Premier rendez-vous de la rentrée, le Festival des films de la diaspora africaine poursuit avec sa douzième édition l’exploration de l’expérience diasporique dans ses pluralités, avec une grande variété de films pour la plupart inédits en France, cette année avec une dominante sur le combat des femmes.
Un bel élan avec le film d’ouverture : Voodoo MacBeth ! Nous sommes à Harlem en octobre 1935. Rose McClendon (interprétée par la magnifique Inger Tudor) et John Houseman dirigent la Negro Theater Unit du programme fédéral de théâtre financé par le New Deal de Roosevelt durant la Grande dépression pour pallier aux difficultés des artistes. Ils veulent monter Macbeth de Shakespeare au Lafayette Theater pour la première fois avec une distribution entièrement noire, une ambition risquée de par son ampleur, et qui marquera l’Histoire de la culture noire aux Etats-Unis. Malgré la méfiance de Rose McClendon qui se bat dur comme fer pour que ce projet puisse se concrétiser, ils font appel à Orson Welles, jeune animateur radio de 21 ans et sans expérience de mise en scène mais avec déjà un début de réputation. Il refuse d’abord puis accepte sous la pression de sa femme Virginia qui perce dans le cinéma, et décide, des clichés plein la tête, de transplanter Macbeth d’Ecosse en Haïti, ce qui ne réjouit ni les financeurs ni la critique, d’autant que les comédiens sont des amateurs que Welles sélectionne en fonction de leurs autres compétences…
Richard Linklater, Morgan Neville ou David Fincher… Nombreux sont les cinéastes qui ont pris Orson Welles comme sujet. Le scénario prend certes de nombreuses libertés avec la réalité pour mieux évoquer des problématiques actuelles, mais cet épisode est réel et correspond au début de sa carrière, après quelques années comme comédien. Même s’il est omniprésent dans le film, il n’en est pourtant pas le thème. L’acteur choisi, Jewell Wilson Bridges, n’en a d’ailleurs ni le physique ni la voix. « Nous ne possédons que nos échecs », lance Welles. Là est plutôt la clef de cette histoire : l’apprentissage de la dépossession lorsque ce groupe improbable s’affirme peu à peu face à l’avalanche de difficultés, dans ses contradictions mais aussi son énergie, marginalisant régulièrement Welles en dépit de son ego démesuré. Son apparition en black-face pour remplacer à l’arraché un acteur défaillant pour le discours final de Macbeth est un impair qui manque de tout faire rater, et montre son degré de naïveté (Welles a effectivement interprété le rôle principal en se teignant le visage durant les représentations à Indianapolis[1]). Mais il apprend peu à peu à valoriser sa troupe et à savoir s’effacer. Un ping-pong jouissif anime cette épopée entre théâtre et cinéma, les déflagrations intimes résonnant avec les répétitions. Le film est coécrit par huit étudiants en cinéma, coréalisé par dix et coproduit par trois sous la coordination du producteur John Watson dans le cadre d’une initiative de la University of Southern California School of Cinematic Arts financée par une aide de Warner Brothers. Cette impressionnante pluralité est particulièrement en phase avec son sujet ! Il profite du suspense qui s’installe peu à peu sur la réussite de l’expérience tandis que les personnages gagnent en épaisseur, et nous emmènent dans leur aventure.
Belle ouverture et belle clôture aussi avec la reprise du premier long métrage de Jean-Claude Flamand Barny, Neg Maron (2005) qui nous transporte en Guadeloupe au début des années 2000, dans un quartier populaire où Josua et Silex, deux jeunes amis d’enfance à la dérive, issus d’un milieu familial et social explosé, mènent une existence insouciante jusqu’à ce que la schizophrénie ambiante et la violence de l’île les rattrape avec l’escalade de situations déroutantes mettant leur amitié à rude épreuve… Dérivé du créole, ils manient une langue convulsive qui leur sert d’art de vivre, traînent, tchatchent, fument des pétards, vivent de rapines dans les villas chics et de plans foireux. Autour d’eux, le chômage et la menace d’une destruction du quartier de cases au profit du béton touristique, mais aussi des pères absents ou alcolos, un machisme exacerbé, de vieux militants isolés dans leur combat sans prise, un gouffre immense entre les générations. Flamand Barny s’intéresse cependant peu à la sociologie. Le documentaire laisse volontiers la place à une fiction traversée par la tendresse, la solidarité et les tensions du groupe. Comme dans La Haine, le film mythique de son coproducteur et ami, Mathieu Kassovitz, la logique de ghetto est chroniquée avec la volonté de rendre ces ados à fleur de peau plus humains que les airs qu’ils se donnent. C’est la Guadeloupe qui est là, non en images exotiques mais en quotidien de galère, dans la simple beauté sauvage des mornes, dans la langue qui est déjà à elle seule une résistance culturelle, dans la musique omniprésente et toujours structurante. C’est elle que Josua finit par voir d’un autre oeil et qui lui permet de prendre son envol, de courir non pour fuir mais pour trouver sa liberté.
On attendait le nouveau documentaire de la Togolaise Gentille Assih, encore inédit en France après les excellents Itchombi (2008, qui nous soumettait à la cruauté et au grouillant chaos du rituel de la circoncision des adultes) et Le Rite, la folle et moi (2012, où elle se demandait pourquoi son père l’a toujours battue alors qu’il épargnait ses frères et sœurs), dont l’enjeu était de tracer les voies possibles face à la violence faite aux femmes. C’est également le sujet de Sortir de l’ombre, réalisé en 2020 au Québec où elle réside depuis 2009. Ici encore donc, des femmes battues qui, longtemps, ont souffert en silence avant de libérer leur parole : pour Christiane, Aïssata et Chouchou, immigrées d’ascendance africaine, il s’agit bien de sortir de l’ombre. Elles discutent de la différence culturelle : alors qu’en Afrique, la femme est avant tout là pour son mari, en Occident, il lui faut gérer à la fois le mari, le foyer, les enfants et le travail. Alors que les femmes s’adaptent rapidement à leur nouveau milieu, les hommes résistent aux mœurs locales et refusent l’émancipation de leurs femmes, quitte à en passer par la violence. C’est en en parlant qu’elles se soutiennent, mais c’est aussi en se faisant accompagner par un conseiller pour l’intégration ou par un pasteur, tant la religion reste à la fois une référence omniprésente et une aide.
Gentille est rarement à l’écran mais toujours présente dans les réactions ou questions. Elle ne cherche pas à dénoncer. Ce qui l’intéresse est clairement le processus d’émancipation et de guérison, car c’est ce terme qui est utilisé, et cela en lien avec le rapprochement et l’amitié entre femmes qui permettent la solidarité, peu à peu perceptible dans le temps du film. Le voyage au pays permet de retrouver avec émotion la famille et les photos de la mère… et de mesurer le gouffre qui se creuse entre les vécus. Ces femmes se battent pour leurs enfants mais aussi pour aider les autres femmes confrontées aux mêmes violences.
C’est le sens du film et c’est aussi, sous d’autres cieux, celui de Loimata, les larmes les plus douces de la Néo-Zélandaise Anna Marbrook. Ici aussi, les marques des abus sexuels, un traumatisme lié aux agissements d’un senior que personne n’osait remettre en cause, dont on n’osait pas parler. Le film suit les derniers moments d’une femme, Lilo Ema Siope, qui construit des wakas, pirogue à deux coques permettant de voyager d’île en île. Accompagnée de sa famille, elle entreprend un émouvant voyage à Samoa sur les lieux du trauma, occasion d’une libération de la parole et d’une sororité bienveillante pour trouver les voies, là aussi, d’une guérison qui passe par l’affirmation de soi et d’une culture qui fut remise en cause par la colonisation et l’est encore par le modernisme consumériste.
Ces deux films résonnent avec deux autres, également inédits en France, sur des figures féminines remarquables, qui ont dû se battre pour se faire accepter en tant que femmes musiciennes, mais qui, elles aussi, ont souffert.
L’une est Mary Lou Williams que Carol Bash immortalise dans Mary Lou Williams, the Lady who Swings the Blues (2015). Pianiste de jazz, elle était celle qui « swingue l’orchestre ». Pionnière, elle va étendre la notion d’un jazz jusqu’alors dominé par les hommes. Et c’est vrai que pour cela, il fallait être aussi bonne ou meilleure qu’eux. Sa nature intuitive lui permet de mémoriser et improviser merveilleusement. De 6 à 14 ans, elle joue dans tout Pittsburgh. Elle finit par quitter sa mère alcoolique mais sera violée dans le train par le conducteur, ce qui donnera le magnifique Night Life, tentative musicale plutôt enjouée de conjurer le traumatisme. Elle se marie à 16 ans au saxophoniste John Williams, qui rejoint en 1929 le groupe d’Andy Kirk, que Mary Lou finira aussi par intégrer. C’est alors le seul groupe avec une pianiste féminine, où elle apporte une liberté musicale que l’on trouve par exemple dans Walkin’ & Singin’. Toujours à improviser, elle écrit aussi des arrangements pour d’autres groupes et finit par quitter Andy Kirk qui ne la payait pas à égalité avec les hommes.
Divorcée, elle mène une brillante carrière mais sans mettre en avant sa sexualité et de surcroît noire, elle sera marginalisée par des concurrentes jouant sur leur sex-appeal. Cependant, « elle fait des régimes, se fait refaire le nez », indique le commentaire qui propose une familiarité avec ce personnage impressionnant dont les détails de la vie sont largement documentés dans sa page wikipédia. Le fait de faire parler par moments Mary Lou Williams elle-même ajoute une touche d’intimité, même si c’est la voix d’une comédienne. Il fallait cela pour aider à comprendre les ruptures et notamment son retrait et sa conversion au catholicisme en 1957 qui l’amènera à marier le jazz à la musique liturgique.
L’autre figure féminine est Hasna El Bacharia, pionnière des artistes Gnawas féminines et artiste sexagénaire analphabète. Sara Nacer lui rend hommage dans La Rockeuse du désert (2019). Il a fallu cinq ans pour étudier vingt ans d’archives sur toute sa carrière et la suivre dans différents pays : Canada, Algérie, Maroc et France. Elle a produit Hasna El Becharia sur le plan musical avant de pouvoir la filmer et d’entrer dans l’intimité de sa maison à Béchar, dans le sud-ouest algérien. Il est vrai que cette intimité est palpable dans le film, à commencer par ces moments où l’artiste raconte combien elle était incomprise et rejetée car elle osait jouer une musique d’hommes. On est allé jusqu’à lui lancer des pierres.
Elle est issue de famille pauvre. Son père, qui jouait pour faire la quête, ne voulait pas qu’elle joue du guembri, l’instrument de musique à cordes pincées des Gnaouas. Elle l’apprendra en le regardant jouer et chantera plus tard : « Nous devons tout à nos parents et à la résilience » ! Après son succès au Cabaret Sauvage à Paris en 1999, elle décide de rester en France mais ne peut y vivre de sa musique et revient à Béchar. Elle rejoue au Cabaret Sauvage en 2018, occasion d’émouvantes retrouvailles. Son jeu se démarque de celui des hommes par une douceur dont la force tranquille est liée à la poésie mystique. Dédié « à Hasna et à toutes les femmes qui nous permettent de rêver », ce documentaire met en valeur la puissance d’émancipation de cette femme, en accord avec la profondeur de sa musique.
Mais les figures féminines ne s’arrêtent pas là : le documentaire Ghofrane et les promesses du printemps de la cinéaste tunisienne renommée Raja Amari est à bien des égards remarquable. D’abord par sa capacité à laisser son sujet faire le film. On sent que la réalisatrice essaye de la suivre, d’adopter son mouvement, si bien que c’est Ghofrane qui donne le ton du film et détermine sa dynamique. Cela se voit par des plans souvent rapprochés, à l’épaule, cette approche très physique, presque dansée, permettant de capter son élan, ses émotions et ses doutes. Car c’est une jeune femme noire le sujet, qui se lance en politique pour réagir aux discriminations dont elle est victime. Le film documente ainsi une tranche d’Histoire tunisienne mouvementée, du point de vue des invisibles, des exclus.
Cela commence par des photos. En accroc des réseaux sociaux, Ghofrane en a publié près de 2000 sur Facebook ! Au collège, un professeur l’avait traitée de « bûche brûlée ». Sortie du cocon familial, elle était effectivement confrontée au racisme, dans un pays où les taxis refusent souvent les Noirs. En contact avec une association antiraciste, elle trouve ses marques et garde ses cheveux bouclés d’afro-tunisienne. Elle s’engage en politique aux côtés de Youssef Chahed, candidat du parti démocratique Tahya Touns (« Vive la Tunisie ») en 2019, mais est confrontée à la défaite de la famille démocratique : les gens n’ont plus confiance dans les partis traditionnels et préfèrent voter pour des individus, indique Selma Baccar. La désillusion est difficile à dépasser après l’effervescence révolutionnaire, mais Ghofrane ne lâche pas, quitte à se faire avocate du peuple…
Sans doute fallait-il arriver à gérer un tel personnage charismatique, tant il marque par sa présence et risque de devenir manipulateur comme sur les réseaux sociaux. Raja Amari lui laisse volontiers la parole tout en privilégiant son expérience intime et ses contradictions, à l’écoute de son combat et de ses convictions. Un tel équilibre n’est pas inné et demande une cinéaste confirmée, d’autant que Ghofrane lui permet de documenter la déception qui envahit le pays alors que la colère est encore là. En revendiquant sans lâcher malgré les échecs son droit à la dignité, Ghofrane ne se pose jamais comme victime et, comme toutes les femmes de cette programmation, s’affirme en tant que figure de courage. N’est-ce pas une fonction du cinéma que de nous transmettre cette force ?
C’est en filmant une romance, Habiba, un amour au confinement, inédit en France, que le célèbre cinéaste marocain Hassan Benjelloun avait envie de passer le confinement lié à l’épidémie de covid-19, forcément entre quatre murs ! Film intimiste à petit budget mais attachant, il met en scène un professeur de musique aveugle qui héberge pour quelques jours, le temps de trouver une solution, une de ses étudiantes coincée par le confinement. Une étrange relation s’établit entre eux dont l’ambiguïté fera le corps du film, non sans imprimer un suspens tout en subtilité. Il est issu d’une relation d’amitié entre le réalisateur et le célèbre musicien aveugle Fettah Ngadi. Ils ont écrit ensemble le scénario qui emprunte des éléments à leur vie. Fettah Ngadi joue le rôle principal.
Benjelloun utilise le trouble du spectateur et les circonstances spéciales du contrôle lié au covid pour mieux l’engager sur une fausse piste afin de donner du poids à celle qu’il privilégie, celle d’un amour pur et sans calcul de la part d’un aveugle qui sait trop bien ce que signifie le confinement. L’intelligence du montage qui entremêle à la fois les personnes et les moments fait du film une attachante énigme. Benjelloun et Ngadi ont mis beaucoup d’eux-mêmes dans ce récit, et de leur vécu. Cette sincérité est perceptible dans la simplicité tant du scénario que de la mise en scène, les entrelacs et artifices n’étant finalement qu’un jeu entre amis avec le spectateur. En définitive, tout le cinéma de Benjelloun est là : revenir à l’humanité lorsqu’il y a fermeture et conflit, et se mettre à l’écoute des femmes. (cf. critique n°15334 et un entretien avec le réalisateur)
Bendskins, premier long métrage du Camerounais Narcisse Wandji, inédit en France, commence par une référence à Touki-Bouki de Djibril Diop Mambety : des cornes de vache sur une moto. Mais ici, la moto est un gagne-pain : Sani, Marie et Franck pratiquent la moto-taxi qui à Yaoundé sert communément de transport en commun – le bendskin, un mot qui fait référence à la danse traditionnelle des peuples Bamilékés, à l’ouest du pays, en raison des soubresauts du passager à l’arrière de la moto. Sani doit affronter Charles, son employeur et père de Samedi, sa copine, qui attend un enfant de lui, et ça ne va pas bien se passer. Marie, elle, a été violée il y a cinq ans et ne pense qu’à retrouver son violeur. Quant à Franck, il dérobe un sac et se retrouve avec le cadavre d’un enfant de 8 mois qui n’est autre que le neveu d’Alexa, sa copine… Voici donc un film choral dont les sordides histoires se déroulent en parallèle, et qui se veut témoin des préoccupations et intrigues quotidiennes qui minent le bon peuple de Yaoundé.
Il est émaillé de références et de clins d’œil cinéphiliques. Quartier Mozart de Jean-Pierre Bekolo est évoqué pour le personnage de Charles (Chien Méchant, père de Samedi, incarné par Jimmy Biyong chez Bekolo) et même Marcel Pagnol (Daniel Auteuil dans Jean de Florette de Claude Berri) : « Tu pleures ? Non, ce sont mes yeux ! » Avec le camfranglais, le langage est cru, sarcastique, la réalité tout autant. Wandji retrouve dans les intérieurs l’ambiance de son court métrage Walls qui dénonce le monde carcéral au Cameroun et la corruption. Pour les extérieurs, il utilise le rap et la division de l’écran pour manifester la polyphonie et renforcer la tension.
Ce sont en définitive le destin de trois femmes que le film développe, face au patriarcat et la violence des hommes. Avec les rapports de domination, la déstructuration de la famille et le rapport au politique, ces noeuds traversent la plupart des films camerounais actuels. Wandji a d’ailleurs participé à la création d’un festival de films de femmes et d’ateliers de formation car nombreuses sont celles qui travaillent dans l’industrie du cinéma comme actrices ou productrices mais encore trop peu sont réalisatrices. Bendskins participe ainsi de la remise en cause de l’invisibilité, des assignations et du harcèlement des femmes. Sa force est d’apporter quelques touches d’humour et une certaine poésie à cette mosaïque sans concession de la société camerounaise.
En 2016, le FIFDA avait présenté Héros invisibles : les Africains-Américains dans la guerre civile espagnole d’Alfonso Domingo et Jordi Torrent. Il propose cette année un autre inédit en Europe : Fighting for respect de Joanne Burke, qui revient sur les soldats afro-américains de la Première guerre mondiale sous le titre français Des hommes de valeur. La réalisatrice commente la version française avec un fort accent mais cela n’enlève rien à l’intérêt de ce documentaire riche en archives d’époque. Lorsque le président Woodrow Wilson s’est présenté devant le Congrès pour demander une déclaration de guerre officielle le 2 avril 1917, son affirmation selon laquelle le monde « doit être rendu sûr pour la démocratie » a résonné dans les communautés afro-américaines comme une opportunité de se battre pour leurs droits civils. Les jeunes hommes afro-américains se sont inscrits en grand nombre, deux divisions noires ont été créées et plus de 200 000 ont été expédiés en Europe. Par méfiance pour leurs capacités, 160 000 ont été affectés aux services d’approvisionnement mais 40 000 furent envoyés à la ligne de front. C’est ainsi que le 369ème régiment d’infanterie, surnommé les Harlem Hellfighters, fut vite connu pour sa férocité face à l’ennemi. Alors que l’armée américaine était raciste, les régiments placés sous contrôle français étaient entraînés avec respect.
Le film place bien le contexte répressif aux Etats-Unis, les brimades que subissaient les soldats noirs, leurs relations avec les Tirailleurs sénégalais, leur courage au combat et leurs tombes dans le cimetière américain de Meuse-Argone. A leur retour, leur apport fut minimisé, si bien qu’il leur fallait organiser eux-mêmes leurs parades, avec un slogan : « Nous revenons de la bataille, nous revenons nous battre ! » Mais l’été 1919 fut un « été rouge » avec des émeutes raciales meurtrières dans 26 villes du pays, tuant des centaines de personnes : lynchages, pendaisons même en uniforme… Les émeutes de Tulsa en Oklahoma couronnèrent le tout en 1920, où les maisons noires furent détruites par l’aviation. Après 100 ans de déni, des recherches sont opérées sur les tombes des victimes et Joe Biden s’est rendu sur les lieux du massacre…
Au niveau animations pour les enfants, le festival propose des contes africains financés par le fonds officiel algérien. Le générique allie les deux pays, Djilali Beskri étant crédité de l’idée et du concept. Dans Les trois vérités d’Adahan Wakili (Bénin), un vieil homme confie à son fils Kossi un héritage sous la forme de trois vérités qui ne le lui sont même pas révélées. Ainsi le jeune béninois, pour décoder le message de son père, part à l’aventure à la quête de ces trois vérités… Autre conte, Malika et la sorcière de Boureima Nabaloum (Burkina Faso) qui a été présenté en compétition au Fespaco de 2015, dont le scénario est l’oeuvre de Djamila Zouré. Malika est une petite fille qui veut accompagner sa mère qui se rend avec d’autres femmes à la fête des rencontres. Elle outrepasse son refus et se joint au groupe. Rusée, elle déjoue les plans de la sorcière qui voudrait les tuer. Enfant clairvoyant bien que désobéissant, Malika se révèle plus sérieuse et responsable que les autres femmes. Les dialogues en français de ce conte sont souvent trop littéraires pour être compris par un enfant et l’animation assez figée, mais il reste plaisant à regarder et offre aux enfants un exemple positif de détermination féminine.
Dans le programme animations également, Mofiala du Togolais Boris Kpadenou (2020) est on ne peut plus explicite : Mofiala a été envoyée par sa mère étudier en ville contre la volonté de son père qui veut la marier à un riche ami suite à la promesse d’une importante dot. Elle devient docteur et chercheuse en bactériologie et voilà que le village est frappé par un mal inconnu. On croit à une malédiction mais la mère de Mofiala lui rappelle ses sacrifices pour qu’elle réponde présent si « ton peuple a besoin de toi ». On imagine que tout se termine bien. Bien rythmé et expressif, ce dessin animé sélectionné à Clermont-Ferrand et au Fespaco 2021 ne mâche pas ses mots, faisant de la jeune femme une héroïne tout en célébrant sa modernité acquise grâce à la détermination de sa mère face au pouvoir traditionnel et patriarcal.
On retrouve là la dominante de ce festival : comment des femmes puissantes transcendent les obstacles pour aller de l’avant et ouvrir pour toutes et tous la voie des possibles.
[1] Orson Welles, de Paolo Mereghetti, Cahiers du cinéma, 2007, p. 14.