Edito 59

Africultures, revue engagée ?

Print Friendly, PDF & Email

Ce n’est pas la première fois que nous travaillons main dans la main avec Fest’Africa, festival littéraire annuel à Lille, dans le nord de la France, mais aussi organisateur d’événements qui ont marqué la réflexion littéraire ces dernières années : au-delà des partenariats classiques, nous avons réalisé ensemble « Ecrire l’esclavage » (Africultures n°11) et avions réagi au projet « Ecrire par devoir de mémoire » par notre dossier « Rwanda 2000 : mémoires d’avenir » qui s’en voulait un approfondissement.
Lorsque Nocky Djedanoum et Maïmouna Coulibaly nous ont proposé de consacrer un nouveau dossier de la revue au thème choisi pour le « Nouveau congrès des écrivains africains et de la diaspora » de N’Djamena fin 2003, nous ne pouvions qu’accepter avec enthousiasme : face aux drames du Continent, cette question historique se pose aujourd’hui encore de brûlante façon. Mais aussi parce que cela fait très logiquement partie du programme d’une revue qui se veut lieu ouvert et critique, espace sans complaisance de confrontation et de débat, et qui essaye sans hermétisme ni superficialité d’être ce qui rend aujourd’hui les revues essentielles : un laboratoire de la pensée.
Favoriser cette parole libre est en soi notre engagement : Africultures, initiative privée, n’a de sens dans le paysage éditorial que si nous sommes véritablement un outil au service des créateurs, non pour leur seule promotion mais comme aiguillon et moyen de la réflexion commune. C’est lorsque nous parvenons à cela que nous pouvons être vecteur de connaissance et de reconnaissance des expressions culturelles auprès d’un large public afin de valoriser leur apport à notre société et au reste du monde.
Mais voilà que l’actualité nous rattrape plus vite que nous ne l’aurions pensé. La France multiplie les contradictions dans sa difficile intégration de l’altérité tandis que le Continent produit son lot de perversités. Dans notre souci d’être en phase avec notre temps, nos projecteurs se portent naturellement vers les lieux de conflit ou les espaces de friction : depuis notre nouvelle formule trimestrielle approfondie, nos dossiers ont porté sur Madagascar, la Côte d’Ivoire, Haïti, mais aussi sur la globalisation culturelle ou la politique du livre.
Nous faut-il privilégier ceux qui parlent le plus fort ? Nous savons combien la radicalité peut masquer des conservatismes réducteurs et bloquants. La polémique est stérile. Le débat initié par Alain Mabanckou et Jean-Luc Raharimanana dans la revue et sur notre site internet n’est pas le pour ou le contre de l’engagement : il est l’expression d’un profond souci de présence au monde, et interrogation sur les moyens.
Et très vite s’installe, au-delà des textes, au-delà des créations elles-mêmes aux formes si diverses, l’engagement d’hommes et de femmes, qui prennent des risques bien réels en ayant pas la langue dans leur poche. Car s’il n’est pas conservateur ou lèche-botte, l’art dérange. C’est une question de proximité, de quotidienneté, d’inscription dans le réel. D’où l’illustration de ce dossier par de jeunes photographes gabonais admirables dans leur spontanéité pour saisir et exprimer leur environnement (cf. p. 33).
Nos correspondants dans certains pays d’Afrique sont parfois durement menacés pour leurs écrits à qui l’on reproche de ne pas donner une bonne image de la patrie. Bien à l’abri dans notre France tranquille, l’équipe qui y vit ne prend elle que les risques financiers de notre aventure. Notre engagement dès lors, c’est tout ce bénévolat, ce sont les nuits blanches à boucler la revue, les heures à développer le site internet, les réunions de comité de rédaction les soirs de neige… Notre engagement, c’est tout simplement de faire exister Africultures. C’est peut-être aussi, dans la morosité ambiante, de vouloir encore comprendre le monde.

///Article N° : 3467

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire