Théâtre, créolité et francophonie

Entretien de Sylvie Chalaye avec José Pliya

Roseau, mars 2001
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Minuscule île anglophone, indépendante depuis 1979, coincée entre la Guadeloupe et la Martinique, la Dominique s’est dotée du premier festival de théâtre exclusivement créole de la Caraïbe avec une première édition en cette fin de mars 2001.

José Pliya qui dirige l’Alliance française dans la capitale Roseau, est l’instigateur de l’événement. Homme de théâtre passionné, il a mis toute son énergie à monter cette manifestation, un vrai défi. En partenariat avec l’Ambassade de Sainte-Lucie, l’Alliance française a fait venir des spectacles de Martinique et de Guadeloupe, sans omettre de présenter sa propre production. On a pu voir Tabataba de Bernard-Marie Koltès et Pawana de Jean-Marie Le Clézio, deux textes traduits en créole et mis en scène par Moïse Touré, venus de l’Artchipel, mais aussi Mamiwata avec Lucette Salibur et Wopso de José Exelis avec Charly Lérandy et Emile Pelti, deux spectacles de Martinique, ainsi que Voyages, le travail d’atelier dirigé par José Pliya lui-même. Le festival fut aussi l’occasion de diverses animations : rencontres autour de la francophonie et de la créolité, foire gastronomique pour déguster les spécialités culinaires de la Dominique, exposition de livres créoles, de photos… sous un chapiteau dressé dans la cour du lycée de Grandbay afin de protéger du soleil et des ondées les festivaliers venus des communes environnantes.
Comment s’est imposée à vous l’idée d’organiser un festival de théâtre créole à la Dominique ?
Le désir est venu progressivement. Voilà trois ans que je dirige l’Alliance française et que je mène parallèlement aux activités linguistiques, une activité théâtrale de formation. Nous avons commencé par un atelier de théâtre ouvert à tous les comédiens de la place, étudiants comme non étudiants de l’Alliance. J’avais constaté qu’il y avait en Dominique deux ou trois troupes capables de faire des productions. Mais ces troupes travaillent au coup par coup, sans aucune régularité. Aussi les acteurs ne sont pas vraiment professionnels, ils font des publicités à la télévision, des sketchs, du théâtre d’intervention sociale quand l’occasion se présente. Les Dominiquais ont une vieille habitude du théâtre, une tradition même, mais personne n’en vit réellement sur l’île.
Comment avez vous travaillé avec le groupe ?
Mon principe a été dès le départ de ne pas m’appuyer sur des textes. Je n’ai pas voulu faire travailler le groupe sur des auteurs français. Le support a donc été un conte. Et notre travail a d’abord été corporel. Voyages, le spectacle qui est sorti du travail de plateau est avant tout un spectacle visuel, où les histoires traversent les corps.
Cet atelier a donc débouché sur un spectacle ?
Au bout d’un an, le groupe était déjà très cohérent et demandeur d’une rencontre avec le public. Nous avons alors eu l’opportunité d’une invitation au Festival de théâtre des Abîmes en Guadeloupe. On a donc présenté une pièce et c’est ainsi que j’ai eu envie de créer en Dominique un festival qui inviterait à son tour les autres pays sur l’île. Mais il a fallu plus d’un an pour mettre en place ce premier festival. Ce festival de théâtre n’est pas né spontanément, il a fallu tout un travail d’approche. J’ai commencé à faire venir des professionnels pour entretenir la flamme et le niveau. Ruddy Silaire de la Martinique est venu, Jean-François Prévand et pendant le festival Koffi Kwahulé qui a animé des ateliers avec des jeunes de Grandbay et a travaillé sur Cette vieille magie noire avec le groupe de l’Alliance. Sans un suivi et une stimulation constante le projet n’aurait sans doute pas vu le jour.
Comment s’est imposée la langue créole pour ce festival ?
Il m’a semblé évident qu’on ne pouvait pas présenter à la Dominique un festival en français. Les gens ne sont pas suffisamment francophones et je tenais beaucoup à ce que le festival soit avant tout un festival populaire. Or, en tant qu’institution française je ne pouvais pas non plus présenter du théâtre en anglais. Le créole était un vrai compromis, une langue populaire et en même temps issue d’une culture française. Le créole vient d’Haïti, de la Guadeloupe et se retrouve à Sainte-Lucie comme à la Dominique, c’est une langue de circulation pour la Caraïbe et surtout à bases linguistiques françaises. On retrouve beaucoup de mots d’ancien français dans le créole dominiquais. La créolité me paraît être aujourd’hui un vrai enjeu francophone.
Pourquoi avez-vous choisi la commune de Grandbay, et non pas la capitale pour cette première édition ?
Grandbay est à quinze minutes de Roseau, c’est la ville la plus créolophone de la Dominique. C’est une commune où il y a un grand lycée qui vient d’être construit, avec un bel auditorium. Le temps très changeant ne permet pas le plein air. Par ailleurs, le Principal du lycée a toujours manifesté un grand intérêt pour la culture et la chose théâtrale.
Envisagez-vous déjà une deuxième édition ?
Pour qu’il y ait une deuxième édition, il faut une adhésion populaire. Si je me fie à cette condition que je me suis fixée, la réponse est mitigée. Un peu naïvement, je pensais qu’il y aurait beaucoup plus de monde. Nous sous étions mis dans les conditions de la préparation d’un festival professionnel, avec une promotion importante. Néanmoins, ceux qui analysent la chose de l’intérieur, nous disent que notre déception doit être toute relative car nous avons eu dans les derniers spectacles notamment, bien plus de monde que dans les autres manifestations de l’île. Finalement l’un dans l’autre, ce serait dommage d’arrêter au bout d’une fois.
Comment imaginez-vous cette deuxième édition ?
Il faut que la préparation de la deuxième édition soit une expérience relais pour espérer pouvoir pérenniser le festival. C’est aux acteurs de la région ici et dans les îles alentour de s’en emparer pour en faire une vraie rencontre des paroles créoles, un peu comme le festival mondial des musiques créoles qui dans ce tout petit pays qu’est la Dominique est devenu un grand rendez-vous international.

José Pliya est un homme plein de ressources. D’origine béninoise, fils de Jean Pliya, le célèbre auteur et homme politique du Bénin, José Pliya a mené une carrière de professeur de Lettres dans le Nord de la France, avant d’être nommé à la direction d’une Alliance française au Cameroun, puis à la Dominique depuis 1998. Parallèlement à ses fonctions de direction à l’Alliance française de Roseau et toute l’action qu’il mène pour faire exister une pratique vivante et dynamique du théâtre en animant des ateliers, José Pliya a une riche activité d’écrivain. Auteur dramatique montant de la nouvelle génération, plusieurs de ses pièces sont jouées en Afrique et en Europe. Nègrerrances a été créée dans une mise en scène de Pascal N’Zonzi au Cameroun et reprise au MASA en 2001 (cf. 38). Ruddy Silaire en a également proposé une mise en scène remarquée au Théâtre de Chapelle du Verbe Incarné en Avignon durant le festival « off » 2000 (cf Africultures 30). Dans le cadre des « Petites formes » de la grande manifestation L’Afrique en créations à Lille, Jean-François Prévand a dirigé une mise en espace du Masque de Sika au Théâtre du Gymnase à Roubaix avec une distribution prestigieuse (Tola Koukoui, Jacques et Jean-Michel Martial) et prépare la création de la pièce, dont les éditions Acoria viennent de publier le texte. On annonce aussi pour Avignon « in », dans le cadre de « Textes lus » au Musée Calvet, autour du 14 juillet 2001, une mise en lecture par Catherine Hiégel du dernier texte de José Pliya : Le Complexe de Thénardier une pièce qui interroge la relation maître-esclave, entre deux femmes.
Sylvie Chalaye///Article N° : 1940

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