Depuis plus de 20 ans, l’association nantaise Les Anneaux de la mémoire travaille, avec un réseau d’acteurs en Europe, en Afrique et en Amérique, sur l’écriture et la transmission de l’histoire de la traite négrière. Elle propose cette année, dans le cadre de l’exposition Des bords de Loire à l’Île de la Tortue., un concours de nouvelles, sur le thème Mémoires de l’eau. Avec pour président du jury, l’écrivain Sami Tchak. Rencontre avec son initiateur, lui-même écrivain et éditeur, Victor Bouadjio.
Écrivain, vous êtes à l’initiative d’un concours de nouvelles appelé Mémoires de l’eau. Pouvez-vous nous en parler ?
Le concours est organisé dans le cadre de l’exposition Des bords de Loire à l’Île de la Tortue. Entre Nantes et Orléans, et tout le long de la Loire, l’histoire de la traite négrière s’est écrite. Que ce soit par les Européens, ou par la présence d’esclaves sur le territoire. Avec l’exposition, il s’agit de réveiller les consciences sur cette histoire dans notre région. Notre but est de montrer ce qui n’est pas encore écrit, ou alors seulement dans des travaux universitaires. Des histoires que le grand public ne connaît pas. Par exemple, on voit la présence dans certains registres municipaux d’enfants d’esclaves qui ont été baptisés dans les églises des bords de Loire. D’autres qui y sont enterrés. Nous avons aussi retrouvé la trace d’un mariage d’une Noire avec un commerçant nantais qui l’avait rencontrée à Saint Domingue et qui achète le château de Chevigné à Saint Georges. Le mariage est conclu en dépit des réticences de l’Église. Et puis beaucoup de Français de ces petits villages des bords de Loire, sont partis s’installer dans les îles des Antilles. Certains sont revenus, et sont enterrés dans une petite église à Chalonnes-sur-Loire. Dont des fondateurs de Haïti. Il y a beaucoup d’histoires comme celles-là à découvrir. Et c’est inimaginable, que générations après générations, elles ne soient pas transmises.
Nantes a fait des grands pas dans le travail sur la reconnaissance de la traite négrière. Mais c’est un travail continu qui doit se poursuivre. Une mémoire vivante est en train de se réveiller autour de nous.
Dans l’appel à texte pour le concours de nouvelles, vous écrivez qu’il s’agit de « faire revivre, par la fiction, la mémoire du territoire ligérien (rives de la Loire de Nantes à Saumur) liée à la Traite des Noirs, qui atteint son apogée au XVIIIe siècle » et de « tenir compte de la présence des Noirs dans le Ligérien au XVIIIe siècle ». Quelle est la marge de liberté pour les candidats qui ne connaîtraient pas cette histoire sur cette aire géographique ?
Avec l’écriture tout est possible ! Il y a un cadre, car le concours est lié à l’exposition. Mais la fiction peut tout. C’est le genre littéraire le plus puissant. Avec une fiction on peut parler d’un adulte tout en l’incarnant dans le corps d’un enfant. Notre idée est de publier, avec les nouvelles reçues, un recueil, sur la thématique. Nous sommes sur un terrain vierge. Beaucoup de choses sont à faire. Nous aurons nécessairement deux attitudes ; nous traiterons dans le concours les textes qui en respecteront le cadre, et on regardera aussi attentivement les autres.
En découvrant peu à peu l’histoire de ce territoire et de la traite négrière, moi qui écris, je me dis qu’il ne faut pas laisser les choses comme ça. Il faut que les gens intéressés par cette histoire, viennent voir et s’en emparent. Au-delà du concours de nouvelles, l’ambition est de créer un centre d’écriture pour travailler sur la mémoire de l’esclavage. L’espace francophone est un désert de travail continu sur les études africaines, et notamment sur cette histoire de l’esclavage. Il manque un cadre de travail continu sur les thèmes spécifiques à l’Afrique. La logique institutionnelle en France veut que pour travailler sur l’Afrique il faut être en Afrique. Mais quid de ceux qui veulent travailler en France sur l’Afrique ? Pourquoi poser comme postulat de ne pas pouvoir travailler sur l’Afrique de l’endroit où l’on vit ? Nous aimerions vraiment pouvoir créer un espace de rencontre pour les écrivains francophones en France.
Le livre de Léonora Miano, La saison de l’ombre, n’est tout de même pas passé inaperçu. Cet ouvrage traite de l’esclavage en Afrique, à travers des trajectoires de femmes. Cela montre tout de même que la visibilité de l’écriture africaine est croissante sur ces thématiques, non ?
C’est extraordinaire certes, mais il y a encore un monde immense à découvrir, par la littérature notamment, eut égard à la population de l’Afrique et à son histoire. L’Afrique reste inexploitée dans sa littérature. Il y a beaucoup d’essais ; on a l’impression que la vie des Noirs n’est que politique.
En quoi l’art et la mémoire se rencontrent, se nourrissent selon vous ?
Ce sont deux choses qui viennent dans l’univers de l’artiste ensemble. On ne peut pas les dissocier. Quand on a les deux, ça fait du tonnerre dans la tête. L’élément fondamental c’est que quand on se sent posséder par l’histoire, on peut écrire ; la plume m’a orienté vers cette histoire. Le travail de l’historien n’est pas artistique. Il a toute sa place mais ce travail a besoin d’être porté au niveau de la Beauté. Cela peut être par la plume, la caméra, la sculpture etc.
L’un des problèmes de l’Afrique est que les artistes travaillent toujours à part, alors qu’ensemble ils seraient plus puissants. Si on comprend un jour que l’art et l’histoire vont ensemble et peuvent générer des vocations, je crois qu’on aura fait un très grand pas. Il y a alors un lien, un anneau de la mémoire ; une transmission, on va créer comme cela des prix Nobel.
Né au Cameroun, vous avez étudié et vécu aux États-Unis avant de vous installer en France où vous travaillez et avez fondé votre famille. Comment vous définissez vous ?
Je suis un Français viscéralement africain qui cherchera toute sa vie à trouver une relation plus équilibrée. Plus j’avance dans ma réflexion, plus je comprends qu’il reste des strates cachées dans les problèmes de couleurs, emprisonnées dans des concepts, des lois, des choses non identifiées. Or en France, il est difficile de poser cela, d’en parler, car on vous taxe directement de communautariste en disant qu’il ne faut pas trop regarder les particularités. Or la pensée doit avoir la liberté de visiter ces questions-là. Les Américains arrivent à aller plus loin que nous dans ces questions. Ils sont le courage d’appeler un Noir un Noir et un Blanc un Blanc.
Plus d’informations et règlements du concours///Article N° : 12007