Grâce au succès de sa seconde édition estivale, l’émission quotidienne de France Inter « L’Afrique enchantée », animée par notre collaborateur et ami Soro Solo en duo avec Guillaume Thibaut et en partenariat avec Africultures, aura su rappeler aux auditeurs hexagonaux l’existence d’un style radiophonique africain, tout prêt à « mettre un peu de piment » sur un « PAF » qui en manque tant. (*)
Au-delà de tout ce qu’on y apprend sur l’Afrique, et qui en fait une remarquable émission « éducative », l' »Afrique enchantée » a un ton bien singulier, une convivialité et une spontanéité un peu disjonctées qu’on ne trouve plus que très rarement sur les antennes européennes.
L’explication semble simple. En Europe, la radio s’est depuis longtemps effacée derrière la télévision. En Afrique, la télé reste un luxe presque partout et la radio y demeure le médium principal. La radio, privée ou publique, y conserve une importance qui a été un peu oubliée en France et dans tous les pays du « Nord » : elle continue de remplacer la presse partout où l’illettrisme reste majoritaire.
Soro Solo, réfugié politique d’une Côte d’Ivoire où il fut, à ses dépens, le plus libre des journalistes, le plus mélomane aussi, a réussi ce que personne n’avait fait avant lui : intéresser le Français moyen à l’Afrique, sur France Inter à 17h, l’heure des embouteillages !
Certes « L’Afrique enchantée » est tout sauf une émission africaine transplantée à Paris. Les infrastructures et les moyens financiers dont elle dispose feraient pâlir d’envie la plupart des radios africaines, et d’ailleurs sans doute pas mal de radios européennes. Il est cependant indiscutable qu’elle doit tout son succès au talent de ceux qui la font.
« Rien n’est jamais tombé du ciel, à part la pluie » : ce vieux proverbe sénoufo que je viens d’inventer à l’instant devrait plaire à Soro Solo, et tant pis si demain il me fait palabre pour avoir un peu trop exagéré en ajoutant ces mots à la tradition orale de ses ancêtres.
C’est ma façon à moi de rendre hommage à sa voix extraordinaire, à sa façon de rouler les « r », à son rire rabelaisien, et plus encore à son immense culture, à son bagout et à son sérieux sans prétention.
Car ses compères Vladimir et Guillaume n’iront pas me contredire : sans notre « vié père » Soro Solo (qui d’ailleurs ne cesse de rajeunir à mesure que poussent ses dreadlocks !), l’Afrique ne serait pas aussi « enchanteresse ».
La voix de Soro Solo, RFI ne s’y est pas trompé, qui en a fait celle de ses meilleurs « jingles »
Il me revient à ce sujet une histoire extraordinaire. Je n’avais pas entendu la voix de Soro Solo, qui vivait encore à Abidjan, depuis plus d’un an. Je farfouillais la veille de Noël dans les bacs de la Fnac, au Forum des Halles, parmi une foule aussi compacte qu’on peut l’imaginer, dans un brouhaha ahurissant où se mêlaient des centaines de voix. Soudain je sursaute : comme Jeanne d’Arc j’entends une voix et je me retourne. C’était Soro Solo, notre vié père en personne. Il murmurait à peine et il était à plus de dix mètres, mais on n’entendait vraiment que lui ! Koutoubou ! Je me suis dit alors que si jamais j’arrivais à écrire avec un « style », j’aimerais bien qu’il ressemble à cette voix : une voix familière, fraternelle, toujours un petit peu rigolarde
bref, la voix de l' »Afrique enchantée », avec un petit soupçon d’accent de la Montagne Noire !
Ce qu’il y a d’unique dans cette émission, « L’Afrique enchantée », c’est qu’elle peut intéresser tout public francophone. Elle pourrait être d’ailleurs un modèle idéal pour ce bon vieux rêve de la francophonie, dont on nous rebat en vain les oreilles depuis des dizaines d’années. Que pèsent, à cet égard, les milliards investis depuis un demi-siècle par tant d’institutions pontifiantes, face au petit budget si efficace d’une émission comme l’ « Afrique enchantée » ?
Un été pourri à Paris, ce n’est pas marrant, et les hasards de la météo ont fait de l’ « Afrique enchantée » une sorte d’ensoleillement sonore. Pendant une quarantaine de jours, des millions de français, transis par le froid et la pluie, ont allumé leur radio pour se retrouver en Afrique.
L’émission a en effet tout ce qu’il faut pour réchauffer les plus frileux. La sélection musicale y est d’une rare qualité, et surtout, elle y est bien commentée ; en effet il ne suffit pas de ponctuer la musique par de brèves annonces comme se contentent de le faire la plupart des radios. Une chanson ou un extrait musical a toujours un sens et mérite d’être commenté, ce que ne font plus la plupart des animateurs européens. Ce terme désuet – « animateur » – n’est d’ailleurs pas le meilleur pour parler de Soro Solo et de ses compères de l' »Afrique enchantée » (l’an dernier Vladimir Cagnolari – qui a poursuivi ses aventures en solo sans Solo sur RFI – et cette année Guillaume Thibault.).
Leurs numéros si émouvants de duettistes diurnes ne sont pas sans nous rappeler ceux qu’on entendait jadis durant les belles heures nocturnes de la radio « post-soixante-huitarde » – je pense entre autres au Pop Club de José Artur, à ses inoubliables dialogues fumigènes et mélomanes avec mon regretté vieux pote Maurice Cullaz ! Il existait alors, sur les ondes du service public, passé une certaine heure, une vraie « France enchanteresse » dont l’Afrique n’était jamais absente.
Hélas, « L’Afrique enchantée » apparaît aujourd’hui un peu trop comme un ovni estival parmi les émissions de Radio-France. Pour en trouver l’équivalent le reste de l’année, mieux vaut écouter Radio Aligre, Radio Libertaire, Radio Nova, et quelques autres rares stations qui ont su conserver un petit peu le ton des premières radios « libres ».
On peut aussi se demander pourquoi, en France, les radios communautaires, africaines ou « tropicales », ne font pas un peu plus d’efforts pour « quitter leur ghetto ». En deux étés, « L’Afrique enchantée » nous a démontré que si la France d’en haut devient de plus en plus une sorte de « forteresse métisse », celle d’en bas n’est pas encore aussi hermétique qu’elle en a l’air.
Alors, France Inter, merci d’avance et
jamais deux sans trois !
(*) « L ‘Afrique enchantée », sur France Inter de 17 à 18h, jusqu’au 31 août.///Article N° : 6853