Après Fama en 1998, Koffi Kwahulé met à nouveau en scène une de ses pièces : Blue-S-cat. Occasion rêvée d’entrer de plain-pied dans son univers, interprété ici avec force et justesse par Nanténé Traoré et Olivier Brunhes. Au centre de la scène de la Chapelle du Verbe incarné plongée dans la pénombre, un espace exigu et lumineux se détache et semble flotter dans le vide : c’est l’ascenseur de Blue-S-cat. Là, côte à côte, une femme et un homme, manifestement sereins. Lui sourit d’aise, elle ondule légèrement sur un air d’un lyrisme puissant : les paroles, chantées dans une langue inconnue, captent d’emblée l’écoute du spectateur.
Lorsque la musique s’altère et se tait, la femme panique. Manifestement, elle ne connaît pas l’homme qui se tient tout près d’elle, et elle a peur. Comment alors les monologues des deux personnages. Dans ce chant alterné, le sens de l’histoire s’égare : parfois, les corps, étrangers l’un à l’autre, sont traversés d’ébranlements furtifs, mouvements irrépressibles de la tête, du bras ou du pied qui traduisent une pulsion fondamentale, un élan primitif qui cherche à s’exprimer. Dans la lumière rose qui inonde alors l’espace scénique, les corps sortent du cadre étroit dans lequel ils étaient enfermés, et dansent une danse sauvage, une parade jubilatoire, qui trace sur l’ensemble du plateau une écriture insolite, comme improvisée : dialogue retrouvé des corps, où les onomatopées, les reniflements, les gestes inesthétiques et drôles contestent la gravité de la raison et des conventions. Parfois, une autre histoire se joue entre les personnages : histoire incestueuse où, furieuse, elle lui rappelle qu’il est l’ami de son père et menace de le tuer
Puis les corps se ferment à nouveau et retrouvent leur place initiale sur le rectangle lumineux : là, un quadrillage transparaît de temps à autre, qui rappelle l’image de la prison ou de la croix.
L’homme, à genoux, le visage incliné sur l’épaule, comme le Christ sur la croix. Dans sa main gauche ouverte : une rose rouge. C’est l’une des dernières images du spectacle. Les personnages ne cessent de dire, en effet, que les corps vont mal, enfermés dans leur solitude ou » pulvérisés » dans les catastrophes qui frappent notre monde : » c’est dans le corps absent que commence la vraie tragédie « , dit la femme au milieu de la pièce. Pourtant, dans le chant tissé par ces deux voix, dans l’espace qu’embrasent le mouvement des corps et la poésie de Kwahulé, quelque chose rappelle au spectateur la beauté du monde et la permanence du désir : la Chapelle du Verbe incarné n’aura peut-être jamais aussi bien porté son nom
Joué à la Chapelle du Verbe incarné, Avignon 2006///Article N° : 4544