Avec ce troisième recueil, le poète mauricien Umar Timol nous offre quelque chose de très fort, de très beau. Cette suite de proses poétiques et de poèmes en vers libres vaut le détour : on n’oubliera pas facilement l’intensité, la violence, l’intransigeant élan de pureté qui, ensemble, la traversent, l’animent.
La sincérité du poète Umar Timol est absolue, aussi absolue que celle d’un enfant qui n’accepte pas l’hypocrisie du monde.
Sans relâche, Timol dénonce la « monstruosité », la violence que nous portons tous en nous, au nom de notre « humanité commune ». Parole d' »apatride », d’enfant d’un pays métis où l’on sait ce que vivre avec l’Autre, dans une certaine harmonie, veut dire.
Sa générosité foncière n’en finit pas de pourfendre, de « perforer », car elle suscite, en lui, la colère. Le poème s’enfle, gronde, sa spontanéité sauvage balaie, un peu comme le ferait un cyclone de son île natale.
Emporté par la puissance de son verbe de poète inspiré et tourmenté, il « crache » les mots qui « giclent », s’entre-heurtent, comme s’il cherchait à secouer le monde.
Ses références sont baudelairiennes, rimbaldiennes, trouver des mots autres, « neufs » (comme le dit Dominique Ranaivoson), césairiennes et, ajouterai-je, sans doute aussi maunickiennes.
La violence du mot timolien est purificatrice. Son « flot ininterrompu » assumé, revendiqué a pour fin ultime de « recréer » la poésie. Ce torrent de mots porte une révolte désespérée contre « l’interdit », il est vecteur d’une soif de liberté qui ne tolère pas la moindre concession. De ce point de vue, il se situe dans le sillage du surréalisme. Il faut savoir que Timol n’écrit pas dans sa langue réellement maternelle (qui est le créole de l’Île Maurice). S’il choisit le Français, c’est parce qu’il est langue étrangère, par conséquent langue de poésie.
La poésie naîtrait-elle, en fin de compte, d’un conflit, d’un compte à régler avec la langue ? C’est, vraiment, ce qu’on serait tenté de croire, en lisant cette poésie où violence et morcellement du verbe créent des tourbillons, des turbulences qui semblent ne pas pouvoir cesser de jaillir. Timol s’explique : il se réclame d’un verbe « aux frontières de la parole », où les mots, avec une cruauté flamboyante, « s’entredévorent » « tels des scorpions » « Et prolifèrent sur la page » « Mots [
] vos, fulgurances. Et vos éruptions. Et le poème jaillit. Implacable. Forcené et impudique. »
Timol cherche à dompter les mots. Les mots de cet « Autre » qui l’habite (qui habite tout Mauricien ?). Timol bataille avec et contre ses identités multiples et problématiques qui forment un écheveau complexe, conflictuel et inextricable. La richesse de son vocabulaire, de ses images repose sur « l’échec de la langue ». Il cultive les audaces langagières sans ménagement et sans remords (« scorpions qui cavernent les vents de minuit », « [La lumière] frisonne la peau »).
Dans le sillage des Romantiques, des poètes maudits, il clame « je n’aime pas le bonheur » et se complais dans des évocations morbides.
S’il parle d’amour (d’une manière, elle aussi, très sombre, puisque, pour lui, celui-ci est une défaite, une violence de plus, qu’on subit de plein fouet) et s’il ne mâche pas ses mots à l’endroit de certains traits de la mentalité mauricienne (« goût du pouvoir », ambition, snobisme), son propos tourne, d’abord, autour du rapport tout sauf serein et évident qu’il entretient avec la langue et du questionnement sur la nature même de l’écriture, qui l’obsède. Pour lui, si le mot a un sens, c’est celui d’un surgissement brusque, d’une surprise, d’une irruption, que précède l' »attente ». Et, en effet, « Vagabondages » associe les mots de façon à ce qu’à chaque phrase, l’étonnement se fasse jour. C’est un texte qui fascine, qui piège, parce qu’il sort directement des tripes.
La seconde partie du livre, « Bleu » est nettement plus apaisée. On y découvre un autre ton : un ton d’enfance, car « à l’endroit du bleu » se trouvent la pureté, la plénitude. Le bleu est la couleur de la mer (si essentielle aux Mauriciens), de la légèreté, du rêve poétique. La couleur du bonheur, en somme. Il induit une dilatation de l’être qui est l’essence même de la vraie vie. Si le poète est incompris, c’est qu’il parle comme un enfant. Là réside tout le charme de ce « Bleu », qui est une sorte de petit conte fusionnel.
« Vagabondages » et « Bleu » présentent deux facettes d’Umar Timol. D’un poète qui sait faire de ses innombrables contradictions des avantages. D’un poète dont on se doit de découvrir le souffle poétique, digne des plus grands.
Vagabondages, suivi de bleu, de Umar Timol, préface de Dominique Ranaivoson, coll. Des cinq continents, L’Harmattan, 2008.///Article N° : 8278