Marronnons !

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En France, les abolitions de l’esclavage c’est une date et un homme: le 27 avril 1848, Victor Schoelcher. Et voilà ainsi réduite la fi n de trois siècles de déportation, d’exploitation et d’asservissement dans les colonies européennes d’Amérique. Alors pourquoi célébrer les abolitions à des dates différentes selon les territoires: 10 mai comme commémoration nationale, 27 mai en Guadeloupe, 22 mai en Martinique, 10 juin en Guyane, 20 décembre à la Réunion, 27 avril à Mayotte. Et qui sont donc Makendal, Solitude, Toussaint Louverture, Koomanti Kodjo et bien d’autres noms apparaissant dans les récits littéraires ?
L’Histoire européenne s’est écrite à travers le regard des « vainqueurs », des « dominants », des « grands hommes » : elle occulte les pages populaires et les héros anonymes. Elle empêche bien souvent de penser complexité et processus, et demeure ethnocentrée. C’est pourquoi Afriscope choisit, pour ce Mois des mémoires des esclavages (1), de documenter et d’interroger les formes de résistance au système esclavagiste, et donc d’aller voir du côté des Marrons, de ces acteurs d’une histoire abolitionniste encore trop méconnue et pourtant aux facettes multiples. Pour contrecarrer l’oppression, des esclaves ont fui par des rituels, des danses, des chants, des écritures, comme autant d’espaces de création, de communication et de rassemblement. Ces traces existent et mériteraient d’être davantage étudiées. Elles existent aussi à travers les descendants d’esclaves qui ont fait sécession, ont quitté la plantation pour se dissimuler et se réinventer en communauté. Ce sont les Bushinenge en Guyane et au Surinam, les Quilombos au Brésil, les Palenqueros en Colombie, etc. Autant de formes de résistances à partir desquelles Dénètem Touam Bona, dans Fugitif, où cours-tu ? tire une acception large du marronnage à savoir »l’ensemble des résistances créatrices, qui suscitent des espaces de liberté au sein d’un univers de servitudes « . Une lecture proposée au présent, que soumet également Jessi Americain, dans Nègre marron. Itinéraire d’un enfant du ghetto. Son personnage principal, descendant d’un guerrier marron, boni, du XVIIIe siècle, est installé à Soholang (Saint-Laurent-du-Maroni), et documente, dans nos années 2000, la place des Marrons dans la société guyanaise (20% de la population): une histoire de marginalisation sociale et économique mais surtout une histoire de résistance à travers des personnages et cultures à revaloriser.
Voilà un appel à lutter contre la négation de l’Histoire et sa conséquence : l’absence dans l’imaginaire national. C’est aussi un appel à lutter contre la déculturation et pour un décentrement des regards. «  Les Outre-Mer peuvent sauver la France « , nous dit en écho Dénètem Touam Bona. Car l’histoire du marronnage peut être une source de création pour aujourd’hui : «  Le Marron, c’est d’abord un indocile, un être qui refuse l’ordre des choses imposé par les dominants » et « marronner c’est échapper à ce que l’on est censé être, c’est faire de ces lignes de faille des forces créatrices« .
A l’heure des mobilisations collectives sur tout le territoire, à l’heure où ces mouvements se cherchent des « convergences » et un avenir, la fi gure du Marron et de ces fugues et fuites peut être bien plus qu’une inspiration. Et Deleuze d’écrire: « rien de plus actif qu’une fuite. C’est aussi bien faire fuir, pas forcément les autres, mais faire fuir quelque chose, faire fuir un système comme on crève un tuyau. »

(1)DU 27 AVRIL AU JUIN. INITIÉ PAR LE COMITÉ NATIONAL POUR LA MÉMOIRE ET L’HISTOIRE DE L’ESCLAVAGE AFIN DE FÉDÉRER LES DIFFÉRENTES DATES DE COMMÉMORATION LIÉES À DES TRAJECTOIRES LOCALES.///Article N° : 13591

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© Nicola Lo Calzo





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