Femme de combat/Combat de femme 3 : Germaine Acogny

"La danse pour libérer les femmes"

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Avec la série Femme de combat/combat de femme, Africultures vous propose des portraits choisis de femmes. Elles utilisent leur art ou tout simplement leur voix, pour parler, montrer, décrire la place de la femme dans la société. L’occasion pour Africultures de compléter la thématique de son magazine interculturel Afriscope, consacrée en janvier et février à la question du féminisme.

Danseuse et chorégraphe franco-sénégalaise, née au Bénin, Germaine Acogny est considérée comme la mère de la danse contemporaine africaine. Dans son école de danse au Sénégal, les femmes apprennent à prendre « confiance et conscience » via leur corps. Cette artiste d’exception, à la carrière internationale, œuvre pour favoriser l’émergence « de leadeuses » dans le monde de la danse.

Difficile de rester de marbre face au regard perçant de Germaine Acogny. À 68 ans, celle que Maurice Béjart appelait « sa fille noire spirituelle » impose d’emblée le respect. Le crâne rasé et la démarche assurée, Germaine affiche un style androgyne sans nier sa féminité. Sur scène comme au quotidien, cette grande femme charismatique dégage une aura particulière, une sorte de présence à la fois sage et maternelle. L’École des sables, le centre de formation international en danses africaines, qu’elle a créé en 1998 avec son mari Helmut Vogt à Dakar, est à son image : paisible, ouvert et convivial. Des danseurs du monde entier viennent y apprendre la danse africaine et contemporaine.
C’est au sein de cet espace atypique que Germaine a entrepris de lancer une compagnie exclusivement féminine. Souvent mères et mariées, les femmes africaines sont moins susceptibles d’entreprendre une carrière de danseuse. Au début, il n’y avait d’ailleurs que des hommes à l’École des Sables. « Notre objectif premier était de casser les préjugés en montrant que la danse peut être un vrai métier », explique Germaine. Puis, la grande dame a souhaité encourager « la création d’un groupe de danseuses, aptes à transmettre leur savoir ».
Parler des tabous avec le corps
Un programme réunissant une cinquantaine de femmes a permis de sélectionner 9 finalistes qui ont ensuite fait partie de la création du spectacle « Afro-Dites », réalisée en 2012. « Les danseuses ont osé prendre la parole avec leur corps, cela les a libérés de parler du viol, du blanchiment de la peau, des peines dans le mariage ou de la polygamie » se souvient-elle avec émotion. La jeune Ndeye Touty Daffe, originaire du village accueillant l’École, avait alors réussi à intégrer la troupe. »Je suis Germaine depuis mon enfance, pour moi c’est un exemple de réussite, sans elle, je n’aurais jamais pensé qu’une fille d’origine modeste, comme moi, puisse devenir danseuse et être respectée en tant que telle », témoigne cette danseuse décidée à percer dans une carrière internationale.
Pour Germaine, la réussite de ce projet est double. L’initiative a changé le regard des maris tout en touchant un très large public. « Dans les villages, les gens applaudissaient debout », s’enthousiasme Germaine. Selon elle, le succès a même été au rendez-vous en Europe « les spectatrices comprenaient, les sujets comme le viol sont universels ».
« Pas besoin de définition pour défendre les femmes »
Si Germaine refuse l’étiquette de féministe, c’est surtout parce qu’elle garde un mauvais souvenir des militantes européennes. « Elles venaient ici nous parler de l’excision, mais les problèmes doivent se régler de l’intérieur ». Optimiste, Germaine estime que « les choses sont en train de se régler dans les villages, même si cela prend du temps ».
« Je n’ai jamais regretté de ne pas être un homme »
Féministe, « mama germaine », comme l’appellent ses élèves, l’est de par son impressionnant parcours. Lorsqu’elle monte son premier studio en 1968, elle est divorcée. Une posture scandaleuse, d’autant plus qu’elle n’hésite pas à repousser les avances de prétendants fortunés, « j’avais la réputation d’être une femme indépendante ». Sa rencontre avec Maurice Béjart lui ouvre les portes du pouvoir et la jeune femme se rapproche du président Senghor qui lui confie la direction de Mudra Afrique à Dakar. Lorsqu’elle évoque sa carrière, Germaine affirme : « Je n’ai jamais regretté de ne pas être un homme, en étant femme je peux à la fois jouer la force masculine et aussi la féminité, sans coucher pour réussir »
Plus que la danse, un engagement
« Patience, ténacité et dignité », telles sont les valeurs qui ont guidé la vie de Germaine et qu’elle enseigne dans son école. D’après son élève Ndeye Touty Daffe, « ce qui impressionne le plus chez Germaine, c’est son envie illimitée d’apprendre des autres malgré ses nombreuses expériences ». Mariée à un Allemand, Germaine est persuadée que « l’on peut faire des grandes choses dès lors que l’on respecte la culture des uns et des autres, sans chercher à la piller ». L’artiste s’est engagée à de nombreuses reprises dans ses spectacles pour dénoncer le traitement de l’Afrique, dans son solo Songook Yaakaar (Affronter l’espoir), par exemple. Humble, elle ne cherche pas à s’en vanter « c’est plus facile de s’engager avec le corps, plus politiquement correct. »

En 2013, l’École des Sables de Germaine Acogny participera à un échange autour de la danse contemporaine avec l’Atelier de Paris de Carolyn Carlson, dans le cadre du projet Tandem Paris-Dakar 2013.///Article N° : 11259

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Les images de l'article
Germaine Acogny, danseuse et chorégraphe, directrice de L'École des Sables à Dakar © Thomas Dorn
Germaine Acogny, danseuse et chorégraphe, directrice de L'École des Sables à Dakar © Thomas Dorn
Germaine Acogny, danseuse et chorégraphe, directrice de L'École des Sables à Dakar © Thomas Dorn





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