Voilà un projet qu’Idrissa Ouedraogo tente depuis dix ans de réaliser sans en trouver le financement : l’épopée d’un héros de l’Histoire burkinabè, Boukari Koutou (dit Ouobgho), frère du naba Sanem, qui avait refusé le traité proposé par Binger en 1891 et poursuivi la guérilla contre les Français jusqu’en 1898. Il aurait fallu gros moyens, figurants, costumes, etc Avec La Colère des dieux, Idrissa renonce au grand projet pour traiter le thème de façon intimiste, à la mesure de ses moyens. Des Français, nous ne verrons qu’une main en fin de film, nous n’en entendrons qu’un mot. Le sujet n’est pas la résistance mais les raisons de l’échec. Celui des combattants mais aussi celui de l’Afrique face à l’envahisseur, de l’Afrique dans le monde d’aujourd’hui.
Idrissa Ouedraogo est persuadé que les divisions et les luttes intestines pour le pouvoir ont miné la capacité de résistance des Africains, et que c’est encore le cas aujourd’hui. Dans une culture où, à l’époque surtout bien sûr mais encore dans les inconscients actuels, les dieux sont supposés déterminer le devenir des hommes qui implorent leur protection et la ritualisent à l’aide de multiples amulettes et gri-gri, ce rapport aux divinités détermine la compréhension du phénomène. Les luttes suicidaires pour le pouvoir ne pouvaient que déclencher la colère des dieux. Les phénomènes supranaturels émaillent ainsi le film où la légende se tisse sur fond de rapports de force et d’amour bien humains. Elle y puise bien sûr toute sa force, et ce n’est pas la moindre qualité du film que de jouer sans cesse le va-et-vient entre les deux niveaux. Il y parvient en maniant de façon radicale l’ellipse, parfois de façon trop visible comme lorsque Salam court à travers le temps, mais en général en conférant au film un rythme qu’on ne lui avait pas connu auparavant.
On entendra sans doute qu’Idrissa opère un retour en arrière vers la veine qui avait assuré ses succès (Yaaba, Tilaï). Ce serait ne pas voir l’évolution profonde du traitement de son cinéma : utilisation des gros plan, montage serré par le rythme et l’ellipse, métonymies et recherche sur l’angle de vue
Même si la deuxième partie du film semble parfois bouclée à la va-vite, l’ensemble confère une impression de maturité et permet à l’histoire de trouver le souffle recherché et de tenir le spectateur en haleine. Les musiques traditionnelles participent de l’émotion, tout comme les plans larges sur la brousse, tandis que les triangles de l’architecture – symboles bambara du serpent de la vie déjà rencontrés dans les décors de La Genèse de Cheick Oumar Sissoko – élèvent le film dans une cosmogonie.
Car c’est bien dans une vision que s’inscrit le film : une vision ancrée dans l’angoisse de sa propre histoire, un discours sur le pouvoir et les rapports de force anciens et modernes, mais aussi une vision mystique où l’homme dialogue sans cesse avec ses divinités. Les anciens cherchaient à s’assurer la protection des dieux et s’approprier leurs pouvoirs par toutes sortes de rituels et amulettes, les modernes, dans un monde désacralisé, doivent opérer un travail sur soi pour retrouver une place dans le monde. Idrissa Ouedraogo, obsédé par la recherche d’images proprement africaines face au déluge d’images extérieures, tente d’ancrer sa vision dans une tradition qu’il sait riche de ressources inexploitées face à la globalisation. Il se rapproche des corps pour inscrire cette recherche dans l’humain. Ce film attachant est ainsi une étape dans cette quête. L’énigme qu’il soulève (quel est ce quatrième pouvoir qui manqua aux Africains ?) accroche le spectateur et le titille bien après la projection. Que demander de plus au cinéma ?
2003, 90 min, 35 mm, image : Abraham Haïlé Biru, musique : Troupe du Larlé naba, avec Oumar Barou, Rasmané Ouedraogo, Inna Cissé, Rokiétou Ouedraogo, Nabil Nouss. Prod. Les Films de la Plaine / NDK prod., Films de la Plaine : 5 rue Armand Gauthier, 75018 Paris, tel +33 142 23 22 22, [email protected]///Article N° : 2809