Les Tamikrest sont sans conteste les fils adoptifs du groupe touareg Tinariwen. Leur troisième album, dédié aux femmes victimes de guerre s’appelle Chatma.
En kel tamashek, la langue touarègue, Tamikrest veut dire le nud, l’union. Cette union est celle de sept jeunes de villages différents, de la région de Kidal, au nord-est du Mali, rassemblés autour de la passion de la musique. Influencés par leur tradition bien sûr, leurs héros s’appellent aussi Mark Knopfler, et Bob Marley. « C’était un passe-temps raconte Ousmane Ag Mossa, chanteur et leader du groupe. En 2004, nous avons commencé à faire des concerts à Kidal et pris ce nom de Tamikrest ». Si Tamikrest c’est l’union, taghreft tinariwen signifie l’édification des déserts. Les Tamikrest clament haut et fort leur filiation à Tinariwen, les bâtisseurs de la musique touarègue moderne : « On est de la même famille, de la même région que Tinariwen » explique Aghaly Ag Mohamedine, percussionniste du groupe. « On les a écoutés pendant des années. Ils nous ont donné envie de devenir musiciens. Ce sont les créateurs du blues touareg. Le premier groupe dans le désert à s’être procuré et à avoir appris à jouer de la guitare électrique. Le premier à aller hors d’Afrique. » Au-delà de la musique, Tinariwen a redonné à ces jeunes l’espoir d’une vie meilleure. « Ce sont les premiers porte-parole de notre communauté » rappelle Aghaly. « Dans les années quatre-vingt-dix, aucun journaliste ne s’intéressait aux Tamashek. Il n’y avait que la musique pour parler de nos souffrances, des pressions gouvernementales. Les musiciens sont les porte-parole de notre peuple. »
Pour Tamikrest, la chance se présente en 2007, sous la forme d’une rencontre avec le producteur américain Chris Eckman, pendant le festival au Désert à Essakane, près de Tombouctou, au Mali. Il leur permet de réaliser un premier disque Adagh, sur son label Glitterbeat. Grâce à ce coup de pouce artistique, Tamikrest acquiert rapidement une reconnaissance internationale, confirmée par des tournées. Mais Ousmane met un bémol, dénonçant l’ostracisme dont souffre son peuple : « Nous sommes devenus un groupe international mais pas national, à l’échelle du Mali. Ce n’est pas la faute des citoyens maliens. La population ne peut pas nous connaître si on n’est pas diffusés en radio, ou si on n’a pas d’articles dans les journaux. Nous sommes victimes de ce système. Le gouvernement interdit tout ce qui vient de chez nous, en prétendant que nous sommes trop révolutionnaires. On aimerait qu’il y ait au moins un programme d’une heure pour la communauté touarègue à la télévision nationale. Il n’y a aucun journaliste ou porte-parole touareg dans les médias nationaux. Nous n’avons jamais eu d’aide financière ou matérielle du gouvernement. On était obligé de rester jouer pour notre seul entourage. »
Aujourd’hui le phénomène Tamikrest a grandi. Dès sa sortie en 2011, l’album Toumastin, qui signifie « Mon peuple », a eu une certaine notoriété internationale. Cette fois, dans leur dernier né Chatma les bluesmen du désert égrènent leurs riffs de guitare pour célébrer les femmes. Chatma veut dire Mes surs indique Aghaly : « Quand il y a des guerres, ce sont les plus exposées aux pires atrocités. Elles se retrouvent en exil, réfugiées dans des pays qu’elles ne connaissent pas, sans rien. Les femmes ont une grande importance dans notre société. Ce sont des reines et des symboles de liberté. Avec la guerre, elles voient chaque jour leurs frères ou leurs maris mourir. Malgré tout, elles restent debout. On leur rend hommage. On ne pense pas qu’aux femmes touarègues mais à toutes les femmes dans le monde, qui subissent les mêmes conditions, comme en Afghanistan, en Irak ou en Palestine. »
Avec l’actualité brûlante au Mali, et les amalgames faits entre Touaregs et terroristes, entre les indépendantistes du Mouvement national de libération de l’Azawad (2) touareg et les islamistes d’Ansar Dine, Tamikrest entend défendre son peuple, sans ambiguïté, mais sans appel à la violence : « Il n’y a pas une guerre ethnique entre Touareg et Noirs, martèle Ousmane. La crise qui s’est produite est de la faute des politiciens. On se bat pour la liberté. On veut sortir de la situation dans laquelle nous sommes et redevenir ce que nous étions, quand nous étions totalement libres. On n’a jamais été colonisés ou vécu dans la domination de qui que ce soit. Nous voulons être les maîtres de notre destin. » Du coup, Ousmane, l’homme libre, se méfie des étiquettes qu’on plaque à son peuple : « La nationalité c’est un bout de papier. Je peux me considérer comme citoyen malien parce que c’est écrit sur mon passeport. Mais pour être un citoyen, il faut être respecté comme tel. » Les frontières ? « On a été victime du découpage territorial des années soixante. On a toujours bougé du nord du Mali à Tamanrasset, en Algérie. L’Azawad est un seul territoire. On ne voit pas ces frontières artificielles. On ne considère pas ça comme des pays mais comme du désert. » Même défiance sur l’appellation touarègue, qui viendrait d’un terme arabe : « Notre langage c’est tamashek. On ignore tout à fait le mot touareg. Si tu l’emploies avec un homme du désert il ne sait pas ce que c’est ! » Quant aux solutions politiques elles lui laissent un goût amer : « Il y a eu la révolution au début des années quatre-vingt-dix. En 1992, un pacte national a été signé à Tamanrasset. Or depuis 1992, notre peuple n’a vu ni autonomie, ni décentralisation, ni aucun autre point des accords respectés. En 2006, des révoltes ont mené aux accords d’Alger. Pendant six ans, rien. Maintenant qu’est ce qui nous prouve que ça ira mieux avec ceux de Ouagadougou ? La population ne croit plus qu’en elle-même ! » Désabusé, Ousmane ne croit pas davantage dans les récentes élections maliennes, sur des braises encore trop chaudes : « La population touarègue n’est pas du tout contente, ne croit plus dans le nouveau gouvernement, dans l’avenir du pays. Beaucoup, dans les camps de réfugiés, ont boycotté le vote. Le gouvernement malien a laissé trop de mauvaises traces, des mauvais souvenirs. Dans les années quatre-vingt-dix, les exactions étaient dans l’ombre. Cette fois ça a été filmé par France 24, Al Jazeera
Mais il n’y a pas eu de poursuites judiciaires. Ce n’est pas normal ! » Malgré ce contexte morose, les Tamikrest entendent bien revenir jouer à la maison, à l’issue de leur tournée internationale : « On reviendra à Kidal car notre famille est là. Pour nous c’est un devoir ! »
1. La population touarègue est l’une des plus anciennes d’Afrique du Nord, présente au Sahara et dans le Sahel (Mali, Niger, Algérie, Libye et Burkina Faso)
2. territoire désertique, dans le nord du Mali, dont l’indépendance est revendiquée par des groupes touaregs, et qui a fait l’objet d’une insurrection en 2012En concert le 15 octobre 2013 à la Maroquinerie, à Paris
[www.tamikrest.net/fr]
[http://www.youtube.com/watch?v=DLBFQ3q3Krg]
[http://www.youtube.com/watch?v=aMQ-i-L9XwA]///Article N° : 11748