Si le grand événement du festival d’Avignon lié à la diversité cette année 2010 était l’arrivée à la présidence du « off » de Greg Germain, acteur et metteur en scène Guadeloupéen, fondateur et directeur, avec Marie-Pierre Bousquet, depuis 1997 de la Chapelle du Verbe Incarnée, un théâtre qui uvre depuis toutes ces années pour la visibilité des créations des outre-mer, d’Afrique, des Antilles et d’ailleurs la programmation de l’ensemble du festival et notamment du « in » n’a guère fait de place aux expressions artistiques issues de la diversité des Suds. Rares étaient les spectacles qui convoquaient cette altérité-là.
Le festival d’Avignon garde le regard résolument rivé vers l’Europe continentale du nord, tournant le dos à l’Atlantique, à la Méditerranée, à l’Océan indien, mais surtout tournant le dos aux ailleurs de l’intérieur, à ces ailleurs d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique qui se rencontrent à tous les coins de rue des vies ordinaires, à l’école, au stade, dans le bus, dans le métro, à l’hôpital, dans les grandes surfaces, dans les commissariats, les églises, les mosquées, les marchés, à l’usine, au bureau
l’autre-monde quoi ! Celui des jeunes générations dont c’est le quotidien. Non pas l’utopie de Robinson qui traversait en effet la programmation du festival, l’analyse du regard dominant sur cet autre qu’il soit Pygmée ou Rom, mais l’imaginaire d’une société qui change de couleur. Une seule touche de ce point de vue d’ailleurs, venu des confins du Congo (à en croire la plaquette de présentation !) faisait tache : le spectacle de l’inventif chorégraphe congolais Faustin Linyekula qui présentait sa Bérénice créée à la Comédie-Française, dans une nouvelle version cependant, une version où Bérénice cette fois « surgit au milieu de la réalité quotidienne congolaise provoquant une friction entre une langue et des corps qui lui sont étrangers », annonçait le programme, sans grande originalité, il faut bien le dire ! Car des Bérénice africaines, le festival en a vu passer plus d’une
Alors, pourquoi encore une fois faire ce détour par la quintessence du théâtre classique français pour aller à la rencontre de l’autre et partager sa vision du monde ? Artiste international passionnant que les directeurs du Festival, Hortense Archambault et Vincent Baudriller, avaient déjà accueilli en 2007, Faustin Linyekula porte « un regard doublement neuf (celui d’un Africain et celui d’un chorégraphe) sur l’un des chefs-d’uvre du théâtre français, nous dit le programme, bousculant un peu la belle ordonnance, la tradition et les habitudes attachées à la représentation des classiques ». Ultime variation doit-on pourtant espérer, comme l’annonce le titre ironique de Faustin Linyekula : « Pour en finir avec Bérénice », Faustin qui de toute évidence, retourne l’alibi exotique. Puisqu’il faut Bérénice pour parler d’immigration et occuper l’espace du Cloître des Carmes
il avance la Reine de Palestine comme un Cheval de Troie sur l’échiquier théâtral et engage au final son propos sur un terrain bien loin de l’univers racinien, le terrain glissant de la post-colonie !
Encore une fois, c’est le festival « Off » dont l’identité repose sur l’hétéroclite et le brassage (certains ont des mots plus brutaux) qui offrait vraiment aux spectateurs quelques expressions dramatiques venues d’ailleurs et questionnait le vivre ensemble. Talipot présentait une nouvelle fois son magnifique Mâ Ravan, spectacle conçu autour des tambours solaires de l’océan indien, à l’espace Pasteur et faisait salle comble jusqu’à la fin du festival, le Théâtre du Balcon accueillait cette performance oratoire portée par le Martiniquais Eric Delor dans une mise en scène du dramaturge Franco-béninois José Pliya, conçue à partir du discours de Barack Obama : De la race en Amérique. A noter également le très pétillant montage poétique d’après le Discours sur le colonialisme de Césaire au Théâtre de la Salamandre. Une compagnie d’Amiens était venue raconter Soundiata aux petits avignonnais et un autre spectacle de marionnettes à destination des plus grands : Sakura, portée par une Compagnie réunionnaise, ouvrait au monde imaginaire et cruel de l’adolescence à l’espace Aliya.
Et encore une fois, la Chapelle du verbe Incarné défendait avec finesse et intelligence les théâtres d’outre-mer en donnant à voir une palette représentative des créations françaises qui se déploient outre-Atlantique. Hommage à Césaire d’abord avec Cahier d’un retour au pays natal de Ruddy Sylaire et Laurent Phénis. Venue de la Guyane, la Compagnie Ks and Co jouait Antigone à New York. Une compagnie luxembourgeoise, présentait avec la Martiniquaise Nicole Dogué et le malgache Christophe Ratandra dans une mise en scène de Marja-Leena Junker un texte de Duras : Agatha. Makak Janbé Croco le spectacle jeune public en provenance de la guadeloupe soulevait l’enthousiasme des grands et des petits. La Compagnie de la Réunion Danses en l’R présentait une pièce chorégraphique inspirée de Jaz de l’Ivoirien Koffi Kwahulé pour deux danseurs Soraya Thomas et Niko Garo, une forme aussi dérangeante qu’incisive. Le poète palestinien Mamoud Darwich était porté par Mohamed Rouabhi et Les Monologues voilés, un spectacle venu de Belgique, signé Adelheid Roosen, apportait une note de légèreté grivoise.
La question reste donc toujours posée, quand la programmation du festival d’Avignon, un des plus prestigieux festivals du monde, où la France joue son image artistique mais aussi politique et morale assumera-t-elle officiellement de se construire avec l’altérité d’ici et d’ailleurs et de donner une place aux créateurs issus des immigrations ou des territoires d’outre-mer pour partager nos imaginaires et réinventer ensemble nos rêves en couleurs ?
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