Trois auteurs de RDC déambulent sur notre pont littéraire et échangent leurs préoccupations, leurs souvenirs.
Ali boma yé !
On n’y arrive pas toujours seul dans la vie.
À faire tomber ses barrières et ses masques
À faire les meilleurs choix de vie et rencontrer sa vraie destinée.
À gagner.
Ali boma yé !
Il avait le public avec lui, et un coup droit, un coup gauche, un autre coup droit, un gauche, et uppercut
Ali venait de remporter la victoire dans ce combat contre Forman qui n’en croyait pas ses mâchoires.
Ali n’hésitait pas à clamer ses propres louanges avec des phrases telles que « Je suis le plus grand » ou « Je suis jeune, Je suis mignon et Je suis totalement imbattable ».
Il conservera pendant toute sa carrière ce verbe haut qui est un de ses points les plus caractéristiques. Maître dans l’art de la provocation, il donnait un surnom à presque tous ses adversaires : Liston, qu’il appelait « l’ours noir », sera dérangé par Ali qui, avant leur combat, est venu le réveiller chez lui en pleine nuit, en klaxonnant de sa voiture devant sa maison ; Floyd Patterson, surnommé « le lapin », recevra pendant son entraînement la visite du champion venu lui apporter un panier de carottes ; Foreman sera qualifié de « momie » et Frazier de « gorille ».
Ali ira jusqu’à taper une baudruche en forme de gorille sur un ring en hurlant qu’il s’agissait de Frazier et, devant d’autres journalistes, tapera une figurine de primate en caoutchouc qui l’accompagnait partout avant le combat Thrilla in Manila. Il a aussi traité Frazier « d’Oncle Tom », une des pires insultes pour un noir à cette époque.
Des traits de caractère que les Kinois ont dû adorer chez lui : mbanga ya danger et matumboli ! Comme font les artistes rivaux, tant en théâtre qu’en musique, pour mettre KO et semer le chaos dans le camp adverse.
Ali boma yé !
Il peut s’avérer des fois chaotique de regarder la télévision. Rien de bon à voir. Des combats de boxe, des publicités, des séries télé.
Assise devant la Sharp écran plat, c’est le vide qui défile dans l’écran. Bizarre, mais il n’y a rien de bon même dans la vie des autres aujourd’hui. Ils sont pourtant maquillés, bien nourris, dans de belles maisons et de belles voitures, mais leur histoire ne raconte rien, sinon la routine.
Tiens, une pub cigarettes au milieu du film : une femme presqu’à poil ! Pff !
Alors qu’au début, ils montraient une blonde sulfureuse pour une voiture neuve à 100 000 dollars canadiens.
« Les femmes, ça se vend mieux », n’est-ce pas ?
Comme au pays
Ali boma yé !
Le chaos autour de moi m’a poussée à m’enfermer. Ça fait cinq mois. Je commence à croire sincèrement que je suis une drôle de fille. Un homme m’aimait, et moi je l’ai mis KO, je me suis conduite n’importe comment
Je l’ai largué. Je suis partie. Je suis là. Dans ce deux-pièces, devant cette télé Sharp à contempler le vide de la vie des autres. Toujours les mêmes histoires. Elle l’aime mais le trompe, il sait mais ne dit rien, elle culpabilise, il jubile. Pff !
Je me complique l’existence d’après ma tante. Ce n’est pas concevable. Ma dose de masochisme est au bord du verre, il déborde même.
Je me punis. Ouais, c’est cela, je me punis. Comme si je n’avais pas droit au bonheur et le fait de le vivre, ben je dois le payer
Comment je peux le décrire ? Hum. Comme cette télé je dirais, il faut la télécommande et je ne l’avais pas je crois. M’a fait croire que je l’avais oui, m’a fait croire que notre histoire était spéciale, m’a fait croire que j’étais sa vie, tout ça pour mieux me mobiliser. Que je reste là, pour être regardée, aimée, habillée en fleurs, mais surtout que je reste là. Immobilisme à tout prix. Pas le droit de dire. Pas le droit de faire. Pas le droit de penser. Juste être là, comme un singe dans une cage, on lui offre à bouffer, beaucoup de fruits, plein de bananes.
– Mange ta banane et tais-toi.
Si j’avais été quelqu’un d’autre, je crois que ça aurait pu marcher.
Tout le problème est là : je ne suis pas quelqu’un d’autre.
J’aurais dû me contenter. Pour mon entourage, c’est une chance « un homme qui te met en cage et te couvre de fruits »
ouais, façon de voir les choses !
Juste pas ma façon. Déjà bébé, j’étais une emmerdeuse d’après ma tante – c’est elle qui m’a élevée, je ne connais pas ma mère. J’en voulais toujours et j’en redemandais tout le temps. Du biberon, des couches propres, des personnes affectueuses. Je le savais, je le sentais, quand j’avais affaire à du bizarre, à du faux, comme cette voiture à 100 000 dollars.
Ali boma yé !
Les choses ne sont pas toujours que noires ou blanches. Il y a beaucoup de demi-teintes dans la vie. Ça s’appelle « arc-en-ciel » et c’est supposé apporter du sourire et du renouveau.
Allez, debout. Le jour s’est levé. C’est un présent, un cadeau. Pour faire mieux, sortir du chaos et mettre KO le mauvais il.
Bibish ML Mumbu – Montréal (Canada)
je cherche les débris de mon corps étendus sur les plages du désespoir, jambe gauche n’existant que sur papier, ventre et bas-ventre à l’emporte-pièce, mains puant la marchandise et mes aboiements n’arrivant même pas aux chevilles de ce ciel privé d’électricité, c’est-à-dire que je triche la vie qui me tient en tenailles au niveau des mâchoires, c’est-à-dire que je sers de déco à mon destin en sac-poubelle, destin-batracien, destin-kipelekese, destin-tchanga medesu
peut-être qu’il me faut (dans l’espoir d’un quelconque salut) geindre et geindre en ré-mineur tel la dernière chèvre de ma grand-mère : beum, beum, beum.
et dire qu’il n’y aura point d’euthanasie pour les récalcitrants et ivrognes de mon espèce ! et dire qu’il n’y aura point deux déluges successifs pour m’emporter dans ma bave, cela revient à dire que Noé ne viendra pas deux fois, qu’on ne fera plus entrer dans l’arche sept couples de tous les animaux purs, le mâle et la femelle, cela revient à dire que les eaux du fleuve Zaïre, ebale ezanga mokuwa (1), ne viendront plus lécher nos désirs de luxe et autres débauches dans les nuits étoilées de quartiers chauds de Kinshasa et d’Amsterdam.
et entre-temps, atteint de leprosité et de petite vérole, saligaud et scélérat par-dessus le marché noir, sans dieux et sans animal de compagnie, dépourvu du sel de la vie, mon corps-scolopendre traîne à même les plages du désespoir, en quatrième de couverture une douzaine de mes propres dents arrachées de force par des lémures et autres charognards de ce ciel privé de mazout.
il ne me reste qu’à bêler tel Tshela, la dernière chèvre de ma grand-mère Julienne mua Mwanza, tel Tshela en mezzo-soprano : beum, beum, beum.
Fiston Nasser Mwanza – Graz (Autriche)
Les lumières s’éteignent, Rodrigue insulte la Société nationale d’électricité, il ne sait pas si Didier Drogba qui vient de faucher Ribéry se fera expulser du terrain et si le Bayern de Munich marquera ce penalty.
Starlette : objectif 80, septennat du social, tout doit changer et tout va changer, Mon père fonctionnaire à la BK, Banque de Kinshasa connaît son premier impaiemment. Lita Bembo chante Gina, Zaïko langa langa chante Muvaro et Nippon Banzaï puis joue au Japon.
Roch : Le 12 octobre 1989 mort du grand maître Luambo Makiadi franco, expulsion des Balubakats du Shaba, plus de 300 000 personnes sont jetés dans les rues. À la gare, Kajinga voit sa fille Farida mourir entre ses mains.
Papy : Démocratisation, massacre des étudiants à Lubumbashi, premier pillage à Kinshasa, fermeture de la Générale des carrières et des mines (Gécamines). Gérard Mulenda, congé technique – Hubert Kalambay, congé Technique – Simon Luyalu, congé technique – Guy Lufwila, congé technique – Justin Kalonji, congé technique – Célestin Mujanyi, congé technique. Pour la première fois je suis chassé de l’école pour non-paiement de frais scolaires. Malou notre chien de garde est abattu d’une balle de calibre 12 pour avoir aboyé sur les soldats qui viennent de gravir le mur de notre parcelle de Binza Ozone par effraction, mon père ouvre la fenêtre et explique aux militaires que nous n’avons pas d’argent, ils insistent et tirent deux balles à la fenêtre, papa échappe de justesse. Wenge Musica chante Kin ébougé.
Roch : deuxième pillage, Ya Simon étudiant à L’Institut pédagogique national disparaît plus de dix jours, son corps est retrouvé sans vie aux environs du quartier télécoms. Popol fait l’amour pour la première fois, il nous en parle et on trouve cela dégueulasse ; sur l’avenue de marais au centre-ville je ramasse un paquet plein de billets de 5 millions de Zaïres ça ne vaut rien s’exclame Ya Samba, il parait que c’est cela la cause des récentes émeutes, il me l’arrache puis part en souriant, Wenge Musica danse Boma liwanza
Starlette : Conférence nationale souveraine, marche de chrétiens, une centaine de morts, mon frère Guylain attrape une balle à l’épaule droite. Bonipi comédien de la troupe lokolé théâtre meurt par balle. Matondo la jeune fille de la parcelle d’en face décide qu’elle s’appellera désormais Whitney ; Arlette a 3 ans et parle plus que les enfants de son âge, elle est tout simplement magnifique. Ma sur Mamitsho porte une minijupe bleu ciel de marque Loïs lui offerte par ma mère, ma belle-mère lui traite de pute, elle pleure. Wenge Musica chante L’Opération tempête du désert.
Jovial : plus de 450 000 personnes traversent la frontière zaïroise, l’entrée de l’AFDL (alliance de forces démocratiques pour la libération du Congo), chute du Maréchal Mobutu, Wenge Musica chante hi ho ha, Toutou Calugi est la révélation des animateurs de musique, on danse tous ndombolo la danse des macaques à la démarche de canards.
De 1994 à 1998, guerre d’agression à l’est de la république démocratique du Congo Marie Paul et Wenge El Paris chante couvre feu, dislocation du groupe Wenge Musica 4X4, Wenge BCBG chante Titanic, Wenge Maison Mère chante Intervention rapide, le pays tombe dans le désarroi la guerre atteint la province sacro-sainte du Bas-Congo, Il n’y a plus d’eau potable et d’électricité.
Papy : De 1998 à 2003, agression, rébellion, mutinerie, au nord, à l’est et au sud-est de la République démocratique du Congo, le combi devient le transport en commun par excellence à la place de tous les autres bus City train, SOTRAZ, Transzam, Otcz, Fula et Kimalu malu. Werrason chante Solola bien (cause bien), JB Mpiana chante Cora mi cora causa (la grande causerie), Sun city reçoit le dialogue inter congolais, sortie réussie du pain victoire. 2006 : organisation de premières élections, mars 2007 : Guerre de Kinshasa
Roch : 2007 : Guerre à l’est de la RDC, agression, rébellion, mutinerie, viols des femmes
Papy : 2008 : Guerre à l’est de la RDC, agression, rébellion, mutinerie, viols des femmes
Starlette : 2009 Guerre à l’est de la RDC, agression, rébellion, mutinerie, viols des femmes
Jovial : 2010 Guerre à l’est de la RDC, agression, rébellion, mutinerie, viols des femmes
Roch : 2011 Guerre à l’est de la RDC, agression, rébellion, mutinerie, viols des femmes
Papy : 2012 Guerre à l’est de la RDC, agression, rébellion, mutinerie, viols des femmes, Albertine Mwenga enterrée vivante. La porte de parole de la mission des nations unies au Congo bégaye, Wenge BCBG de JB Mpiana chante Soyons sérieux.
Starlette : Jeannine Makobola enterrée vivante
Jovial : Antoinette Kasika enterrée vivante
Roch : Gloria Saneza est la plus jeune violée, elle a 6 mois. Le porte-parole de la mission de maintien de la paix dans la sous-région ne retrouve plus sa culotte ni ses lunettes, à la radio Extra musica Zangul chante Trop c’est trop.
Rodrigue s’énerve, l’obscurité est totale même la parcelle du nouveau riche voisin n’a pas de courant, il parait que le nouveau patron de la société nationale d’électricité (SNEL) qui est un fervent supporter d’Eto fils ne supporterait pas de voir Drogba gagner cette champions league contre le Bayern, alors il a décidé de plein gré qu’il fallait couper l’électricité. Depuis lors, on attend.
Papy Maurice Mbwiti – Bruxelles (Belgique)
1. Ebale ezanga mokuwa : fleuve sans arête, expression dont se sert le musicien congolais Antoine Mudanda pour désigner le fleuve Zaïre.août 2012///Article N° : 10982