Bayard Afrique : en pleine renaissance

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La quinzième Rentrée littéraire du Mali, en réunissant auteurs, éditeurs et programmateurs de manifestations littéraires, donne aussi l’occasion de poursuivre notre série sur les éditions africaines, avec ici un focus sur les livres jeunesse.

Lors d’un moment dédié aux enfants, la Malle aux livres au musée Muso Kunda, Africultures a rencontré Laure Bledou, directrice éditoriale de Bayard Afrique, lors d’un temps de magie et de lecture avec l’auteur-illustrateur Massiré Tounkara.

Annie Ferret : Bayard Afrique c’est une longue histoire, qui démarre dans les années 90 et qui traverse plusieurs étapes jusqu’à 2021, année où le dernier-né est lancé, Mes premiers Planète j’aime lire. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Laure Bledou : La genèse remonte en effet assez loin. En 1993 et 1998, deux magazines sont lancés sur le continent : Planète jeunes puis Planète enfants, qui connaissent un très gros succès. Au départ, les rédactions sont installées à Paris, puis elles se rapprochent du lectorat dans les années 2000 avec l’ouverture d’un bureau à Ouagadougou. Les magazines sont alors imprimés au Burkina Faso. Mais il s’agissait de publications subventionnées et vendues à un tarif dérisoire, si bien qu’en dépit de l’engouement, quand les subventions se sont arrêtées, le modèle ne pouvait plus survivre. Ajoutons à cela qu’internet était en plein essor, l’offre en était bouleversée, les habitudes du lectorat aussi et on connaît par ailleurs les difficultés que la presse magazine rencontre un peu partout dans le monde.

C’est à ce moment-là que vous arrivez dans l’aventure ?

J’ai rejoint les projets de Bayard en Afrique en 2016. J’ai commencé par lancer une étude de marché sur la presse écrite destinée aux enfants pour avoir une véritable idée des attentes du public. Il fallait à la fois prendre en considération la classe moyenne émergente, plus soucieuse de questions d’éducation et plus investie dans la scolarité des enfants, et se recentrer sur l’essentiel. Fort du succès en France de J’aime Lire, on a lancé Planète j’aime lire, avec des histoires et héros du continent africain tout en proposant une ouverture sur le monde. Le numéro zéro a été conçu avec cinq écoles pour cibler au mieux les attentes des parents et ce qu’ils nous demandaient était clair : donner aux enfants le goût de la lecture. Plus de 89% des parents de Côte d’Ivoire et du Burkina Faso souhaitent que la lecture soit l’activité extrascolaire numéro une de leurs enfants, mais deux tiers des parents ne leur lisent pas d’histoires. Ils souhaitent aussi que l’on véhicule certaines valeurs. Dire « morale » aujourd’hui paraît dépassé et pourtant la morale n’est pas nécessairement négative, elle implique l’apprentissage et l’ouverture à certaines pensées humanistes.

L’équipe de Bayard Afrique. Rentrée Littéraire de Bamako 2023

Former de jeunes lecteurs avec l’espoir qu’ils deviendront plus tard des adultes qui continueront de lire et d’enrichir leur vision du monde par la fréquentation des livres, on se doute que c’est l’un des premiers objectifs poursuivis par Bayard Afrique. Comment relever ce défi et intéresser à la lecture dès le plus jeune âge ?

L’intérêt du magazine par rapport au livre, dans cet objectif, est d’offrir au jeune lecteur différents formats de littérature et qu’il puisse choisir ce qu’il va lire et par où il va commencer. Par exemple, la BD ou la recette de cuisine. Mais, en général, et c’est ça qui est essentiel, l’enfant ne s’arrête pas là, progressivement, il va lire aussi le reste, sans jugement de valeur sur les genres littéraires. Bande dessinée, poésie, roman jeunesse, tout a sa place. Une recette de cuisine peut renforcer l’estime de soi et l’estime aussi du continent, de ses valeurs, de ses produits. Tout est pensé et on travaille particulièrement à la qualité des illustrations et à la cohérence entre texte et image. C’est l’éditeur qui choisit non seulement l’illustrateur, mais les illustrations (jusqu’à la représentation des actions des personnages), en revanche, chaque auteur a son style et son univers et, au niveau de la rédaction, nous prêtons une attention particulière à la variété des propositions au fil d’une année. On alterne une histoire policière, un roman qui fait peur, un récit d’aventures, etc… C’est tout cela qui permet de capter et d’intéresser le lecteur.

Dans un contexte où le livre est en déclin, comment conserver toujours l’exigence littéraire et essayer d’offrir le meilleur ?

C’est une question importante. Je travaille avec les auteurs, je veux dire que je mène avec eux un vrai travail d’édition. En gros, il faut compter quatre à six mois pour sortir une histoire et il faut avoir une bonne année d’avance pour la programmation. On a un comité de lecture, puis, quand un texte est validé, plusieurs navettes éditoriales sont mises en place avec des lectures tests faites à des groupes d’enfants. De mon côté, je continue à me former et à apprendre, notamment en ayant rejoint le comité de lecture pour le groupe Bayard.

Chez Planète, l’idée est de faire découvrir de nouvelles plumes et de faire entendre de nouvelles voix. Comment choisissez-vous les auteurs et illustrateurs à qui vous ouvrez vos pages ?

On cherche à la fois une grande diversité dans les styles et les écritures, mais on ne publie pas forcément que de nouvelles plumes. On a des auteurs qui viennent d’une dizaine de pays d’Afrique de l’ouest et d’Afrique centrale, bientôt aussi d’Afrique de l’est, parmi eux, certains sont des auteurs confirmés, mais qui n’avaient pas encore écrit pour la jeunesse. On reçoit aussi des textes spontanés et enfin il arrive qu’on passe des commandes. C’est ainsi que nous sommes vraiment ravis de sortir en mars un texte de l’auteur ivoirien Gauz’. Chaque année, on tient à une histoire qui puisse sensibiliser à la question de l’environnement. Cela faisait quatre ans que je lui proposais d’écrire et après son nouveau roman Cocoaïans, il a eu envie de s’impliquer pour parler aux enfants de l’importance de la forêt. Enfin, il y a les réseaux, des rendez-vous avec des gens qui veulent écrire. Ça marche ou ça ne marche pas, mais il y a de belles rencontres. Par exemple, j’ai récemment publié deux enseignantes qui avaient écrit depuis très longtemps pour les tout petits et n’osaient pas se lancer. Pour elles, c’était magique de voir leur livre illustré, édité et puis lu par des enfants.

À propos de la Rentrée littéraire du Mali, la possibilité a été donnée cette année aux éditeurs du continent, à travers une journée professionnelle, de se rencontrer pour partager leurs expériences. Qu’avez-vous retiré de ces échanges ? Pensez-vous qu’ils pourraient déboucher sur des partenariats plus tard ?

C’était déjà une satisfaction énorme que pour cette quinzième édition de la Rentrée littéraire du Mali, une place soit faite à l’édition. Concernant la littérature de jeunesse, des questions spécifiques se posent, comme le déficit de textes pour les plus petits, mais aussi, par exemple, le problème des stéréotypes, parfois tellement intégrés, et qui font la part belle à des récits misérabilistes ou trop moralisateurs. Nous devons offrir à nos enfants des littératures africaines variées, libres et modernes. Pour cela, nous avons identifié deux axes : la création d’ateliers de formation d’écriture jeunesse et la coopération sud-sud pour des co-éditions et des diffusions régionales.

Dans Planète j’aime lire et Mes premiers Planète j’aime lire, des auteurs et des illustrateurs racontent des histoires aux enfants et à leurs parents, vous avez vécu à Bamako et c’est à Bamako que sont nés ces rendez-vous que vous baptisez la Malle aux livres. C’est aussi une très belle histoire. Pouvez-vous nous la raconter ?

En 2019, j’arrive à Bamako avec trois enfants, dont deux âgées d’un mois et demi. À l’époque, je suis en congé maternité, et ma fille aînée, Siéné, est une dévoreuse de livres. Très vite, on se retrouve confrontés au manque de librairies et de bibliothèques. Et puis, il y a une maison d’hôtes, où l’on se réfugie régulièrement, qui propose un petit espace pour lire. La restauratrice me dit qu’elle connaît un petit garçon né la même année que Siéné, dévoreur de livres lui aussi. Comme le temps passe sans qu’on parvienne à se rencontrer, un jour, Siéné laisse dans la maison d’hôtes un livre pour Taninou, qui devient le « lecteur fantôme », qui à son tour laisse un livre à l’attention de Siéné. L’histoire démarre comme ça, par un échange de livres à distance entre deux enfants inconnus. Et quand finalement, je rencontre la mère de Taninou, l’idée a déjà germé : on va créer une bibliothèque pour bébés, enfants et adolescents, c’était très important de s’adresser à ces trois publics. Au même moment, la même restauratrice « hérite » d’une malle de livres offerte par une famille qui vient de quitter Bamako. Siéné et Taninou sont associés au projet, ils donnent leur avis et leurs envies. Une malle, c’est fait pour voyager, pour partir. C’est comme ça qu’est née La malle aux livres. Toutes les six à huit semaines, les malles (il y en a maintenant trois) se posent et s’ouvrent dans des lieux et des quartiers différents de Bamako. Les enfants sont au rendez-vous avec leurs parents, leurs nounous, ils lisent sur place et peuvent choisir d’emprunter un livre. Jusqu’à la prochaine fois. Aujourd’hui, les malles contiennent cinq cents livres, avec une centaine de familles inscrites. Et moi qui ai dû quitter le Mali en août 2020, je soutiens avec joie les trois mamans qui sont aux manettes.

 

 

 

Annie Ferret,

Bamako, le 25 février 2023

 

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