Kinshasa – Graz – Limoges – Montréal… Ici ou là-bas ?
Ici, puis là-bas
J’en ai marre !
Une phrase qu’on a tous rouspété à un moment de notre vie, quel que soit le coin du globe où l’on s’est trouvé
J’en ai mais marre.
Les extraterrestres nous répondraient que c’est normal pour nous les humains, on n’est jamais content, jamais satisfait et heureusement pour nous, sinon on garderait les pieds dans des pantoufles en se limant les ongles.
Il n’y aurait alors jamais eu des tour Eiffel, Atomium, et tous ces autres tas de ferrailles jolies qui attirent même les martiens.
Ici, le silence, la neige.
Là-bas, le bruit, la pluie.
Ici, les enfants rois et arbitres, les supermarchés.
Là-bas, des enfants grands, des grands marchés.
Ici, des familles monoparentales, des églises vendues aux enchères.
Là-bas, des familles nombreuses, nucléaires, tentaculaires, des églises bondées et bruyantes.
Ici, j’ai la tête vide. Dehors il fait beau, et pourtant, j’ai froid. Le temps s’enfonce hors de la présence kinoise, c’est dans son absence qu’il défile. Cette présence par le vide coule goutte à goutte, transformant le désir en un manque glacial.
Je te parle d’un sacré lieu.
Là-bas, on s’apprête à aller voter, on raconte que nous allons tous brûler, que tout le monde s’en fout, que c’est la fin du monde et qu’il faut des catastrophes, beaucoup de catastrophes – comme des élections africaines – pour que les gens commencent à s’inquiéter un peu, à croire un peu.
Ici, les nuits passent.
Là-bas, les cauchemars s’intensifient.
Ici, les clochards ronflent.
Là-bas, les enfants crient.
Et le suffrage, ce sera du lourd vu la trempe des candidats présidentiables ! Deux tonnes au bas mot, voire deux tonnes et demi si on choisit les injures plus petites. Il ne s’agit pas d’une plaisanterie mais du chiffre brut, pour ne pas dire grossier, du poids que pèseraient en kilos les millions d’insultes, jurons et propagandes de la cagnotte des autochtones dans la course
Et là je pense
en dehors de la course, à toutes les histoires bizarres de curs et de désirs. On a l’impression de pécher en parlant de sa sexualité. Même ceux qui ont fait toutes leurs études à l’étranger. Tous sont pareils. D’abord ils s’intéressent à toi pour t’écraser, te baiser, te jeter. Sauf que lorsqu’ils réalisent que tu as dû faire pareil, ils se sentent vexés !
Là-bas.
C’est alors qu’ils te parlent de leurs sentiments pour toi, de leur attachement, de leur amour carrément
Quelle hypocrisie et quel égoïsme !
Mais ça, ici comme là-bas, c’est pareil
et ce n’est pas pour si peu qu’on se décide de partir ou de rester.
Comme le fait que la vie des autres passionne alors qu’on semble indifférent à notre entourage le plus proche.
Ici, tu as des gens qui ont du mal à décrocher pour prendre des nouvelles de ceux qu’ils disent aimer. Ils en souffrent. Combien me le confient dans le bus ou dans le métro, à la croisée d’un regard. Mais ils restent derrière leur difficulté à exprimer des émotions, comme si, surtout, ils s’en méfiaient.
Là-bas, on bluffe, on invente, on rit, souvent on commence par imaginer tout ce qu’on ne peut pas posséder, et on finit, si on le désire avec assez de force, par posséder plus qu’on a imaginé.
Ça s’appelle autrement un grain de folie ! On n’est pas des logiciens, on n’est pas des cartésiens, on n’est pas des américains, nous. Est-ce que ce n’est pas insensé de rêver, à dix-sept ans, comme à huit ans ?
Ici, des malentendus entre générations poussés à l’extrême. La curiosité n’étonne pas, au contraire. On vit dans un monde de riche bourgeoisie où divorces et adultères sont si fréquents qu’ils ne scandalisent plus personne.
Là-bas, une douce galère apprivoisée. Les causes de départ sont en même temps les raisons de rester, comment faire ?
J’en ai marre !
Mais je ne saurais vraiment pas dire pourquoi.
Montréal – Canada
Bibish M L Mumbu
Octobre 2011
Solitude 41
Je ne suis pas le premier à quitter le continent
Mon exil ne sera pas l’exil d’une race
Et même si je crève ce matin à Minsk ou en début
d’après-midi à Vladivostok
Je n’aurai droit ni à une ville morte, ni à un deuil national
Je ne vois que seule ma mère languir-se-larmoyer
et quelques amis se chagriner l’estomac…
le fleuve Congo continuera ses virées nocturnes dans
l’Uele et le Bas-Zaïre
Les usines de cuivre tourneront dans le Katanga
Les adultes et enfants-soldats en mal de sexe
ivres de sang et autres fellations vaqueront à leurs
moutons entre Buta et Isiro
Et les trains marchandises partiront de Musumba à Ngandajika,
En passant par Ilebo, Kasangulu, Lwambo, Lodja et Kamituga
Graz – Autriche
Fiston Nasser Mwanza
Partir ou rester
Recto
Des pareils
Ces matins où rien ne parle
Ces matins où les journées ne dessinent aucune éloquence
Ces matins qui annoncent déjà la couleur du soir
Ces matins remplis de vide
Ces matins qui renvoi aux ailleurs, ailleurs du temps, ailleurs du lieu et ailleurs du corps.
Ce sont exactement les mêmes matins qu’il ya trente ans avec les mêmes chants du coq, les mêmes gestes, les mêmes visages, les mêmes ennuis et les mêmes questions.
Des matins pareils que ceux d’il ya trente ans ; papa sors sa petite radio à pile, se place au coin de la parcelle, prends son café torse nu, tiens entre ses doigts son petit ballet à mouche, écoute la même fréquence en attente d’une nouvelle république.
Ce sont exactement les mêmes nuits que celles d’il ya trente ans ; je regarde cette même télé avec ce même présentateur du journal qui porte le même nom, garde son même accent mais plus la même tête ni la même fierté, par contre lit avec la même éloquence l’ordonnance de nomination des nouveaux cadres, ministres et commissaires d’état citant les mêmes noms de ceux d’il ya trente ans, ceux là ce sont les mêmes de père en fils et de mère en fille .
Des nuits pareilles que celles d’il ya trente ans ; Nous sommes devant le vis-à-vis bar, ici défile les mêmes rondeurs, elles portent les mêmes couleurs avec la même extravagance et boivent les mêmes bières. Ces filles et nous sommes dans ce bar pour les mêmes raisons qu’il ya trente ans.
Ce sont exactement les mêmes nuits que celle d’il y a trente ans ; le noir n’arrive plus à combler le vide du néant, aucune parole n’atteint plus le cur, aucune lumière n’ éblouit les yeux, aucun bruit n’est audible, aucune mort ne suscite des larmes, aucune tristesse ne se justifie, aucune injustice ne trouve réparation, aucune valeur ne trouve abri et aucun bébé ne porte son prénom.
C’est pareil
Ce sont exactement des matins pareils de ceux d’il ya trente ans ; papa décède, parti exactement comme ses collègues, avec les mêmes symptômes, les mêmes promesses non tenues, les mêmes roublardises, les mêmes détournements de salaires et fond de retraite, les mêmes crises de tension, les mêmes médicaments, les mêmes ordonnances, les mêmes factures faramineuses, les mêmes infirmiers agissant avec la même légèreté, les mêmes inattentions, les mêmes transfusions glucosées incompatibles, les mêmes réactions, les mêmes retards des urgences, les mêmes médecins et la même mort.
Ca fait exactement trente ans que l’existence n’offre plus à personne l’occasion d’être lâche ou héros
Et tous les matins c’est pareil.
Verso
Ca fait exactement trente ans que le froid frigorifie mes mains, que le poids amortit mon dos et que les bases besognes ramollissent mes reins au point de faire de moi un cocu
Mais le mythe du paradis lui persiste depuis
.
Ca fait exactement trente ans que je n’ai pas vu maman, trente ans qu’elle souffre de rhumatisme, et trente ans que Papa est décédé de tension artérielle.
Ça fait exactement trente ans qu’il me traite en étranger malgré que nous fréquentons les mêmes magasins, lisons les mêmes journaux, prenons place à bord de mêmes bus, de mêmes trains, de mêmes trames et de mêmes métros.
Mais le mythe lui continue à exciter depuis
.
Ca fait exactement trente ans qu’il me dise la même phrase en hiver, avec exactement le même faux sourire » dis donc, il doit bien faire chaud chez toi, ce n’est pas pareil ici t’as vu ! Hein »
Mais le désir lui continue à enflammer depuis
Ca fait exactement trente ans que je me réveille avant le levé du jour, cours dans le froid, grimpe au métro, trime au boulot et flippe au dodo
Et pourtant le mythe lui continue à faire saliver depuis
Ca fait exactement trente ans que je partage ce palier avec cette dame qui hésite toujours de se retrouver avec moi dans l’ascenseur
Et pourtant l’ailleurs lui continue à séduire depuis
Ca fait plus de trente ans que ca dure, que le temps me parait monotone, que le » ici » me déplait, que le » là bas » me manque, que le » comment » m’inquiète, que le pourquoi me tourmente, que le sentiment que » l’alternative pouvait être meilleur » Me ronge
Et pourtant ca fait exactement trente ans que l’existence n’offre plus à personne l’occasion d’être lâche ou héros
Et tous les matins c’est pareil.
Limoges – France
Papy Maurice Mbwiti
Septembre 2011
///Article N° : 10462