’attendre tout de la vie
ceux qui ont choisi d’attendre tout de la mort
ceux qui n’attendent rien ni de l’un ni de l’autre
ceux qui sont pauvres mais dignes ceux qui sont riches mais provisoires
à vous tous femmes et hommes de ma prophétie enfants de mon arc-en-ciel
puissions-nous tous ensemble porter ample le nom du Sénégal
main à main cœur à cœur pardon contre pardon
et le servir de la terre au ciel le front haut et dans la LUMIÈRE
.
Amadou Lamine Sall
Lauréat des Grands Prix de l’Académie française

///Article N° : 8276

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire