Texte : Koffi Kwahulé
Mise en scène : Laurent Franchi et Camille Marois
Jeu : Méloëe Ballandras, Gautier Boxebeld, Mathilde Carreau, Nora Nagid, Quentin Robertucci, Yacine Salhi et Elsa Sanchez
Création lumière : Rémi Bouges
Enquêtrice/Attrapeuse de sons : Lucille Paquis
Création musicale : Apollo
Création graphique : Jean-Baptiste Baron
Captation vidéo et teaser : Ivy Buirette
Dans ce long texte sans distribution claire, c’est un combat de voix qui prévaut et que le collectif NOSE parvient magistralement à nous faire entendre, un choc des altérités pris dans la complexité des rapports humains. Sur cette grande scène du Théâtre du Soleil, sept figures, sept acteurs, 1 h 45 de corps et de voix qui s’entrechoquent sur les rythmes que scande le texte de Koffi Kwahulé. Rythmes entrecoupés par la violence des syncopes de ces identités en lutte. Un combat contre les dictats d’autrui mais aussi contre notre propre barbarie, mise au jour par la collectivité qui exacerbe les luttes individuelles pour l’enrichissement et la prise de pouvoir. Ce drame physique est une métaphore de la société globale dans laquelle nous sommes tous susceptibles d’être broyés. Le clin d’il du texte au film Scarface de Brian De Palma – que Zac regarde en boucle, se rêvant Tony Montana, qui représentait déjà une mise en abyme dramatique – est ici renforcé par la pantomime pour représenter le film à la télévision. Un élément aussi perturbant que pertinent doublé d’un véritable exercice de style pour les comédiens qui frôlent le human beatbox, un écho musical de plus pour nos oreilles et nos yeux !
Au sein de ce microcosme métaphorique qu’est « la cité », et n’allez surtout pas y voir une banlieue, c’est un cri sourd qui résonne au travers des histoires de Baby Mo qui cherche à tout prix à se raconter autrement, et de Lulu qui tente sans diplôme d’accéder au monde de l’entreprise. Deux histoires de femmes qui veulent s’émanciper et qui devront payer le prix de cette quête de liberté. Elles n’en réchapperont pas sans souillure, une image qui a beaucoup préoccupé le collectif pendant la création. Dans cette scénographie minimaliste qui nous permet d’entendre le texte et de lire le langage ouvert par les corps en scène, la problématique de la souillure et son omniprésence au quotidien sont judicieusement matérialisées par les machines à laver, squelette de la scène, elles représentent la clé d’un dispositif qui fait résonner les multiples problématiques du texte. En plantant le drame dans une laverie, pièce universelle, dont les machines à laver se métamorphosent en différents espaces et en de multiples objets, la mise en scène insiste sur la rémanence des tâches, des souillures ainsi que sur les difficultés à vivre avec et à accepter celles des autres. Se déploie alors l’envergure rhizomatique de ce motif, nous rappelant la magistrale affirmation de Simone Weil « La pureté est le pouvoir de contempler la souillure ».
Mais ici pas de manichéisme, malgré l’omniprésence de dichotomies relationnelles (homme/femme, individu/collectif
) ; pas de survivant à ce féroce régime sociétal. Tout le monde cherche à s’extirper d’un modèle prédéterminé ou du joug de relations familiales obsédantes. La force de ce spectacle réside dans la pluralité des voix prises en charge par les différents comédiens, les multiples facettes de nos individualités ainsi que des personnes qui nous entourent. Le collectif NOSE place ce travail sous le signe de Guy Debord qui déclarait que « l’étranger entoure partout l’homme devenu étranger à son monde. Le barbare n’est plus au bout de la terre, il est là
». Cette ode mélancolique montre bien tous les paradoxes de la barbarie et tous ses amalgames aussi. La cruauté qui émane de nos identités exilées parce qu’étrangères à elles-mêmes, La Mélancolie des Barbares est une transfiguration artistique et littéraire de la perte réelle et symbolique.
Dans cette cité imaginaire, neutre de spécificités géographiques et pourtant si proche de notre quotidien à tous, se manifeste l’incarnation contre-utopique de nos sociétés modernes que le collectif NOSE a su saisir dans toutes ses aberrations ; ce glissement subtil et maîtrisé du grotesque à la violence qui parcourt le texte. Un travail qui ne serait rien sans la confiance et l’échange qui transparaît du collectif et du duo de metteurs en scène Laurent Franchi/Camille Marois, amenant des comédiens, plus que prometteurs, sur le terrain d’une partition parfaite. Il s’agit de la coordination d’une équipe humble, qui s’écoute et se comprend, dans le but de construire ensemble autour des grandes questions liées à la collectivité et à l’altérité.
Chaos tragique d’une phagocytose annoncée, éclatement d’un espace-temps qui met au jour des personnages proches de la pulvérisation, cette mise en scène capte habilement les ressorts du texte kwahuléen. Un drame déstructuré dans sa forme mais faisant système par l’emboîtement des corps et des voix. Grâce au collectif NOSE, le jeu des comédiens, l’intervention de la pantomime, une musique présente tout en mesure et à propos, l’abolition du quatrième mur ; une mise en scène épurée qui revient au rudiment artisanal du théâtre, sans le recours omnipotent aux nouvelles technologies, le spectacle est puissant et résonne longtemps.
La Mélancolie des barbares – Teaser (Collectif NOSE) from Collectif NOSE on Vimeo.
Créé en mai dernier, La Mélancolie des Barbares se joue actuellement à La Cartoucherie dans le cadre de la 9e édition du Festival Premiers Pas les 2, 3, 4, 5 et 16, 17 novembre – 8 et 9 décembre 2012. Réservation au 01 43 74 24 08 (du lundi au samedi de 11h à 18h).
Une mise en scène inventive qui parvient à relever le challenge de cette scène monument qu’est le Théâtre du Soleil.
L’EDT 91 forme des artistes remarquables, encore un collectif à suivre à la trace : [www.collectifnose.f]///Article N° : 11140