L’appropriation des nouvelles technologies permet à des films populaires comme ceux du Burkinabè Boubakar Diallo de faire rouvrir des salles et à des réalisateurs comme le Sénégalais Moussa Touré de produire sans le parcours du combattant des aides des uvres originales dans le domaine du documentaire. Comme toujours, la question économique et technique a dominé le débat alors même que, comme le soulignait un spectateur, la question est aussi de savoir ce qu’on veut raconter au public africain ou autre, et comment. O.B.
Jean-Pierre Garcia, directeur du festival d’Amiens, modérateur de la table-ronde : des peuples et pays se retrouvaient dans la presque impossibilité de pouvoir mettre leur culture en images mais à côté des productions classiques destinées au circuit habituel, deux types de relations au numérique se mettent en place :
– des courts et moyens métrages à vocation de sensibilisation ou pédagogiques diffusés dans les quartiers et les zones rurales, à financement d’ONG,
– des cinéastes s’emparent du numérique pour donner la parole à ceux qui ont des sensibilités à exprimer,
– Au Burkina, à Madagascar, en Ethiopie, au Cameroun, au Nigeria, au Kenya et en Afrique de l’Est, des films qu’on peut relier à du cinéma de genre (comédies, policiers, etc et même du cinéma d’horreur basé sur la sorcellerie notamment à Madagascar) sont tournés en langue locale.
Boubakar Diallo : je me définis comme un autodidacte mais viens du journalisme avec un journal satirique depuis une quinzaine d’années et de l’écriture puisque j’ai publié à L’Harmattan deux romans. J’ai proposé des scénarios qui sortaient du « cinéma calebasse ». Je n’ai pas trouvé de réalisateurs sensibles à mon style d’écriture et ai donc créé les Films du Dromadaire en 2004. L’idée est de passer par le cinéma de genre pour ramener les gens dans les salles : si le public ne va pas voir les films, c’est qu’on ne lui donne pas ce qu’il attend. A travers la comédie, j’essaye d’aborder des thèmes sérieux et importants. En 2004, nous avons fait le premier policier burkinabè. On n’a pas cherché à avoir des subventions car on savait qu’on ne les aurait pas.
Le coût moyen des productions est de 40 à 50 000 euros pour un 90 minutes. On propose une visibilité pour les annonceurs publicitaires : eau minérale, téléphonie mobile, motos etc. Comme on doit utiliser des motos dans la trame de l’histoire, on peut négocier en la mettant à l’écran. Dans L’Or des Younga, on aborde la question du coton et celle du sida sans que cela soit lourd pour le public. Quand on démarre le tournage, on invite tout de suite la presse. Le public est au courant. Le film sort dans les grandes salles deux ou trois semaines puis on ouvre aux salles de quartier. Au départ, j’étais obligé de louer des vidéo-projecteurs en ville pour les installer dans les salles mais elles se sont maintenant équipées. On pourrait ainsi envisager une sortie de Dakar à Libreville. On occupe le terrain avec les dvd / vcd avec des coûts de production les plus bas possibles, de façon à combattre la piraterie. Les vcd se vendent autour de 1000 Fcfa, au même prix qu’une place dans un cinéma climatisé.
Les recettes se partagent à 2% pour les droits d’auteur, puis le reste pour l’exploitant et la production à part égale. Le scénariste et le producteur ne sont pas payés mais ces recettes permettent de payer tous les autres.
La problématique est la même partout : on a trouvé la même réaction en Afrique centrale que le public de Ouagadougou. A Bamako, le propriétaire du Babemba n’a pas voulu du film car le dernier film africain n’avait pas marché mais on arrivera peu à peu à montrer que c’est rentable.
Moussa Touré : le numérique est comme l’informel, une soupape. Certaines choses sont trop chères et on trouve les voies et moyens de les avoir en se débrouillant. C’est en ce sens que beaucoup on récupéré le numérique. Avec la fiction, on est dans l’international. J’ai suivi mes aînés sur comment financer un long métrage. J’étais technicien et je faisais partie de la faisabilité du film. Je n’ai pas voulu entrer dans le canevas où l’Afrique attend l’aide. Le cinéma africain a été conçu par des aides, avec des techniciens français. J’ai regardé le cinéma africain : il nous amenait toujours à parler de notre culture, de nos racines. Nous sommes en train de faire des documentaires fictionnés tout le temps. C’est alors que j’ai pris cet instrument. Je me suis approché d’un enfant au gros ventre que l’on avait surnommé Kabila. Je suis allé le voir dans son quartier, avec cette petite caméra qui ne gênait personne et cela a donné Poussière de ville. Cette caméra nous amène à une individualité. Nous avons besoin de cette discrétion. Avoir la parole est une chance. Ce sont nos gouvernements qui l’ont du matin au soir. Je suis parti dans le documentaire pour ça mais sans jamais quitter la problématique de la fiction, même dans le documentaire.
Le gouvernement burkinabè fait quelque chose pour le cinéma, pas chez nous. J’ai fait des films qui ont été diffusés sur TV5 et je suis arrivé dans mon processus à 5×5 : un distributeur m’a proposé de le sortir en salles. Il ne me faut pas 45 000 euros pour un documentaire. Nos sujets sont tellement proches de notre société qu’ils marchent : nos sociétés aiment toucher la réalité palpable. On ne parle jamais de la polygamie et le film est sorti en salles. Nosaltres sortira en salles car l’immigration est un des grands problèmes actuels. Toubab Bi n’était jamais sorti en salles en Afrique. Il y a plein de films comme ça. On a fermé les yeux : on a fait nos films et on a laissé ensuite. Les douanes nous saignent au passage pour tout le matériel. Les salles ferment. Je me suis dit que j’allais faire du cinéma en plein air. Nous sommes très ambigus : nos gouvernants s’en foutent.
Boubakar Diallo : à Ouaga, la moitié des salles appartiennent à des privés et continuent d’exister tandis que les salles de la Sonacib ont été confiées à l’ARPA dirigée par Idrissa Ouedraogo.
Moussa Touré : les salles informelles se développent, vidéo-clubs de tous styles.
Jean-Pierre Garcia : au Nigeria, cela a démarré par la vente de cassettes VHS à cause du couvre-feu ; ailleurs, on a un système double : au Burkina, ils essayent de rester dans un système « classique » : projection dans les salles de première exclusivité, puis dans le second circuit, puis vcd ou vhs. Dans les pays où les salles sont presqu’absentes, la diffusion se fait par vcd.
Moussa Touré : le dvd de Youssou Ndour est vendu dans la rue partout. Il n’y a pas de contrôle : le piratage est généralisé. Les trafiquants n’ont pas envie qu’on les gère.
Boubakar Diallo : la seule solution contre la piraterie est d’occuper le terrain.
Jean-Pierre Garcia : au Nigeria, le master est protégé, les bandes-annonces annoncent la sortie du vcd avec une date précise et tout le pays est inondé en même temps. S’il y a de la piraterie, c’est presque des effets secondaires. Le film a une durée de vie très courte.
Moussa Touré : l’Afrique est diverse. Le Sénégalais ne peut pas réagir comme un Nigérian. L’Afrique est plus musicale que cinématographique.
Boubakar Diallo : le film est financé par des recettes publicitaires qui permettent d’investir et de fonctionner. On a gagné une étape au Burkina mais le marché est trop petit : on ne pourra pérenniser ce début d’industrialisation du cinéma que si on organise la circulation des films dans les autres pays. Les séries télévisées comme Khadi Jolie, Bobodioufs etc. ont marché partout : il y a des sensibilités communes. Il faudrait mieux apprivoiser le langage universel du cinéma pour toucher un public plus large.
Moussa Touré : un 52′ me coûte 3000 euros. J’ai en général un ingénieur du son et je suis à la caméra. Je vise les télés : tous mes films y sont passés. J’ai un festival de documentaires en plein air qui tourne d’une ville à une autre. Je pense construire une salle en plein air avec des palissades en bois. J’ai le matériel nécessaire pour le travail technique final plutôt que de le louer sans cesse. Il ne faut pas toujours tendre la main, mais quand un film doit être financé dans sa spécificité, je ne suis pas contre les bailleurs de fonds. On peut mener les deux démarches en parallèle.
Boubakar Diallo : pour la diffusion en dvd/vcd, je travaille avec Africa Productions qui commercialise auprès de la diaspora. Ils ne participent pas à la production du film mais à sa commercialisation.
Moussa Touré : il y a des pièces de théâtre qui se font à Paris avec 1500 euros qui se vendent très bien en vhs. Alhmadou Sy a arrêté de faire des films et s’est mis à le faire car ça rapporte et ça lui permet d’avancer.
Michael Raeburn, cinéaste du Zimbabwe : le numérique me permet de tourner en lumière ambiante et la qualité de l’image s’améliore sans arrêt. Les nouvelles caméras sont des bijoux. L’hostilité motivée par le trop de grain par exemple n’est plus de mise.
Moussa Touré : c’est depuis que je travaille en numérique que mes films sont mieux vus dans mon pays. Une caméra HD est chère et c’est souvent les problèmes de caméra qui ont limité la qualité des films aussi dans l’histoire du cinéma africain. Les Africains n’ont pas la même approche du cinéma que les Européens. Les pièces de théâtre marchent mieux que les films de Sembène. Gorgoorlu de Moussa Sene Absa : il n’y avait personne dans la rue !
Boubakar Diallo : J’ai pu faire ce parcours en m’appuyant sur un faible budget permis par le numérique qui permet de travailler vite avec une équipe qui développe peu à peu des automatismes permettant des économies d’échelle.
Moussa Touré : je ne m’attarde pas sur l’Afrique uniquement : je tourne aussi en France (Apt), en Espagne (San Feliu), en Belgique sur les Congolais de Bruxelles. C’est aussi le numérique qui permet ça.
Ismaël Thiam, cinéaste sénégalais : j’ai appris le cinéma sur les plateaux mais ne pouvais jamais voir les films africains car nous ne pouvons les voir au niveau local. Je ne peux voir les films qu’à la Cinémathèque Afrique du ministère des Affaires étrangères à Paris !
Moussa Touré : la télévision sénégalaise a acheté tous mes films mais ne les montre pas. Il faut l’intervention du président ! Nous n’avons pas de vraie école de cinéma mais 52 % de notre population a moins de 20 ans. Il faut faire des écoles pour le numérique qui soient d’Etat et non la propriété d’un cinéaste.
Bernard Kouomo, cinéaste camerounais : j’ai fait la première promotion des classes de cinéma d’Ecrans noirs à Yaoundé mais suis un des seuls à avoir continué. Nos gouvernements ne suivent pas : on voit Bassek devoir porter son projet seul. Il faudrait inculquer la lecture de l’image aux enfants dès l’école : je n’ai vu que des films de série et je découvre un autre cinéma quand je viens à un festival comme Cannes.
Jean-Pierre Garcia : cette prise de parole peut être un moyen de retrouver l’esprit du conte traditionnel et d’échapper à certaines emprises dont certaines viennent aussi du Sud comme les telenovelas.
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